Le Contrat Social - anno II - n. 2 - marzo 1958

- revue historique et critique Jes /aits et Jes idées MARS 1958 A. G. BORON .......... . MICHELCOLLINET .... . BERTRAMD. WOLFE .. . - bimestrielle - Vol. Il, N° 2 La grande illusion Le monde fermé de la Vertu Pérennité du despotisme L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE F. SETON ............. . ALEXANDERKORAB .. . L'homme et le plan Un allié des comm11nistes polonais PAGES RETROUVÉES E. F. GAUTIER ........ . Le passé de l'Afrique du Nord IN MEMORIAM MARGUERITE THIBERT Jules L. Puech QUELQUES LWRES Victor ALBA: C011u11uniisnmLatin America, de Robert J. Alexander. - Robert PETITGAN:D Les Bourgeoisconquérants, de Charles Morazé. - Paul BARTO:N Les Conditionsde travail dans l'entreprisesoviétique, de Leif Bjork. - Pierre LocHAK: Histoire des institutions, de Jacques Ellul. - Léon EMERY: L'Automation, de Frédéric Pollock. - Joseph FRANK: Dostoievsk,yin Russian Literary C riticism, 1846-1956, de VladimirSeduro. CHRONIQUE Autre point d'histoire INSTITUT D'HISTOIRE SOCIALE, PARIS s· lioteca Gino Bianco •

Principaux artièles au sommaire des précédents numéros du CONTRAT SOCIAL MARS 1957 Raymond Aron De l'inégalité Léon Emery Du contrat social Maxime Leroy Sainte-Beuve politique et social Aimé Patri La politique platonicienne et notre temps D. Anine Le problème de la " débolchévisation " * MICHEL CHEVALIER LE PREMIERPEUPLEDUMONDE SEPTEMBRE 1957 B. Souvarine L'évolution soviétique Joël Carmichael L'islam et les Arabes Simone Pétrement La critique du marxisme chez S. Weil Michel Collinet Une sociologiedu pouvoirsoviétique Sidney Hook Jugement moral et ambiguïté historique * ALEXANDRE HERZEN "LA CLOCHE" • 'MAI 1957 B. Souvarine Le spectre du marxisme Michel Collinet Sur deux types de sociétés A. G. Horon La France et les sciences de l'homme Karl A. Wittfogel Marx et le despotisme oriental N. Valentinov Tchernychevski et Lénine * MICHEL BAKOUNINE LE CATtCHISMEDURÉVOLUTIONNA/RE NOVEMBRE 1957 Maxime Leroy Stirner contre Proudhon lsaiah Berlin Le ''père" du marxisme russe N. Valentinov Le mausolée de Lénine Branko Lazitch Djilas et la "Nouvelle Classe" Roger Caillois Pour une théorie élargie des jeux , * MAXIME GORKI • LE.COUPD'tTAT BOLCHlVIK JUILLET 1957 Léon Emery De Comte d Marx A. G. Horon Le panarabisme Aimé Patri Une biographie de Marx Gregory Grossman Rationalisation et dégel Richard E. Pipes Le colonialismesoviétique * VICTOR CONSIDERANT LE MANIFESTEDE.LA DtMOCRATIE. JANVIER 1958 Léon Emery L'Université et l'idéologie A. Bennigsen L'islam et l'Union soviétique Robert Petitgand Robespierre,l'homme de la Vertu Richard Walker Le voyage en Chine Leo A. Loubère Louis Blanc historien * GEORGES SOREL LA BIBLE Ces numéros so-r,t en vente à l'administration de la revue, 165, rue de l'U.nlverslté, Parls-78 Le numéro : 175 F Les six numéros : 900 F (Franco de port) /

revue kistorique et critÎIJHeJes faits et Jes iJées MARS 1958 - V 0 L. 11, N ° 2 . . . SOMMAIRE A. G. Horon ... LA GRANDE ILLUSION .........•...••......... . . Michel Collinet .. LE MONDE FERMÉ D.E LA VERTU ........ -.-... = ~ ·~. . . . Bertram D. Wolfe PÉRENNITÉ DU DESPOTISME .................. . l.•E,cpérience communiste F. Seton ..•..... Alexander Korab • r • • • r - Pages retrouvees E. F. Gautier .. ln memoriam Marguerite Thibert Quelques livres !. ' ' • Victor Alba .•...... Robert Petitgand .. L'HOMME UN ALLIÉ . ET LE PLAN ........................ . DES COMMUNISTES POLONAIS ..... . ' ' .- LE PASSÉ DE L'AFRIQUE DU NORD • • • • • • • • • • • • JULE.S L. PUECH •••••••••••••••••••••••••••••••• COMMUN/SMIN LATIN AMERICA, de ROBERT J. ALEXANDER LESBOURGEOISCONQUÉRANTS, de CHARLES MORAZÉ ..• Paul Sarton . . . . . . . LES CONDITIONS DE TRAVAIL DANS L'ENTREPRISESOVIÉ- .. Page 63 69 8.0 92 95 100 108 113 115 TIQUE, de LEIF BJORK ........... : . . . . . . . . . . . . . . . . . 110 Pierre Lochak . . • . HISTOIREDES INSTITUTIONS, de JACQUES ELLUL • . . . . . . 117 Léon Emery • . . . . . . L'AUTOMATION, de FRÉDÉRIC POLLOCK . . . . . . . . . . . . . . . . 117 Joseph Frank • . . . . . DOSTO/EVSKYIN RUSS/ANLITERARYCR/TIC/SM,1846-1956, de VLADIMIR SEDURO . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 18 Notes de lecture - Livres reçus ( .. I Chro~lque - . AUTRE POINT D'HISTOIRE . . . . . • • • • • • • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . • . 12 1 I J Biblioteca Gino Bianco Correspondance •

