70 nouveau Bureau de police, placé sous son contrôle immédiat, ·dans le dessein de contrer et d'épurer le Comité de Sûreté générale, où se trouvent trop de ses adversaires. Le 16 germinal (15 avril), Saint-Just remonte à la tribune pour exposer la nécessité d'une nouvelle police plus sévère et plus « pure » que l'ancienne., afin de « saisir le crime corps à corps », et propose la nomination de deux commissions, l'une pour créer un code civil, l'autre pour examiner les futures institutions auxquelles il travaille. A l'occasion, il développe une théorie opposant la « conscience», siège véritab~e de la liberté et de l'égalité, à l' « esprit » plus ou ·moins perverti. Ce thème se retrouve dans ses fragments posthumes sur les institutions républicaines : « Il faut ramener toutes les définitions à la conscience, l'esprit est un sophiste qui conduit toutes les vertus à l'échafaud. » Cette méfiance pour l' « esprit » s'inspire de celle de Rousseau pour l'esprit de l'Encyclopédie. Nous touchons là, sous des dehors abstraits ou éthiques, aux deux courants révolutionnaires qui, parfois en mêlant les deux sources, s'attachent davantage l'un à Rousseau (et après lui dans une moindre mesure à Mably), l'autre aux encyclopédistes ,et souvent aux physiocrates, .tout -.en .Jnvo.quant l'un et l'autre l'autorité de Montesquieu. Pour celui-ci, la vertu était le principe même de la démocratie, mais il donnait à ce terme une définition politique : l'amour des lois et de la patrie. « Cet amour demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières ; elles ne sont que cette préférence. » 2 Cette vertu politique a un caractère public ; elle exige le dévouement de la personne à la collectivité humaine, et l'amour de l'ordre qui émane de cette collectivité. L'exemple de Rome montre que la perte de cette vertu est m~rtelle pour la république ; « on était libre avec les lois, on veut être libre contre elles ... ce qui était maxime on l'appelle rigueur, ce qui était règle, on l'appelle gêne » 3 • Cette vertu, c'est ce que les hommes de 1792 nomment le patriotisme; et là-dessus, ils ne se distinguent pas les uns des autres. Mais quand cette vertu patriotique se moralise, quand elle prend., sous l'influence de Rousseau, l'aspect du Bien commun, on arrive rapidement à identifier les dirigeants de la patrie avec les défenseurs du Bien., et leurs adversaires avec les suppôts du Mal. Les • • • A • • A • • 1nst1tut1ons, meme emp1r1ques, meme prov1so1res, prennent un caractère sacré. L'expédient, même odieux, disparaît derrière le symbole et on en vient à parler de la « sainteté » du Tribunal révolutionnaire ou de la guillotine. Robespierre et Saint-Just croyaient sans doute en leur mission de fondateurs de société, mais ils usèrent à tel point de cette sanctification du pouvoir pour accabler leurs adversaires que la- Convention s'étant retournée contre eux, ils ne trouvèrent dans lè::rituel révolu- • 2.. Esprit des lois, IV, 5. 3. EsPrit des lois, III, 3. BibliotecaGinoBianco '. LE CONTRAT SOCIAL tionnaire ni texte ni force suffisamment consacrés à lui opposer le jour du 9-Thermidor. Robespierre contre l'Encyclopédie POUR ROBESPIERREcomme pour Rousseau, les lois de l'État sont les moyens d'accéder à ce bonheur commun qui représente la fin morale de l'État. Elles sont donc l'expression d'une « raison sublime » et le législateur apparaît comme un nouveau Moïse en contact avec la divinité, apportant au peuple les tables de son bonheur. Montesquieu disait qu'on était c< libre avec les lois ». Il est aisé, avec un peu de sophistique, d'en déduire que l'on n'est libre qu'avec les lois et que plus il y a de lois réglementant la vie sociale, plus on est libre. En fin de compte, la liberté inspirée de Rousseau est synonyme de l'aliénation complète de l'individu dans l'être collectif de la cc .volonté générale ». C'est bien cela que Robespierre et Saint-Just entendaient par les mots de liberté et de bonheur. Ils détestaient l'hédonisme qu'affichaient les Encyclopédistes lorsqu'ils définissaient le bonheur individuel comme la satisfaction de nos inclinations ou recommandaient de rechercher le bien-être et d'éviter ·1a douleur.· Le· baron d'Holbach mettait dans le bien-être la source des sentiments de sociabilité, Robespierre et Saint- Just la mettent dans la pratique de la vertu et le culte de l':Ëtre suprême. On comprend que plein de fureur contre Helvétius, Robespierre ait ordonné aux Jacobins de détruire le buste de cet « intrigant, un misérable bel esprit, un être immoral et un des cruels persésécuteurs de ce bon Jean-Jacques» 4 • Peut-être Helvétius prévoyait-il la carrière de Robespierre quand il écrivait que « rien n'est plus dangereux qué les passions dont la raison conduit l'emportement » ? La raison est ici l'idée dogmatique que Robespierre se fait du citoyen doué de vertu et qui ne conçoit pas la liberté hors de sa vertu. Plus généralement, Robespierre a proclamé sa haine de la « secte » des Encyclopédistes et a vu en elle la synthèse de tous les « vices » qu'il a détruits ·en exécutant ses adversaires girondins, hébertistes ou Indulgents : A cette secte, dit-il, on doit en grande partie cette espèce de philosophie pratique qui, réduisant l'égoïsme . en système, regarde la société humaine comme une guerre de rus"e,°le succès comme la règle du juste et de l'injuste, la\probité comme une affaire de goût ou de bienséance, le monde comme le patrimoine des fripons adroits ... 5 Se considérant comme le vengeur et l'exécuteur testamentaire de Rousseau 6 , il voue à l'exécration, 4. 5 décembre 1792. Cité par Aulard : Le Culte de a Raison et le culte de l' Etre Supr2me. 5. Discours du 18 floréal sur l'Etre suprême. > ' 6. Aux Jacobins, le 27 avril 1792, Robespierre répondait à Brissot et Guadet : « Les philosophes ·ont persécuté la vertu et le génie de la liberté dans la personne de ce Jean-Jacques dont j'aperçois ici l'image sacrée ... ., • )(• .. '
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