Af. COLLINET c'est-à-dire à l'exécution, les admirateurs de l'Encyclopédie. « Ils [les Encyclopédistes] se sont prostitués aux factions et surtout au parti d'Orléans; les autres se sont renfermés dans une lâche neutralité. » 7 Antinomie des idées de Robespierre et de Condorcet Parmi eux, il insulte Condorcet qu'il considère, à juste raison, comme l'homme le plus représentatif de l'Encyclopédie. Il le fait d'ailleurs avec cette pointe démagogique dont tous les dictateurs du xx0 siècle ont usé et abusé et qui consiste à opposer l'honnête travailleur au perfide intellectuel : Tel laboureur répandait la lumière de la philosophie dans les campagnes, quand l'académicien Condorcet, jadis grand géomètre, dit-on au jugement des littérateurs, et grand littérateur, au dire des géomètres, depuis conspirateur timide méprisé de tous les partis, travaillait sans cesse à l'obscurcir par le perfide fatras de ses rhapsodies mercenaires. 8 Cette médiocre diatribe serait incompréhensible si Condorcet n'avait été que le timide adversaire, louvoyant entre la Gironde et la Montagne, le critique très platonique de la_Constitution jacobine de 1793. Certes, Condorcet avait écrit ou laissé écrire, en 1792, ces phrases mordantes sur Robes- • pierre: Il a tous les caractères non pas d'un chef de religion, mais d'un chef de secte; il s'est fait une réputation d'austérité qui vise à la sainteté ... ; il parle de Dieu et de la Providence; il se dit l'ami des pauvres et des faibles; il se fait suivre par les femmes et les faibles d'esprit, il reçoit gravement leur adoration et leurs hommages ... Robespierre est un prêtre et ne sera jamais que cela. 9 C'était justement quand Robespierre fondait le culte officiel et obligatoire de 1'1;:tre suprême qu'il pouvait se souvenir avec humeur de ces lignes prophétiques. Mais l'hostilité de Robespierre avait des sources plus profondes que la réminiscence d'une polémique avec des auteurs morts ou disparus. 1° Comme Saint-Just, il prétendait « ramener les définitions à la conscience» et se méfiait de l'esprit. Condorcet était en effet, sur tous les plans, l'antithèse vivante de Robespierre. Pour Condorcet, philosophe-géomètre formé par d'Alembert, la politique était la science de l'homme. Il ramenait donc les définitions à l'esprit plutôt qu'à la 7. Discours du 18 floréal. 8. Ibid. 9. Chron~u, d, Paris, 9 novembre 1792. Ce journal était publié par Condorcet et Rabaut-Saint-Etienne. 10. Plus d'un mois auparavant, Condorcet s'était suicidé dans la prison de Boura-la-Reine, mais son corps n'avait pas encore ité identifié. Biblioteca Gino Bianco • -71 conscience. Dans la ligne spirituelle de l'Encyclppédie, il voulait à l'exemple des mathématiques rationaliser cette science en faisant du comportement humain son objet d'étude d'abord, un principe d'action ensuite. Bien avant Saint-Simon et Auguste Comte, Condorcet jetait les bases d'une sociologie et d'une science politique qui fussent autre chose que les conceptions sentimentales d'un Rousseau et la religion morale d'un Robespierre. · Toute science est ouverte; aucun dogme a priori ne peut la circonscrire ou la freiner ; la vérité d'aujourd'hui est erreur de demain et inversement. Pour réaliser cet idéal de l'Encyclopédie, Condorcet faisait confiance à l'homme, à sa capacité infinie d'adaptation et de dépassement, à son besoin de dominer le monde sensible comme de se comprendre soi-même. Identifiant, comme ses maîtres de l'Encyclopédie, le crime avec l'ignorance ou le jugement faux, Condorcet affirmait cette vue généreuse et singulièrement optimiste qu'en fin de compte à tout progrès scientifique doit .correspondre un progrès physique et surtout moral de l'espèce humaine. Il est ici hors de notre sujet de critiquer cette idée d'évolution progressiste dont le xrxe siècle s'est particulièrement nourri et qui est encore l'espoir de nombreux hommes à notre époque, bien que nous ne possédions plus cette belle certitude a priori. Remarquons seulement que pour les Encyclopédistes, et davantage encore pour Condorcet, toute réforme politique ou sociale n'est efficace que si elle laisse à l'homme qui en bénéficie la possibilité de transcender sa situation et d'ouvrir ainsi les portes de l'avenir. Toute réforme suppose donc la consolidation de ce que nous appelons une société «ouverte», c'est-à-dire une société qui peut matériellement et intellectuellement se remettre en question. 11 . Condorcet pensait que « l'erreur a droit à la liberté ». 11 ne croyait pas seulement avec Pascal à la relativité géographique de l'erreur, il croyait aussi à sa relativité temporelle. Les mœurs devaient évoluer si vite à ses yeux que la vérité d'une génération devait être l'erreur de la suivante et réciproquement. Aussi avait-il prévu dans son projet de constitution qu'elle devait être révisée tous les vingt ans. Il aurait créé ainsi, obéissant à son besoin de changement, un régime instable et sans sécurité, une constitution héraclitéenne n'admettant une situation comme étape que pour la dépasser. Mais cette utopie temporelle n'était pas dépourvue d'un fondement sérieux : il craignait surtout que les institutions, si libérales fussent-elles, ne devinssent des marchepieds pour une tyrannie nouvelle. Multipliant les garanties individuelles> sa constitution trop anarchiste aurait été incapable de fonctionner même si la Montagne en avait voulu. Mais elle lui en substitua une autre due à Hérault de Séchelles et qui, chacun le sait, ne fonction0& pas davantage. 11. Cf. M. Collinet : u Sur deux types de sociétés »,. L, Contrat social, I, 2 (mai 1957).
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