, . •,, OUVRAGES RECENTS ' . DE NOS COLLABORATEURS Maxime Leroy: Histoire des Idées sociales en France T. I. - De Montesquieu à Robespierre· · T. Il. - De Babeuf à Tocqueville T. Ill. - D'Auguste Comte à Proudhon Paris, Librairie Gallimard. 1946-19 50-19 54. Léon Emery: La Vision shakespearienne du monde et de l'homme Lyon, Les Cahiers Libres, 37, rue du Pensionnat. 1957. Raymond Aron: Espo1r ·et ·peur du siècle (ESSAISNON PARTISANS) Paris, Calmann-Lévy, éditeurs. 19 57. La Tragédie algérienne (COLLECTIONTRIBUNELIBRE) · Paris, Librairie Pion. 1957. Denis de Rougemont: L'Aventure occidentale de l'homme Paris, Éditions Albin Michel. 1 9 5 7. , ' ' Lucien Laurat·: Pro·btèmes actuels du socialisme Paris, Les lies d'Or. 195 S. Branko A. Rossi: Autopsie du stalinisme Postface de D. de Rougemont Paris, Éditions Pierre Horay. 19 57. Lazitch: Tito et la Révolution (/937-1956) Paris, Fasquelle. 1 9 57. yougoslave ' . : ~ Michel Collinet : Du bolchévisme ÉVOLUTION ET VARIATIONS DU MARXISME-LÉNINISME . ' . . ' Paris, Le Livre contemporain. 1957. . . ROGER-CAILLOIS . ..-. esieuxet es ommes . (lemasquet. le vertige) 1 vol. 750 fr. / Biblioteca Gino Bianco . ' • ' . ,

. - •· ... rev11e!tistoriqi1e MARS 1958 et critique Jes faits et Jes iJées Vol. Il, N° 2 LA ·GRANDE ILLUSION par .A.. G. Horon . ' ' 1 DE N<?S JOURS, 1~ grand_e_ill~sion est . touJours celle qtu depuis dix ans a · · consisté à se persuader - comme la France officielle avant· 1e désastre de 1-940 _:. que « nous vaincrons parce que ·nous sommes les plus forts». On se souvient des affiches de propagàride qui illustraient cet aphorisme en résumant la philosophie des Alliés pendant la « drôle de guerre» : sur tous les murs, des mappemondes en· rouge et noir révélaient l'illusoire grandeur des prétendues Puissances, prête à engloutir la tache infime qui représentait lè territoire de l'insolent agresseur. Cependant, ballon de propagande, cette force si impressionnante sur le papier se dégonfla dès les· premiers coups de l'ennemi pourtant plus «faible». Celui-ci n'eut en effet aucun mal à déborder, sur le terrain militaire et psychologique, une ligne Maginot qui devenait désormais (du moins pour le monde anglo-américain) le symbole même d'une stratégie d'immobilisme et de suicide. Aujourd'hui on érige à grands frais - à frais astronomiques - une ligne Maginot d'un nouveau genre, non plus seulement en Europe, mai~ en Amérique et tout autour du globe. Bien entendu, la nouvelle construction se situe à un niveau très supérieur de technologie. Il n'est plus question d'aligner de simples forteresses en, béton et d'y installer des pièces d'artillerie à l'ancienne mode. On veut confier maintenant tout notre avenir à un réseau de bases ultra-modernes ou de rampes de lancement pour armes « absolues » : fusées futuristes aux caractéristiquesencore incertaines,engins interBiblioteca Gino Bianco • continentaux, satellites fragiles qui pourtant circulent déjà dans les orbites jusqu'ici réservées aux comètes et aux astres. Mais malgré toutes les différences de style, de technique, de science (ou de science-fiction), cet arsenal fantastique et inhumain ne correspond à rien d'autre· qu'à la précédente stratégie de passivité, renforcée d'un chantage réciproque à la terreur .. ·C'est l'expression matérielle d'un espoir sans espo4', la matérialisation d'un calcul qui prétend éviter l'Apocalypse en fàisant trembler d'horreur l'adversaire autant qu'on· tremble soi-même .. Il n'y a là aucun signe visible d'une résolution ·qui consisterait à agir dans le présent immédiat, avant qu'il ne soit trop ·tard, afin d'éteindre 1es flammes d'une guerre non déclarée, pas toujours «froide », et menée à sens 11nique. · · Plus que jamais, les fondements de la stratégie occidentale appellent une révision sérieuse. Il ne s'agit pas seulement des aspects purement militaires, mais aussi des principes de politique les plus généraux : la définition de la p~ et de la guerre, le concept même de supériorité et de victoire doit être réexaminé avec lucidité. Tant que l'humanité n'est pas réduite à une population muette de robots, que les armées n'ont pas été transformées en batteries d'automates pour une guerre pousse-bouton, il reste vrai que l'issue de tous les conflits nationaux ou internationaux dépend du jeu des forces morales autant que des déterminismes matériels. Le caractère, le courage et l'intelligence, l'énergie spirituelle et la confiance mutuelle entre associés sont aussi décisifs que la masse pure et simpl~, ou le

