Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

84 5. De l'héritage des épigones EN l 953~ à la mort de Staline, le bolchévisme avait cinquante ans d'existence. Ses conceptions caractéristiques - affirmant la valeur suprême de l'organisation, de la centralisation et de la tutelle ou dictature exercée par une élite d'avant-garde - étaient fixées depuis la rédaction des écrits programmatiques de Lénine en 1902, notamment Que faire ? De la scission de 1903 date déjà la mise en place d'un appareil bolchéviste distinct soumis à l'autorité incontestée de Lénine. Pendant les cinquante années qui s'écoulent ensuite, le Parti ne connaît que deux chefs toutpuissants, qui successivement le marquent à l'empreinte de leur personnalité. Lénine, comme nous l'avons indiqué, est à bien des égards l'héritier de l'autocratie tsariste; cependant son totalitarisme diffère, dans son principe, du vieux despotisme moscovite. Il se considère comme un marxiste orthodoxe et fervent, ce qui ne l'empêche pas d'élaborer et d'élargir certaines conceptions de Marx, d'en négliger, modifier ou fausser d'autres. Si le léninisme de Staline, à son tour, diffère nettement du modèle original, il existe incontestablement plus de continuité entre Staline et Lénine qu'entre Lénine et Marx. Les changements que Staline introduit dans la théorie de son aîné comportent eux aussi la prolongation et l'extension de certains éléments, en même temps que la modification de bien d'autres; mais par-dessus tout il hérite de son devancier le régime lui-même, son appareil et ses méthodes traditionnelles. Il peut ainsi se servir tantôt de façon léniniste, tantôt à sa propre façon «staliniste », d'un système de pouvoir aux structures bien définies - comprenant un Parti fortement charpenté, un appareil d'État, un dogme d'infaillibilité, une idéologie, enfin la volonté bien déterminée de pousser toujours plus loin l'emprise qui permettra de transformer le Russe en «)iomme communiste nouveau» et de gagner Ir monde entier au nouveau système. AVEC LA MORT de Staline, on se trouve une troisième fois en présence d'un chef ou de chefs nouveaux. Cette nouvelle empreinte personnelle apportera certainement au stalinisme des modifications, comme le fit Staline au léninisme. Mais il paraît utile, après tant de propos à bâtons rompus sur les changements en cours, de se rappeler tout d'abord que les << hommes nouveaux » ne sont pas si nouveaux que cela; qu'ils ont· hérité d'une entreprise en pleine activité, fortement organisée et agencée, animée d'une dynamique interne puissante et d'une force acquise considérable ; et que, dans le fait, les changements dont il s'agit s'inscrivent à l'intérieur d'une société monocentrique, close, hautement centralisée, bref dans un monde que gouverne un pouvoir à la fois total par son indivision et totaliste par les fins qu'il poursuit. Or, nous avons constaté que les sociétés qui entrent dans cette catégorie présentent des constantes historiques qui Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL tiennent à leur structure même --:-une permanence ou rémanence qui leur permet de traverser victorieusement des crises de régime telles que la mort d'un despote, l'interrègne d'une oligarchie, ou la lutte autour d'une succession. Il convient aussi de ne pas perdre de vue que ces hommes dits « nouveaux » furent, du vivant de Staline, ses hommes à lui. Ils ne peuvent prétendre aujourd'hui au gouvernement d'un empire que parce qu'ils furent les seconds de Staline, et en place à sa mort. Hommes de peu d'envergure, semble-t-il. Il y a dans les despotismes personnels un principe de sélection à rebours qui tend à peupler de médiocrités l'entourage du Prince, et à ne laisser subsister autour de lui que des courtisans, des sycophantes, des exécutants et des approbateurs patentés, tout en écartant, comme par une loi inflexible, les esprits originaux et audacieux. Cela entraîne presque inévitablement- en l'absence d'un principe de légitimité - une crise de succession qui ne prend fin qu'avec l'apparition d'un nouveau dictateur. D'ailleurs, dans le cas présent, les héritiers présomptifs ne sont plus de la première jeunesse, de sorte qu'une nouvelle crise risque de s'ouvrir avant que ne soient réglées les précédentes. Qu'on se garde toutefois de faire fi des capacités que peuvent posséder des hommes qui ont appris leur métier en gouvernant un sixième du globe et une population de deux cent millions d'habitants. La gestion d'une économie totalement étatisée et d'un vaste Empire colonial prépare à d'autres occupations que celle de courtisan ou de sous-chef de parti. Il n'en reste pas moins qu'en aucun des hommes que nous voyons aujourd'hui à l'œuvre ne se manifestent l'originalité, l'énergie et l'intelligence exceptionnelles d'un Lénine - non plus que la force démoniaque (plus grossière, mais non moins originale) d'un Joseph Staline. Chaque fois qu'un tyran disparaît, le monde entier vit dans l'attente d'un changement. Les «hommes nouveaux» ont dû tenir compte de cet état d'esprit - et ils en ont également profité pour introduire des modifications dont l'ère stalinienne avait fait apparaître l'opportunité même aux propres lieutenants de Staline. Ils rationalisent donc le système par en haut (puisqu'en l'absence de toute force indépendante et organisée, rien ne peut se faire par la base) et ils font quelques concessions sans grande portée pendant qu'ils consolident leur pouvoir. Quant à la structure de base, aux institutions, il n'est pas question pour les épigones d'y toucher. Ils maintiennent le système solide et durable dont ils ont hérité, où dans une société déjà totalement fragmentée ou atomisée, \'État (ou plutôt le Parti qui en est l'armature) demeure le cœur et la tête de toutes les formations existantes. * Quelques-uns des rouages de l'appareil bolchévik ont maintenant plus d'un demi-siècle d'existence; certains remontent à 1917 ; d'autres enfin datent * Ceci ne s'applique point à l'Empire soviétique dans son ensemble, mais seulement à l'Union soviétique. En général c'est uniquement de l'Union soviétique qu'il est • • • question 1c1.

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