Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

M. COLLINET L'anachronisme commis par Robespierre et Saint-Just consista d'abord à fixer le monde de la vertu en des traits éternels, dont ils ne trouvaient de précédents que dans la Sparte figée par Lycurgue ou dans un primitivisme abstrait, plus ou moins inspiré de Rousseau. Il fut ensuite d'identifier la vertu politique avec le sentiment moral qui ne pouvait être qu'en dernier lieu celui de la tête politique, sentiment éminemment subjectif, à base de passion, à caractère personnel, dépourvu de tout critère rationnel et universel. C'est ce que Hegel a parfaitement bien défini : « Le régime du sentiment, seul juge, mène à la suspicion. » Comme sous le règne de Robespierre, « rien ne saurait être plus élevé ni plus sacré que le sentiment de l'État... la suspicion règne, mais la vertu, dès qu'elle devient suspecte est déjà condamnée ... Maintenant donc la vertu et la terreur dominent ; en effet, la vertu subjective qui ne règne que d'après le sentiment amène avec elle la plus terrible tyrannie » 4 2. Le couple vertu-terreur étant aussi inséparable que l'amour et la haine, l'utopie était de vouloir un monde manichéen où ils auraient été disloqués, la vertu devenant le propre de la République, la terreur étant rejetée dans le cercle extérieur du despotisme et de l'ignorance. « Tous les établissements humains sont fondés sur les passions humaines et se conservent par elles », avait dit Montesquieu 43 qui n'envisageait pas d'y séparer les bonnes passions des mauvaises. Mais Robespierre, distinguant dans l'homme deux génies opposés, 42. Leçons sur la philosophie de l'histoire, 4° partie, 3° section, chap. 3. · 43. Cité par Maxime Leroy : Histoire des idées sociales en France, I, p. 96. La référence donnée étant inexacte, nous n'avons pu retrouver l'original. Biblioteca Gino Bianco 79 l'un « vil et cruel », l'autre « généreux et bienfaisant » 44 , entendait utiliser le second dans son univers et précipiter le premier dans les flots du Tartare. Il réduisait l'homme à un mannequin agissant selon des rites préfabriqués. L'utopie eût été de vouloir construire un tel univers sans faire appel à une terreur sans limite. La vertu et la terreur n'eussent pas été plus dissociables que ne le sont l'amour et la haine, la vie et la mort. Le temple de l'utopie robespierriste eût exigé comme pierre angulaire le bourreau cher à Joseph de Maistre, inséparable de la cohorte des vieillards justiciers. * )f )f HoRs DE CE MONDEsubjectiviste et terroriste, il fallait que se dégageât une société ouverte capable de canaliser et d'absorber les forces immenses libérées par la révolution industrielle, avec leurs crises économiques, leurs conflits de classes et de puissances. La Révolution n'avait pas à proposer un modèle abstrait de perfection morale, fermé sur lui-même, mais à sauvegarder la liberté et la dignité de l'homme dans le grand brassage des classes et des peuples. Son esprit n'était pas dans une construction aberrante, mais dans l'exercice de la raison s'appuyant sur l'expérience, et dans cette idée, plus ou moins exprimée, qu'avec la liberté un destin commun unit les hommes et les rend solidaires dans leur vie terrestre. MICHEL COLLINET 44. Discours du 18 floréal. •

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