64 poids du nombre, ou la mécanique orgànisée. Personne ne semble contester une vérité aussi évidente, pas même les experts, les technocrates et autres stratèges en Occident. Les États-Unis qui accumulent des stocks de bombes nucléaires dont le pouvoir de destruction se mesure en milliers de mégatonnes se ·préoccupent aussi de ·· planifier la « guerre psychologique» et tâchent de« mener le combat de la paix» par des moyens impondérables. Il existe donc d'autres forces que celles de la physique. Or parmi les gens qui admettent cette dualité du spirituel et du matériel, du moins en théorie, rares sont ceux qui en tirent les conclusions pratiques. Avec une monotonie déprimante, d'une année à l'autre se succèdent les manifestations stériles de la passivité occidentale. Maladie des cerveaux, ou des cœurs - non des corps - elle se cache dans les méandres d'une politique par laquelle on arme les adversaires éventuels, on encourage les ennemis déclarés tout en croyant pouvoir acheter la sympathie de neutres hargneux ou hostiles, et concilier ce qui n'admet ni conciliation ni • co~prorms. _ _ _ __La question se pose aux maîtres de la stratégie occidentale : sommes-nous vraiment conscients .de .la valeur suprême du moral (pour ne rien dire _·de la morale) en tant que source de tout pouvoir _politique digne de ce nom, de toutes alliances ou çoalitions efficaces ? Question qui n'implique pas la .négation du rôle des États-Unis dans la vie internationale. Il ne s'agit pas non plus de rejeter les responsabilités_ de l'Occident sur la _seule Amérique. Les erreurs des Américains. suivent une ornière creusée depuis longtemps par les Européens qui ont fait faillite et se sont trahis eux-mêmes à l'époque d'entre les deux grandes guerres. On ne saurait _éluder ladite _q_uestion, et d'autres_qui s'ensuivent, si l'on veut écarter une catastrophe peut-être évitable. .. ·- ; ' 0 . , N NE VAINC PAS automatiquement en etant --_ -matériellement les plus forts. En réalité --(une _réalité dont les faiseurs de plans tiennent rarement compte) il se trouve bien ·souvent -que ·ce sont les « plus faibles » qui l'emportent, · tant dans la défensive que dans l'offensive. Toute · !'Histoire est là pour le prouver, depuis la Bible et -Hérodote jusqu'à nos jours. · ·' Dans le programme d'éducation classique · {enc~re en vigueur en Europe, des deux côtés du ·rideau de fer) les jeunes gens prennent leur prenûére leçon de civisme à l'école des _guerres médiques. - C'est la résistance de Sparte et --d'Athènes contre, les Perses, la supériorité de BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL Pallas Athéné sur le Grand-roi, l'esprit héroïque de la Cité en armes faisant face aux hordes du despotisme asiatique·qùi est l'Idée fondamentale, mère de toute civilisation en Occident. ··Depuis -lors··1à·vérÎt~ble·Europe, même et surtout l'Europe conquérante, ·.a fondé sa grandeur - sur son génie plus que- ·sur ses forces armées. Dans la discorde perpétuelle qui unit l'Occident à l'Orient, aucune victoire ne fut plus fructueuse que celle d'Alexandre qui poussa l'hellénisme jusqu'en Inde. Mais quelles étaient donc les ressources matérielles du royaume de Macédoine, comparées à celles de l'empire des Achéménides? Autre exemple, symbolisant mieux encore le sort du monde européen : Rome, avec sa grandeur et sa décadence. Les Romains, lorsqu'ils entreprirent de dominer le Mare nostrum, n'étaient ni riches ni nombreux. La ville impériale devint populeuse, fastueuse, opulente pendant que son immense Empire déclinait, alors que n'importe quelle bande de Barbares hardis pouvait en faire sa proie, et que cinquante millions d'hommes se paraient du nom pompeux de ((Romains ». . . Toutefois, il ne faudrait pas croire que ce rapport inverse entre la vraie grandeur et les trompeuses dimensions numériques ou spatiales soit un trait spécifique de la seule histoire européenne. Celle des pays de l'autre côté de la Méditerranée abonde en illustrations du même paradoxe apparent, et particulièrement dans le moride de l'Islam. .. Ils étaient maigres, faméliques, ils n'étaient qu'une poignée, ces Bédouins rôdeurs et pillards qui battirent les fiers capitaines du Roi des rois et du _César de Byzance. _Mais lorsque_ ces -mêmes Arabes se furent installés en heureux possédants, en gens trop gras, d-ansleur domaine sans bornes (ce qui arriva au bout de cent ans -environ), ils furent . balayés aussitôt par des rivaux· plus affamés, qui brandirent à leur tour le glaive de l'Islam. Les derniers furent ces Turcs qui donnèrent l'assaut à Constantinople, assiégèrent Vienne, faillirent expulser la chrétienté de la .Méditer- .ranée en la refoulant vers les océans .encore ·ténébreux, à la périphérie du mon_de civilisé. Ils semblaient irrésistibles, les Turcs ottomans : · l'Europe, l'Asie, puis l'Afrique tremblaient à leurs pieds, jusque vers la fin du xv1e, voire en plein xv11e siècle. Pourtant ils n'étaient point très nombreux tant qu'ils restèrent terribles. Dans leur immense empire, au cœur des trois. continents, ils ne se multiplièrent que dans leur décadenc~/ sorte que bientôt leur Sultan-Calife devint ,l'Homme Malade proverbial, jouet _d_e -la diplomatie européenne. ..-. .-..- .

