Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

82 des Troubles)); les guerres, les conquêtes, les invasions,. les jacqueries, les révolutions de palais et les «révolutions par en haut », la puissante charpente avait tenu bon. Des affaissements, voire des brèches s'étaient produits ; mais l'édifice, chaque fois, avait été rapidement restauré sans toucher à sa structure de base. Quand les efforts excessifs de la guerre totale ébranlèrent finalement le régime jusqu'à la ruine, le pays connut une brève détente : l~étau s'était desserré. Mais l'action révolutionnair.e de Lénine fut en même temps une restauration, la reconstitution d'une bonne partie de l'héritage moscovite vieux de quatre siècles. Ce fut effectivement cette restauration socialiste de l'autocratie dont Plékhanov pressentait le danger ou tout au moins la possibilité et contre laquelle il avait mis en garde, dès les années 1880, ceux qui appelaient déjà de leurs vœux la révolution. S'adressant aux populistes pleins d'impatience, il les avertit qu'à moins de desserrer d'abord tous les liens et de permettre le développement autonome, jusqu'à maturité, d'un ordre «occidental)) ou «bourgeois-démocratique))' la prise du pouvoir par des socialistes de nom ou d'intention ne conduirait qu'à une restauration du despotisme oriental de type autocratique sur des bases pseudo-socialistes et avec une «caste dominante)) pseudo-socialiste. Les conséquences seraient plus graves encore, comme il en prévint Lénine en 1907, si cette nouvelle caste d' « Incas, fils du Soleil ))commettaient l'erreur fatale de nationaliser la terre, et d'alourdir davantage, de cette façon, les chaînes qui rattachaient le paysan à l'État autocratique. LA DÉSIGNATIOdNe despotisme oriental, appliquée à la Russie au cours de cette controverse entre socialistes russes, rappelle qu'il existe des formations sociales encore plus durables, douées d'une stabilité intrinsèque plus grande encore que celles des régimes décrits jusqu'ici. Leur continuité s'évalue en millénaires plutôt qu'en siècles. Un historien chinois dit un jour à l'auteur de ces lignes : «Quelle période fascinante que votre Renaissance! Nous en comptons sept chez nous.» Il disait vrai, si l'on substitue au mot de renaissance celui de restauration, pris dans son double sens de réparation des forces et de reconstitution des structures de base. Car, bien que la Chine ait subi des bouleversements, des désastres, des invasions, des conquêtes, connu les chutes de dynasties, les rébellions,·· les interrègnes et les «temps de troubles ))' un paysan ou un mandarin chinois du siècle dernier, transporté dans la Chine d'il y a deux mille ans, ou plus loin encore, s'y trouverait comme chez lui au milieu d'institutions et d'idées complètement familières. A l'exception de l'absolutisme monarchique occidental, les diverses structures sociales que nous avons caractérisées par leur durabilité présentent • • l • certruns traits :communs : un pouvoir monocentrique ; un ·.•État ··.:directorial . [managerial] ; BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL , . l'absence de groupements sociaux librement ·orga~ nisés et de formes de propriété indépendantes ; le manque de tout contrepoids capable de freiner la concentration du pouvoir au sommet du corps social ; enfin une charpente puissante, autoconservatrice, d'institutions étroitement coordonnées. ... . . . 3. Du totalitarisme comme société close et ... . ' . monocentrique DANS LES RÉGIMEStotalitaires de notre temps, on reconnaît le même type de système social, ~elativement clos et conservateur, et caractérisé par une structure institutionnelle tendant à sa propre perpétuation. Un tel système se construit de façon à absorber aussi bien les changements qu'il entend imposer que ceux qui lui sont imposés du dehors, à les absorber si bien que - à moins d'une explosion interne ou d'un assaut de l'extérieur - le système se perpétue. Tout ce qui s'oppose à cette persistance dans son propre être est en effet soit étouffé, soit canalisé et assimilé de manière qu'il ne s'agisse plus que de remaniements internes. Fort de son pouvoir intrinsèque de rémanence, le système perdure. L'emploi du mot conservateur peut surprendre· alors qu'il s'agit d'un régime qui est tout bonnement la révolution organisée. Certes, il existe une différence frappante entre le totalitarisme communiste et tous les sytèmes antérieurs comportant, comme lui, l'absoluité, le despotisme, l'indivision et (en ce sens particulier) la « totalité » du pouvoir. Car, tandis que le despotisme, l'autocratie et l'absolutisme se présentent coi;nme essentiellement liés à la préservation de l'état de choses existant, le communisme totalitaire est impérieusement tourné «vers l'avenir)), Cette puissante structure qui n'admet en dehors d'elle-même aucun centre d'activité organisée défend ses intérêts permanents en maintenant les choses en mouvement. Le' système entretient l'omnipotence qui caractérise son État et son idéologie en entretenant au· sein . même e~par le moyen de son appareil de puissance,· une révolution permanente. ·Comme celle d'Alexandre II, cette révolution se fait par en haut, mais bien plus que celle d'Alexandre, elle se fait exclusivement par en haut, et vise à une refonte intégrale ; car son but n'est rien de moins que d'assurer l'atomisation du corps social et de· créer, aussi rapidement et aussi radicalement que le lui · permettent un matériel humain récalcitrant et un mondë_ ~xtérieur réfractaire, un homme -ncuveau,. une société nouvelle et un monde nouveau. Coinme les autres systèmes despotiques dont il a été question, mais à un degré bien plus élevé encore, le régime communiste se caractérise par la prépondérance de l'État sur la société, par la. totalité (ou indivision) du pouvoir,. par l'absence d'obstacles institutionnels à la concentration du· pouvoir ,au sommet ; enfin par une économie qui a l'État pour centre, pour maître .et pour gérant.· ; Mais l'État communiste innove en. s'arrogeant non .

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