Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

B.D. WOLFE romain n'a pas cessé d'être, de façon distincte et significative, l'Empire romain. De la même façon, nous pouvons sans peine discerner, dans la longue histoire de Byzance, un bon demi-millénaire de continuité. Même si nous prenons l'une des plus dynamiques des régions . du monde, l'Europe occidentale, considérée dans une de ses périodes les plus mouvementées, les temps modernes, nous pouvons encore remarquer que la monarchie absolue s'y est perpétuée pendant plusieurs siècles. Le fait est particulièrement digne d'attention, parce que la monarchie absolue - régime de monopole parmi les plus stables et les plus exclusifs qu'a connus le monde occidental• - n'a jamais cessé d'être un système pluraliste en ce sens que l'autorité du monarque y était équilibrée par d'autres facteurs. Elle restait limitée, en particulier, par le besoin où se trouvait le Prince de s'assurer l'appui de divers groupes sociaux et corps constitués, dont la structure organique était distincte et indépendante du pouvoir central : ainsi la noblesse, avec ses biens héréditaires, ses châteaux forts, son privilège des armes ; l'Église; incarnation du pouvoir spirituel ; les bourgeois, forts de la richesse de leurs villes aux épaisses enceintes. L'existence et la vitalité de ces foyers autonomes font de l'absolutisme monarchique occidental une exception parmi les régimes centralisés et capables de durée. On sait quelles furent les forces indépendantes qui réussirent à imposer aux souverains les chartes et les constitutions et qui, s'assurant peu à peu le pouvoir de déterminer l'effectif des levées militaires, la durée du service, l'assiette et l'emploi de l'impôt, transformèrent ainsi en fin de compte la monarchie de droit divin en monarchie constitutionnelle. Or, c'est de notre propre histoire occidentale, avec son évolution exceptionnelle, que nous tirons bon nombre de nos présuppositions inconscientes quant à l'inéluctabilité, la rapidité et la facilité relative des changements historiques. Pour remédier à cette erreur de perspective, il est nécessaire de comparer les caractéristiques de l'absolutisme, tel que nous l'avons connu en Occident, avec des formes plus «complètes» et plus «parfaites» de pouvoir, cette fois véritablement centralisées et despotiques.* * )If )If - LA PRINCIPAUTÉ de Moscovie nous fournit un exemple de pouvoir véritablement unitaire. Il s'agit d',,oe autocratie monopoliste et monocentrique, plus forte, plus despotique et plus inflexible dans • C,ette comparaison joue un rôle décisif dans l'ouvrage de Karl A. W1ttfoael, Oriental Despotism : A Comparative S~ of Total Power (New Haven, Yale University Press, 19 • L'attention est fixée sur les pays où - en raison du belO d'entreprendre de arands travaux d'endiguement et d'irriaation - • l'l:!tat devient plus fort que la société ", appliquant le réaime de la corvée à des populations enti~res, et u~maot les fonctions administratives énormes qui en rttukent. Cet ouvraae est, par ailleurs, plein d'aperçus hautement 1ua,1e1tü1 sur le totalitarisme moderne à base indulUielle qw fait l'objet de la i,r~sente ltude. Biblioteca Gino Bianco 81 sa structure institutionnelle que l'absolutisme occidental. Le tsar réussit de bonne heure à subjuguer les grands boyards indépendants, et à leur substituer une nouvelle noblesse fonctionnarisée. La couronne possède dès lors et administre directement d'immenses domaines peuplés de serfs. Le servage - qu'il s'agisse de paysans dépendant directement de la couronne, ou de ceux des terres seigneuriales - est une institution d'État, réglée par lui de façon à faciliter le travail du sergentrecruteur et du collecteur d'impôts. Enfin, lorsqu'en 1861 survient l'émancipation des serfs, c'est encore par un décret d'État instituant (selon les propres paroles d'Alexandre Il) « la révolution par en haut», et soumettant le mir, collectivement responsable envers l'État, à l'autorité directe de l'État. A cette universalité du service d'État et du servage d'État, il faut encore ajouter les traits distinctifs du césaro-papisme, c'est-à-dire d'un régime où l'Église est dominée par le souverain et l'État. Quant aux villes, ce sont des centres administratifs et militaires, où les conditions sont peu favorables à l'ascension d'une classe bourgeoise indépendante. Il n'est pas jusqu'à l'industrialisation qui ne soit mise en œuvre par l'État et développée sous son initiative constante ; le rôle des entreprises directement possédées et gérées par l'État est largement prépondérant. De Pierre 1er à Nicolas II s'écoulent deux siècles au cours desquels l'équipement industriel du pays est ordonné et encouragé par l'État. Il participe largement aux activités de base, ou s'en réserve le monopole : extraction minière, métallurgie, armements, construction et trafic ferroviaires, commerces divers. Enfin, couronnant toute l'économie, le système bancaire et le crédit sont eux aussi dominés par les établissements de l'État. . Les premiers rudiments d'une vie plus variée, appuyée sur une pluralité de centres d'activité et de force, se dessinent à peine lorsque la première guerre mondiale ajoute, aux tâches exorbitantes de l'État comme entrepreneur universel, la mobilisation totale des hommes, de l'argent, du matériel, des transports et de l'industrie. Le pays qui sert alors de modèle est l'Allemagne, qui a su, pour se battre, créer l'économie de guerre. Le système d'administration totale par l'État en vue de la guerre totale a été, de façons diverses et jamais sans équivoque, qualifié de « capitalisme d'État >>ou de « socialisme d'État ». Quoi qu'il en soit, Lénine ne tarda pas à se féliciter que pareille étape ait été atteinte : il y voyait la « forn1e de transition finale>>. Comme dans l'héritage propre de l'État autocratique et gestionnaire créé par les tsars, Lénine trouva en abondance, dans l'économie de guerre russe, les matériaux qui lui servirent à jeter un pont vers le totalitarisme nouveau. A partir du règne d'Ivan le Terrible, et pour une période de quatre siècles, l'État russe avait été « plus fort que la société », autoritairement dirigée et administrée depuis un centre unique, à la fois militaire, administratif et directorial. Au milieu des vicissitudes les plus diverses, à travers un « temps •

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