, La chronique ·des « Sept Mers » du monde (comme on dit en anglais) est pleine du même • ·enseignement. L'Angleterre de la première Élisabeth était une nation de quelques millions d'âmes, à peine capable de dominer sa propre ile et de s'imposer à l'Écosse rivale. Mais au cours des trois siècles suivants, ces Anglais peu nombreux créèrent le plus puissant empire des temps modernes, autour de tous les océans et continents du globe. Depuis· une quinzaine d'années on assiste à son démembrement, alors que les gens de langue ou ·d'origine anglaises se comptent par centaines de niillions. Si vraiment il y avait un déterminisme gouvernant la formation et la désagrégation de l'Empire britannique, il s'agirait non pas tant d'une loi mécanique que d'une fatalité de psychologie. .,. · Après d'autres, Napoléon aurait dit: « Dieu est du côté des gros bataillons.» Mais il faut comprendre ·la maxime dans le contexte de la ·pensée napoléonienne, où elle exprime l'axiome militaire de la concentration des efforts. Si l'on veut y voir un cynisme, un fatalisme matérialistes, alors toute la carrière du grand Corse y oppose son démenti : Bonaparte était bien plus « faible » que ses antagonistes pendant la campagne d'Italie ; l'Enipereur disposera d'une grosse marge de supériorité numérique sur les Russes lorsqu'il ira chercher son destin à Moscou. De notre temps, qui est celui de la culture des masses et de la terreur ·massive, il est néanmoins possible de citer des cas où la valeur des hommes compense le poids des mécanismes. En 1939-1940, tandis que les puissances de l'Europe occidentale piétinaient au bord du gouffre, la Finlande remporta des succès défensifs contre l'incommensurable puissance soviétique, dont 1a poussée aurait dû être immédiatement mortelle. Personne, peut-être pas même les Finlandais, ne s'attendait à ces succès qui assurèrent et pour le moment continuent d'assurer la survie de cette petite nation du Nord européen. Un exemple hors série, puisqu'il rattache les problèmes du présent aux traditions les plus antiques, est celui de la récente reconstitution politique d'Israël. Aujourd'hui, on trouve naturel que ce minuscule État puisse tenir une place aux premiers rangs de l'arène proche-orientale et méditerranéenne. Militairement, il est en effet manifeste qu'Israël contrebalance n'importe quelle combinaison d'États arabes, ou prétendus tels. Pourtant, si l'on prend la peine d'y réfléchir, il apparaît que les vertus athéniennes sont là pour servir les vivants et non point seulement pour honorer les morts. L'lsraël moderne qui se formait en 1945-1949, qui repoussait pêleBiblioteca Gino Bianco • mêle une demi-douzaine d'armées,; avait_ pou_r dimensions· .quelques milliers de kilo~ètr~ carrés peuplés de quelques. centaines de mj\l_e habitants : grandeur comparable à- celle de. l_a république d'Athènes aux plus beaux jours d_e Miltiade et de Thémistocle. Précisément une prière hébraïque .tracijtio~:- .nelle commémore. chaque année cette tactique judéenne, maccabéenne, grâce à laquelle « les forts sont livrés aux mains des faibles, ceux qtti sont nombreux aux mains de ceux qui ne le spnt pas ». Digne croyance, et utile, de nos jours plu~ • • que Jamais. ; * * * .. ' SANS DOUTE cette thèse peu à la mode serat-elle écartée par les raisonneurs qui préfèrent ergot~r sur les détails techniquC?s, ou sur les mots. Il est évidemment facile de décrire tout vainqueur, après coup, comme « le plus fort» - avec l'esprit de l'escalier et dans un sens spécial, voire spécieux. Mais des arguties ne sauraient affecter la vérité générale. Quant aux arguments qui portent sur le niveau technologique où se déroule tel ou tel conflit, ils n'éclairent pas le problème qui nous intéresse. Technologie et stratégie ont toujours été mêlées, depuis le temps de la phalange macédonienne jusqu'à celui de la division blindée. La relation était déjà établie il y a dix mille ans et plus, dès l'invention de l'arc et des flèches; à vrai dire elle remonte bien plus loin, aux premières massues et pierres de jet. Certes la cuirasse et le dressage gymnastique de l'hoplite athénien ou lacédé.- monien entrent pour une part dans sa capacité de battre l'archer perse à la robe flottante. Pourtant cela ne rend pas compte de grand-chose ; car le cavalier mède, puis parthe, avait lui aussi ses avantages. On vante la solidité de la phalange; mais quand elle s'effondre brusquement, on parle avec autant de justesse de la flexibilité des légions romaines. Et ainsi de suite : il n'y a vraiment rien de moderne dans ce genre .de discussions. La ·technologie est un facteur qui doit figurer ·dans toute équation politico-militaire et qui prend même une importance rapidement croissante; mais ce facteur n'est pas en soi décisif universellement. D'autre part, la supériorité stratégique peut provenir d'éléments non techniques et non militaires. On vient de rappeler quel fut le développement étonnant de l'Angleterre en tant que puissance navale. Or, ce qui l'emporta ne fut pas le vaisseau de ligne anglais (techniquement il n'était pas supérieur au navire français ;

