B.D. WOLFE de la consolidation, au cours des années 1930, de l'ordre staljnjen dans l'industrie, l'agriculture, la politique et la vie culturelle. Mais même les pièces les plus récentes de la machine sont rodées depuis plus de vingt années. Ainsi, ce n'est pas un mince héritage que celui des épigones : une société complètement désintégrée ; un Parti centralisé, monopoliste et monolithique ; un État à Parti unique ; un régime de contrainte absolue complétée par la persuasion ou par une continuelle guerre d'agression psychologique contre la population ; une bureaucratie gestionnaire accoutumée à recevoir des ordres et à les exécuter (en se laissant une petite marge, d'ailleurs contrôlée, où joue le système D); enfin, une économie centralisée, entièrement étatisée et dirigée et qui englobe l'agriculture, l'industrie, le crédit, les transports et les communications, plus l'ensemble du commerce intérieur et extérieur. CE N'EST PAS tout. 11 faut rappeler aussi les aspects suivants : priorité rigidement établie pour les branches d'industrie qui fondent la puissance d'un État, niveau de vie insuffisant, rigoureusement maintenu au minimum vital pour la masse des producteurs ; agriculture complètement étatisée ou collectivisée (et qui, sans avoir résolu le problème du rendement, continue d'évoluer vers le gigantisme et vers la bureaucratisation, au point que l'État menace de réduire à une simple courette-jardin la parcelle réservée à l'exploitation directe) ; expansion industrielle accélérée, bien qu'incomplète ; activité puissante, quoique centralisée au delà de toute nécessité rationnelle même selon les critères propres du totalitarisme ; techniques acquises et impulsions données par la succession de six plans quinquennaux. Enfin, une culture intégralement organisée et orientée (à la seule exception des plus intimes retraites de l'esprit, où la technologie moderne n'a pas accès); un monopole absolu sur les moyens ' d'expression et de communication de la pensée; un système parfaitement étatisé de «critique» et d'« autocritique»; une doctrine incontestable établie par d'indiscutables autorités, interprétée et appliquée par un parti irréprochable que dirigent un ou plusieurs chefs infaillibles (en tout cas, par un u sommet» dominant toute erreur possible); une méthode de progression par zigzags vers des buts fondamentalement inaltérables ; le règlement de toute question par décret pris « au sommet », depuis les tableaux d'avancement et de rétrogradation jusqu'aux erreurs à corriger, aux conceptions stratégiques et tactiques à modifier, aux divergences à éliminer - règlement sanctionné par des épurations d'incidences diverses et d'intensités variées; enfin, l'attachement absolu à l'œuvre de révolution u par en haut», qui devra se poursuivre jusqu'à la « reconstruction totale» de l'homme soviétique selon l'image que s'en fait le Kremlin, jusqu'à la conquête communiste du monde. C'est au contact de ces réalités traditionnelles Biblioteca Gino Bianco • 85 que les héritiers de Staline ont été formés. Tel est leur patrimoine, telle leur foi. Tous les desseins que ces hommes peuvent former, tous les changements qu'ils envisagent, sont tantôt contrecarrés, tantôt modifiés par la masse et la force vive de ce patrimoine, dont la puissante influence se fait non moins sentir dans l'évolution qu'ils provoquent malgré eux. 6. De la ,, direction collégiale ,, l UNE ÉTUDEparticulière serait nécessaire pour essayer de dégager, d'une part, les fondements mêmes du totalitarisme (de sorte qu'en y portant atteinte, on transformerait le système lui-même) et, d'autre part, ce qui est d'ordre plus superficiel (et dont la modification ne représenterait qu'un remaniement à l'intérieur du système). Ici, il faut se contenter de jeter un coup d'œil, à titre d'exemple, sur certains aspects du cours des événements depuis la mort de Staline, en se bornant à l'ordre politique. Le premier fait qui vient à l'esprit est l'avènement d'une « direction collégiale ». Les statuts du Parti ne prévoient aucune fonction qui soit celle d'un « chef » autorisé, d'un dictateur ou d'un vojd. De même que, par sa constitution, la plus centralisée des grandes puissances continue de se présenter comme une union purement fédérale de républiques autonomes, de même le Parti est régi, sur le papier, par la démocratie intérieure et une direction collective. On ne pouvait guère douter que, restés orphelins, les successeurs de Staline réaffirmeraient dès l'abord le principe de la direction collective, ce qui ne les empêcha nullement d'entamer aussitôt, dans les coulisses, les tractations et les manœuvres qui concentreraient le pouvoir entre les mains d'un groupe de plus en plus restreint. Staline lui-même avait d'abord jugé nécessaire de proclamer l'avènement d'une direction collégiale et de se faire passer, pendant quelque cinq années, pour un simple exécutant, fidèle et zélé, des directives reçues. Il ne lui fallut pas moins de dix ans pour oser entreprendre l'extermination de ceux qui pouvaient prétendre, en principe, à rivaliser avec lui. Les successeurs de Staline avaient, à trente ans de distance, les mêmes raisons (plus quelques autres) pour proclamer la direction collégiale du Politburo. Les tribulations harassantes et démoralisantes des années 1930 ; les symptômes avantcoureurs d'une nouvelle épuration massive qui s'étaient manifestés quelques mois avant la mort de Staline, lors du « procès » des médecins « empoisonneurs»; enfin l'état de terreur dans lequel s'étaient trouvés même les collaborateurs les plus proches du dictateur et la crainte justifiée que chacun inspirait à chacun - de tout cela découlait la nécessité d'affirmer le principe d'une autorité collective. Ni la régence d'une oligarchie, ni l'existence d'un interrègne entre deux autocrates ne sont par euxmêmes incompatibles avec la continuité d'un pouvoir indivis (totalisme) ou omniprésent (totalitarisme). Ce qui frappe au contraire, c'est la rapidité inouïe avecl aquelle les premiers triumvirs
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