Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

A,1.COLLINET des citoyens par leur âge et la rigidité de leurs mœurs ; protégés du temps profane par les murailles du temple, agissant dans un espace sacré, ils sont l'incarnation de l'éternelle vertu, le flambeau permanent de la démocratie idéale. 36 Ainsi le monde de la vertu se ferme sur le temple des vieillards où il semble défier le temps. Il repousse hors de ses frontières le monde chaotique et sans unité où agissent et se cumulent les vices et les crimes d'une pauvre humanité ignorante de ses droits et encore plus de ses devoirs. Construit pour l'éternité, il réduit l'homme à sa fonction sociale et son « bonheur » à exercer celle-ci sagement et fidèlement. Il codifie les créations de l'art et interdit celles qui seraient non conformes au canon officiel. On peut dire en effet qu'il ferme « l'abîme de la Révolution» pour lui substituer un système qui se voudrait simple, rude et frugal. Mais, carence plus grave que sa pauvreté initiale, ce système est incapable de sortir du primitivisme dont il s'inspire. Il est copié sur l'idée que le XVIII8 siècle se faisait des sociétés tribales, fermées par · nécessité, vivant sur des archétypes indéfiniment reproduits, tirant leur longévité non d'un dynamisme inventif, mais de leur isolement dan~ l'espace; il détruit ce pourquoi la Révolution avait été faite, la liberté de penser et de créer; il anéantit l'esprit de la Révolution et à son abîme réel ou prétendu ne substitue (que latmort de l'espèce. Une utopie pessimiste JL EN EST AINSI de toutes les utopies à caractère fixiste, qui, méprisant le temps, se construisent sur une idée a priori, rationnelle parfois, des besoins et relations des hommes. Quand elles sont l' œuvre de penseurs isolés, elles peuvent rester des documents hautement suggestifs sur la force qui pousse l'homme à mettre fin une fois pour toutes à son malheur. Mais quand elles procèdent de gens qui détiennent un pouvoir sans limite sur leurs concitoyens, elles deviennent des cas de pathologie politique, suprêmement dangereux pour l'avenir humain. Il nous importe peu, en l'occurrence, qu'un Robespierre ait élevé des oiseaux dans son enfance, ou que Saint-Just ait quitté le domicile paternel et ait été poursuivi pour un poème scandaleux. Cela intéresse la petite histoire, à défaut de la psychanalyse. Il est même secondaire que Saint-Just soit mort à vingt-sept ans. Cela permet tout au plus de traiter ses méditations de puérilités ou d'extravagances dues à la jeunesse. Les hommes jeunes étaient nombreux à des postes responsables durant la Révolution. Saint-Just fut pratiquement le 36. Lei cultes r6volutionnaire1 dès 1790 ont utilis6 et v~ lei vieillards. Aprèa Thermidor, la fete des vieillards fut fixh au 10 fructidor et dans l'an VII (1799), Pialisc Saint-Laurent, à Paris, aevint le temple de la Vieillesse. Salnt-Juat tran1forme donc une coutume r6volutionnaire en une ma1i1traturemunie d'un POUvolrinquisitorial. Biblioteca Gino Bianco 77 chef suprême des armées françaises sur le Rhin et dans le Nord ; il fut un homme d'État plus habile que son maître Robespierre, si nous en jugeons d'après son discours inachevé du 9 thermidor. Ses interventions publiques combinent des violences et des calomnies, destinées à servir la faction robespierriste, avec des réflexions sagaces qui démontrent qu'il avait médité sur la condition humaine au-delà de ce qu'exigeait la victoire de sa secte. Enfin, ses fragments posthumes nous livrent ses préoccupations, étrangères aux habiletés tactiques de la lutte contre ses adversaires. Robespierre, au temps de la Constituante, avait défendu avec ténacité les idées valables pour l'époque d'une démocratie conséquente. Sous la Convention sa philosophie, inspirée de Rousseau, son jacobinisme de plus en plus égocentrique, toujours pénétré de théisme, l'amène à concevoir une société républicaine abstraite et fermée dont le culte de l':8tre suprême, devenu religion obligatoire, est le couronnement théorique. Robespierre tomba avant que, par le jeu de la terreur ou de nouvelles institutions, il n'eût réussi à mettre le peuple français dans l'état de catharsis préalable à l'avènement de la société vertueuse. Rousseau avait opposé l'homme civil à l'homme naturel et considéré comme bonnes les institutions sociales « qui savent le mieux dénaturer l'homme, lui ôter son existence absolue pour lui en donner une relative, et transporter le moi dans l'unité commune» 37 • Les institutions de Saint-Just dénaturent l'homme, comme on plie le tronc d'un arbre, pour lui faire contracter des habitudes déterminées d'avance; et elles l'insèrent dans un système fermé à tout progrès ultérieur, aux relations rigides, marquées, selon leur auteur, des sceaux de l'absolu et de l'éternité. Système opposé à l'esprit des droits de l'homme, où se dessine une société ouverte construisant dans le temps sa propre histoire. La déclaration des droits est foncièrement optimiste ; prise à la lettre, elle est un acte de confiance dans la capacité humaine de surmonter librement les contradictions qui opposent les deux natures individuelles dont parle Rousseau, ainsi que les contradictions propres à la société elle-même. Comme celles de Montesquieu et de Rousseau, la conception de Robespierre et de Saint-Just est paradoxalement pessimiste, puisque leur divinisation du peuple présuppose un nouvel état moral réalisé, à l'abri du « crime » et des « brigands ». Elle exige une catharsis dénaturante pour l'accession à la «bonté», empyrée dont n'est pas exclue la terreur, malgré le dégoût qu'elle a pu causer à Saint-Just. Pessimiste, Saint- Just l'est profondément q11and il repousse toute idée libérale et rejette toute vie spontanée qui n'aurait pas été au préalable réglée par de savantes institutions. Peut-être le chef militaire l'emporte-t-il sur le tenant de la religion naturelle quand il écrit : <c Il faut dans toute révolution un dictateur pour sauver l'~tat par la force 37. Êmil,, I.

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