66 ·souvent -même il lui était inférieur); ce ·fut ,]'esprit maritime des Anglais, ouvert aux principes :essentiels· de la grandeur océanique. Il suffit de ·renvoyer le lecteur à l'ouvrage du capitaine ~ Mahan, théoricien de la marine américaine au siècle dernier, qui a brillamment analysé les ·mobiles psychologiques (plutôt que technolo- :gïques) d'un type de puissance impériale que les :Grecs déjà appelaient thalassocratie, maîtrise .:de la mer. Autre illustration : lorsque la France révolu- ·tionnaire triompha des. monarchies de l'Europe coalisée, la République le dut à une innovation sensationnelle, mais de nature morale et non point technique : la levée en masse, d'où sortiront toutes les armées nationales et les mobilisations modernes. Ce n'était que l'application de la 4.~mocratie à l'art _militaire, la prise de conscience ·_guerrièredu «peuple souverain ». Elle transforma Ja fonction même du commandement; elle mit :fin _au savoir-faire aristocratique en matière de _gouvernement ; elle déclencha l'évolution vers ·_la guerre totale - mais elle ne devait rien, ou . . , . presque rien aux 1ngerueurs, aux savants. * )f )f .· · ·Au COURS des guerres mondiales du présent •siècle, les démocraties occidentales remportèrent -des victoires aussi écrasantes que désastreuses et stériles. Les Alliés avaient exploité à plein leur capacité de mobiliser un immense potentiel économique - après 1915 et de nouveau après ·1941. Qui osera imputer leur amer triomphe à une supériorité de talent militaire, ou de ·technique strictement militaire ? Il est -difficile de nier qu'à l'Ouest les Alle- .mands, numériquement surclassés, se montrèrent en général «supérieurs» militairement - à leur .propre dam et ruine. Ils le prouvèrent aussi (à quel prix pour eux-mêmes et surtout pour autrui) sur les fronts de l'Est. Pour des raisons qui ont leurs racines dans la psychologie nationale, dans l'ineptie politique des Allemands, dans la démence hitlérienne, les Panzers victorieux s'embourbèrent dans la boue épaisse d'une Russie qui technologiquement restait encore bien en retard ; tandis que la machine industrielle des Anglo-Américains faisait pleuvoir le feu et le soufre sur une Europe qui s'écroulait dans une capitulation totale, inconditionnelle, aboutissant à cette victoire qui n'a supprimé un problème ·que pour en créer d'autres. Les Anciens, dans leur sagesse laconique, se méfiaient déjà des «victoires à la Pyrrhus ». Lè soldat allemand des dernières guerres ·en eut BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL ·lui aussi· - le · ·pressentiment, · lorsqu'il · disait : <c Wir werden uns zum Tode siegen... » * ., Qui gagne, quoi et comment? On ne joue pas sur les · mots, on tâche de comprendre la réalité en. s'interrogeant ainsi. Ce n'est •pas seulement le ·concept de « force », c'est celui de «guerre» et celui de« victoire» qui sont ambigus. Il faut s'efforcer de dégager leur signification concrète dans chacune des situations complexes, nuancées, fugitives qui se présentent . L'objet de la force véritable, la fin légitime de toute victoire, la seule justification de la guerre comme de la paix, c'est - quand tout est dit - de résoudre certains problèmes, et non de les rendre insolubles (par exemple en jetant dessus trop de bombes ou une bombe trop grosse). « La guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens », a dit Clausewitz. Les termes de· cette -définition quasi cartésienne sont naturellement interchangeables. Car, bien entendu, la politique (c'est-à-dire ici les affaires internationales) est une lutte continue : une guerre par d'autres moyens. Ces moyens ne doivent pas nécessairement _être «supérieurs» au sens étroitement technologique ou militaire. Le Kremlin communiste était technologiquement fort inférieur à la MaisonBlanche démocratique lorsque Staline dupa Roosevelt en Europe centrale et dans l'ExtrêmeOrient. Aucun satellite artificiel ne troublait encore le sommeil des cieux et de la terre lorsque Khrouchtchev sautait déjà par-dessus l'immobile cordon sanitaire . de l'OTAN et -du Pacte de _Bagdad au Proche-Orient, en se servant pour toute échasse du très simple moyen qui consistait à ruser mieux que personne pour transformer l'Égypte, puis la Syrie en satellites. Acrobatie élémentaire qui n'indique aucun génie parmi les dirigeants communistes. Mais il importe surtout d'avoir une notion bien claire de la façon -dont se joue une partie de poker quand eUe a le monde pour enjeu. * )f )f ARRIVÉ à ce ~int, on doit répondre à une objection qui a dû se former dans certains esprits, objection qui annulerait toutes les « lois inflexible~ » de !'Histoire, toutes les règles, recettes et astuces de la diplomatie, et même les avis plus réalistes de la subtilité machiavélique. En· fait, l'objection, si on lui- accordait assez de portée, abolirait toute stratégie en réduisant à 11éant la vie elle-même. * « A force de vaincre., nous[ nous] crèverons.

