Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

· Sparte, modèle '.-·~:; de la ·société robespierriste . ' ,... A LA VISION relativiste de Condorcet, Robespierre .et Saint-Just opposent l'idée dogmatique et absolue :·d'une société idéale, ignorant le temps et décrite ~b specie ceternitatis par le second d'entre eux. .Après avoir repoussé le « bonheur » conçu par les Encyclopédistes et en avoir assimilé les partisans .aux « traîtres » et aux « fripons », Saint- Just expose à la Convention sa conception de la société démocratique : Nous vous offrîmes le bonheur de Sparte et celui ci' Athènes dans ses beaux jours [ ?]... Nous vous offrîmes pour bonheur la haine de la tyrannie, la volupté d'une cabane et d'un champ fertile cultivé par vos mains. 12 De quelle Athènes s'agit-il ? D'après ce que nous savons, certainement pas celle de Périclès, libérale, commerçante et artistique. Est-ce celle de Pisistrate ou plutôt celle des Trente, après la victoire de Sparte ? Nous ne pouvons le dire, car de toute manière Athènes n'est pas plus un modèle pour Saint-Just qu'elle ne le fut pour Rousseau. Athènes n'intéresse pas non plus Robespierre. Le 18 floréal, dans son discours philosophique, il n'y fait aucune allusion : Les siècles et la terre sont le partage du crime et de la ~rannie, la liberté et la vertu se sont à peine reposées :un instant en quelques points du globe. Sparte brille comme un éclair dans les ténèbres immenses. .. .... ~ . ,1 ·.:•Ainsi Athènes participe de l'obscurité mondiale 01:i'tègnent le crime et la tyrannie; Sparte est élevée a:u rang de guide suprême et éclàirê de l'humanité : Ja pyramîde oligarchique de castes superposées, lès deux rois sacerdotaux, le règne des vieillards, la .mobilisation permanente et autres aimables i11stitutions de Lacédémone seraient-ils donc devenus des exemples sur la route difficile de la démoc_ratie moderne ? On a peine à le croire. Le prestige de Sparte durant la Révolution .française tiendrait plutôt aux exploits· patriotiques de Léonidas qu'à la servitude des ilotes, d'ailleurs perpétuellement révoltés contre l'aristocratie. La Convention aurait-elle pu s'inspirer de l'assemblée « populaire » spartiate, l' apella ? Mais celle-ci n'était qu'une chambre d'enregistrement, ce que la Convention deviendra dans l'hiver de 1794, sous la férule des deux comités. Les institutions de Sparte étaient oligarchiques et aristocratiques, nullement démocratiques. Il reste qu'en dehors de quelques héros plus ou moins mythiques, Sparte n'a brillé ni par les arts qu'elle a bannis, ni par la douceur de son régime, mais exclusivement par sa longévité et son immobilité. A partir du VIIIe siècle, Sparte échappe au temps. Selon Plutarque, le légendaire et mysté2~ Discours du 23 ventôse. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL rieux Lycurgue aurait fait jurer aux Spartiates de ne jamais modifier leurs institutions avant qu'il ne le leur conseille. S'étant suicidé après, les institutions restèrent les mêmes jusqu'à la conquête romaine. Or, Plutarque était le bréviaire des hommes de la Révolution, sortis pour la plupart des collèges d'oratoriens, où se cultivait le mythe des héros antiques. De plus, l'ordre républicain devait être inaltérable aux morsures du temps comme aux assauts de ses ennemis. Nouveaux Lycurgues, ils avaient la satisfaction orgueilleuse de croire qu'ils légiféraient pour l'éternité. Enfin, ils pouvaient appeler Rousseau en renfort. N'avait-il pas à maintes reprises, dans son Discours sur les sciences et les arts, dans sa réponse à Borde, dans l' Émile, etc., préféré Sparte à Athènes ? Sparte était la source pure de la vertu et de l'austérité; Athènes, celle de la corruption par le luxe et les arts. L' Athènes moderne se confondait dans l'esprit des Jacobins avec la brillante aristocratie du XVIIIe siècle qui avait fait souffrir Rousseau et dont ils poussaient les rejetons sous la guillorine, au nom de la vertu humiliée ou plus simplement de la défense républicaine. . Une société manichéenne et théiste Quand Rousseau parle de Lacédémone, il dit : « Là ... les hommes naissent vertueux et l'air même du pays semble inspirer la vertu. » 13 Le problème de la République, pour ses disciples, est donc de créer une société où effectivement les hommes naîtront vertueux, et où les méchants et les vicieux n'auront pas accès. Cela suppose un tri dans la société présente, séparant le bon grain de l'ivraie, les hommes vertueux des hommes corrompus. A cette société, qui est, par avance, dédiée à Rousseau, il faut une couronne philosophique qui en fixe le sens et permette d'y rassembler les hommes de « bien ». Ce sera là le rôle du culte officialisé de l't;:tre suprême, du Dieu de Rousseau, devenu le protecteur de la République, c'est-à-dire de la vertu qui en est le fondement. Mais à ce culte il ·faut adjoindre la hache du bourreau pour en éloigner les « vicieux » et les « brigands ». Deux jours après la fête inaugurale de l't;:tre suprême, Robespierre de sa seule initiative, sans consulter les Comités, fait voter à une Convention terrorisée la loi de P~airial, qui doit exterminer ses ennemis. Son premie\- objet était de se débarrasser de collaborateurs ou d'exécutants qui, en pourchassant les criminels vrais ou supposés, étaient eux-mêmes devenus des criminels plus grands encore. A plus long terme, cette loi était un instrument parfait pour chasser du temple les hommes suspects de vices, puisqu'elle condamnait à mort l'accusé sur la simple hypothèse de la perversité de ses intentions réelles ou supposées. Elle ressuscitait le dogme de la prédestination, séparant les bénéficiaires de la vertu, de 1~ masse des réprouvés. 13. Discours sur les sciences et les arts. •

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