• :·.:n s'agit (comme le lecteur l'·a sans· doute ~é) de la formule qui torture tout le monde : << Nous vivons à l'âge atomique.» Avec ce sousentendu que toute l'expérience du passé, tout l'héritage des sagesses séculaires, voire le simple bon sens doivent désormais se taire ; ou attendre dans une résignation muette que vienne l'oracle des experts inexperts en matière d'astronautique. ·' Ce n'est pas ici le lieu d'exorciser chacune des superstitions, folies ou hérésies pseudo-scientifiques qui viennent encombrer la saine pensée militaire et politique en ce qui concerne l'influence prétendument décisive de cette nouvellè astrologie : celle des satellites artificiels, des fusées intercontinentales, des contre-fusées et autres fantasmagories. 11 suffira d'expliquer pourquoi l'idée d'une révolution totale causée par la « stratégie atomique » ou « nucléaire » ne semble pas convaincante. · De toute évidence cet « âge atomique » nous entraîne soit vers a. l'équilibre des terreurs, l'impasse des superpuissances nucléaires, soit -vers b. .la guerre nucléaire totale. Tertium non datur. · ·Les spécialistes, carriéristes et politiciens divers ·qui···dissertent à leur aise sur les engins « A » soi-disant tactiques, alors que les engins << H », -dignes .de Satan, ·seraient réservés · aux seules -mis~ions stratégiques, parlent pour ne rien dire. Personne ne sait exactement ·ce qui arriverait si les bombes, obus ou fusées nucléaires ..;._en . . . . . , . . •ID1Ss1otnacnque ou strateg1que, peu importe - se mettaient à tomber un peu partout. Mais quiconque n'a pas déjà perdu la raison sent bien que ces comètes artificielles seraient nécessairement le présage d'une forme nouvelle d'enfer : chaos ·physique et social, une de ces « fins du monde >} ·dans l'embrasement universel qu'annoncent tant -de ·mythologies. Il n'est point. prouvé que cela causerait l'extinction de toute vie sur notre planète, ni même l'anéantissement de l'humanité tout entière. Mais sûrement il s'agirait - et ·cette fois pour de bon - de la fin de notre univers civilisé : nuit, et non plus seulement crépuscule de l'Occident (pour user de la terminologie de Spengler *). Et c'est bien pourquoi le deuxième terme de l'alternative., la guerre nucléaire totale, présente peu d'intérêt pour le véridique observateur et le véritable praticien de l'art politique : il est du d<1rnainede l' Apocalypse. D'ici là, c'est-à-dire avant le Jugement dernier, nous continuerons de vivre comme nous vivons, en groupes sociaux, en communautés nationales, en Etats ou Empires • L'Midon f~nçaisC; de. Unter1ar1 des Abendlandts a Pour dtre Dkl,n th l Occident. Mais le premier sens de Unur•an, nt cr~uacule. Biblioteca Gino Bianco 6'1. souverains. Le sujet de nos .étµdes, l'objet d~ nos efforts restera comme par_ le passé l'homo politicus, et non l' « homo apocalypticus ». Cet être collectif continuera d'obéir (ou parfois de désobéir) aux lois de la politique, non à celles de la science-fiction. Malheureusement, il faut exclure également l'utopie d'un désarmement complet ou d'une réconciliation sincère qui serait le. produit de la terrorisation réciproque sinon de l'amour du prochain ... Ainsi donc, seul le premier terme de l'alternative, l'impasse nucléaire, mérite d'être retenu et pris au sérieux. LES DEUX protagonistes· démesurés, Union soviétique et États-Unis, apparaissent ·déjà au point mort de ·leur rivalité~·· de leur course nucléaire. Ce néanmoins, la lutte se poursuit sans répit, quoique par « d'autres moyens» ~ selon l'excellente formule. Mais, ce qui est pis., le Kremlin mène une guerre en somme unilatérale contre l'Amérique perplexe, l'Europe exsangue, le. monde libre décontenancé ·_ guerre d'infiltration, de subversion, de chantage ; et partout où cela lui semble possible et nécessaire, guerre de coercition .directe (comme. en Hongrie, pour ne. prendre que le plus récent exemple). En d'au~res termes, les communistes font la guerre par tous les moyens sauf celui du suicide atomique~ Quant aux .États-Unis, mal équipés pour cette sorte de belligérance, ils ne se sentent ni à même ni désireux de prendre la tête d'une contre-offensive ··politique .de même nature, pourtant urgente. Depuis 1945, ils n'ont à aucun moment exercé ce genre de leadership alors même qu'ils se trouvaient au sommet de leur pouvoir et de leur prestige internationaux. Car la doctrine Truman, le plan Marshall, la défense de la Grèce., de Berlin, de Formose, de la Corée, etc., si dignes d'éloges qu'ils fussent, étaient toutes des opérations essentiellement défensives. Une telle attitude qui ne vise qu'à « contenir » l'ennemi (containment policy) ne peut guère obtenir de résultats durables. A peine est-il besoin de mentionner les velléités plus tardives et ·vite abandonnées, telles que la «libération», le « refoulement » (roll-back), la déambulation somnambulique « au bord de l'abîme » (« brinkmanship ») et autres « doctrines ». D'autre part., les efforts bien intentionnés mais toujours incohérents visant à réorganiser, à ressouder pacifiquement les fragments épars d'une économie globale, ou à en faire une « communauté mondiale » selon le schéma de l'ONU (institution

68 " • J . ' désormais corrompue et minée par la présënce arabo-communiste) - tous ces efforts semblent accomplis en pure perte. . · Les bénédictions américaines : prospérité, èontenteÏnent économique des masses, libertés privées et pubµques, quoique appréciées encore p_arla plupart des gens aux États-Unis et enviées par· des millio~s 4'Européens en· deçà de l' Atlantique, n'ont ·pu s'étendre à une majorité des populations du Vieux ou même du Nouveau Monde. D'ailleur~ lesdites bénédictions pouvaient . ' . . . rarement convenir a ceux qui gouvernaient ces populations : oligarchies, diétatures, féodalités et tyrannies de toutes espèces. L'exemple du « pays de Dieu » ( Gad's own country) n'a pas suffi à « assurer le salut mondial de la démocratie » (make the world safe f ot democracy). Chose plus grave, ce qui tient lieu de « leadership » aux démocraties a parfois réussi à freiner, mais n'a presque jamais empêché l'irruption du communisme, la rupture des fronts eurasiatiques du monde libre; ni la manœuvre d'encerclement non moins dangereuse qui se poursuit sous le rideau de fumée des xénophobies pseudo-nationalistes afro-asiatiques; ni l'agression permanente du panarabisme, lequel tend à graviter maintenant vers la masse centrale de l'Eurasie communiste. Une partie notable de l'humanité encore insoumise, y compris ce qui reste de nations civilisées le long de la Méditerranée et en Europe continentale, est donc forcée bon gré mal gré de se frayer une voie de salut par ses propres moyens - en face du danger sans cesse croissant de l'impérialisme islamo-communiste. 11 est donc probable que tout en neutralisant les Soviets sur le plan technologique, les États-Unis vont avoir à tenir compte d'initiatives multiples dans le monde libre. Pour s'en convaincre, point n'était besoin de réunir à Paris, en novembre 1957, les chefs de quinze gouvernements. La tendance était fort apparente dès 1956 au plus tard, dès avant la campagne du Sinaï et l'expédition à Port-Saïd. D'ailleurs une solution strictement « atlantique» ne suffirait plus. Un partage anglo-américain du « leadership », un condominium de Londres et Washington n'apporterait rien de nouveau : dans les affaires mondiales, la Grande-Bretagne et les États-Unis forment déjà une sorte de superpuissance de l'Atlantique. Ce dont l'humanité a besoin désormais, c'est de constellations BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOQAL nou~elles, capables de grouper et de guider maints peuples divers dans les diverses régions non asservies ou mal asservies. · Contrairement aux apparences (nucléaires ou purement numériques), l'époque de l'hégémoniè des superpuissances tire à sa·· fin; les· vieilles· nations de l'Europe veulent se relever. La direc.:. tion que prennent les affaires internationales dessine des zigzags - souvent imprévus à Londres ou à Washington comme à Mos·cou..:....:. sous l'influence croissante des puissances· dê second rang, voire de pays plus petits. Car il en est qui sont mieux équipés (du moins psychologiquement) pour la « guerre-et-paix conduite par d'autres moyens». Lè fait que ces États d'importance dite secondaire ne produisent pas encore d'armes atomiques n'est pas nécessairement, pour eux, un désavantage. Dans la région d'importance majeure qui embrasse l'Afrique du Nord et le· Proche-Orient, . c'est la France maintenant qui réaffirmè son indépendance d'action. Comme elle, certaines nations pourtant bien moindres, voire très petites numériquement -la Turquie-ou Israël-jouent désormais en Méditerranée un rôle considérable. Enfin il faut convenir que la ·même tendance apparaît parmi les satellites « comm11nisés n de l'URSS, lesquels m·ontrent plus ou moins de hâte à s'affranchir -:- tels les Polonais après les Yougoslaves (pour ne rien dire des Hongrois et d'autres peuples). · C'est là une évolution que les États-Unis auront avantage à encourager, selon leurs intérêts bien compris. Au point où nous en sommes de ce fameux « âge atomique », mieux vaut redistribuer le poids des responsabilités en laissant se multiplier de nouveau les centres de pouvoir et les équilibres ·de puissance - comme ce fut toujours le cas pendant les périodes vraiment créatrices de !'Histoire. Les Américains, avec raison, ne veulent pas assumer une politique étrangère qui risquerait d'aboutir à la catastrophe atomique, à la conflagration universelle. L'Europe craint le suicide autant que l'Amérique. Et pourtant il est bien clair que le monde libr~ périrait tout e'-tier, d'une façon ou d'une autre, si l'on s'en tenait encorè pendant quelques années à une stratégie immobile de défense nucléàire et à 1a passivité politique. . - , A. G. HoRON > •

Bicentenaire de Robespierre LE MONDE FERMÉ DE LA VERTU par Michel Collinet LE XVIIIe SIECLE n'a pas puisé son esprit révolutionnaire dans le sentiment qu'une évolution historique devait provoquer la fin des superstitions et des absolutismes, mais dans l'idée que le contact direct de l'homme avec la nature, contact assuré par la raison ou par le sentiment, amènerait rapidement la mort d'un passé détesté. La «philosophie» s'ouvrait sur l'espace~· elle ne plongeait pas dans le temps. Des encyclopédistes et parmi eux des physiocrates ont eu la vision d'une évolution progressive, brisant les restrictions économiques comme les frontières politjques pour amener l'espèce humaine à un état de liberté et d'unité. ~ais la plupart des «philosophes » se sont préoccupés de reconstruire dans le présent, c'est-à-dire dans un monde statique et connu par des lois rationnelles, une société où l'homme puisse retrouver cette nature éternelle qu'ils lui attribuaient à priori. La Révolution française a subi fortement cette influence et ses protagonistes ont toujours eu le sentiment qu'ils légiféraient pour l'univers et pour l'éternité. A· ce sujet, un Condorcet a été une exception par son relativisme historique et par son souci de marquer des étapes, plutôt qu'une fin absolue. Cloots lui-même, malgré ses puériles inconséquences, a éprouvé le besoin de transcender l'acte révolutionnaire des Français. Par contre, Robespierre et Saint-Just se sont faits les pionniers intransigeants et despotiques d'un nouveau monde moral, fondé sur la vertu, fermé sur lui-même, où se seraient combinées sous le thème du Contrat social des formes jacobines et primitives de société. Sur cette société, Robespierre, absorbé par sa lutte contre les « brigands », n'a jamais projeté que des lueurs hésitantes. Saint-Just a mis sur le papier les fragments des futures institutions. Il est impossible de dire si Robespierre les etit acceptées ainsi, mais il est cependant probable qu'elles n'étaient pas contraires à ses idées personnelles ; elles les Biblioteca Gino Bianco • complétaient logiquement 1 • Robespierre s'en tenait le plus souvent aux affirmations morales qui convenaient à son rôle fréquent d'accusateur. Saint-Just, bien qu'il ait été souvent le «gourdin >, de Robespierre, allait plus loin dans cette logique politique, que des observateurs comme Barère ou Baudot lui ont reconnue comme une qualité dominante. Enfin, les «institutions » devaient faire l'objet d'une étude par une commission de la Convention, que les événements e·mpêchèrent de , . se reurur. La « eonscience " et l' « eîprit " Le 8 ventôse an II (26 février 1794), Saint-Just, s'en prenant aux dantonistes, constate que « les institutions qui sont l'âme de la République nous manquent ». Fondées sur la vertu, elles doivent codifier la vie quotidienne « soit pour comprimer les mœurs, soit pour arrêter la corruption des lois ou des hommes». Elles doivent être morales et pénales. Bien que Saint-Just considère la terreur comme une « arme à deux tranchants» et que plus tard, il émette les plus grands doutes sur son efficacité, il n'entend point l'abandonner au moment où il attaque hébertistes et dantonistes. Dans son discours du 23 ventôse (13 mars) où il amalgame les deux tendances, il demande aux premiers s'ils ne veulent point de « vertu pour être heureux » et aux seconds, s'ils ne veulent point de« terreur contre les méchants ». Après la liquidation des deux factions, Robespierre fait voter la création d'un 1.. Le 8 thef~idor 1 R~be~pierre r~grettait que le projet de .Samt-J ust n ait éte ni discuté, ni adopté. A. Mathiez écrit : << Il est bien cert.ain Que ,Saint-Just et Robespierre, à cett~ d,te !iu 5 therm.id<?r, avaient la pensée toute pleine çles. « mstitutions républicaines », Qui leur paraissaient aussi indispensables au salut du nouveau régime Que la distribution deJ biens des suspects aux pauvres. » (Girondins et Monta- ~nards, p. 163).

70 nouveau Bureau de police, placé sous son contrôle immédiat, ·dans le dessein de contrer et d'épurer le Comité de Sûreté générale, où se trouvent trop de ses adversaires. Le 16 germinal (15 avril), Saint-Just remonte à la tribune pour exposer la nécessité d'une nouvelle police plus sévère et plus « pure » que l'ancienne., afin de « saisir le crime corps à corps », et propose la nomination de deux commissions, l'une pour créer un code civil, l'autre pour examiner les futures institutions auxquelles il travaille. A l'occasion, il développe une théorie opposant la « conscience», siège véritab~e de la liberté et de l'égalité, à l' « esprit » plus ou ·moins perverti. Ce thème se retrouve dans ses fragments posthumes sur les institutions républicaines : « Il faut ramener toutes les définitions à la conscience, l'esprit est un sophiste qui conduit toutes les vertus à l'échafaud. » Cette méfiance pour l' « esprit » s'inspire de celle de Rousseau pour l'esprit de l'Encyclopédie. Nous touchons là, sous des dehors abstraits ou éthiques, aux deux courants révolutionnaires qui, parfois en mêlant les deux sources, s'attachent davantage l'un à Rousseau (et après lui dans une moindre mesure à Mably), l'autre aux encyclopédistes ,et souvent aux physiocrates, .tout -.en .Jnvo.quant l'un et l'autre l'autorité de Montesquieu. Pour celui-ci, la vertu était le principe même de la démocratie, mais il donnait à ce terme une définition politique : l'amour des lois et de la patrie. « Cet amour demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre, donne toutes les vertus particulières ; elles ne sont que cette préférence. » 2 Cette vertu politique a un caractère public ; elle exige le dévouement de la personne à la collectivité humaine, et l'amour de l'ordre qui émane de cette collectivité. L'exemple de Rome montre que la perte de cette vertu est m~rtelle pour la république ; « on était libre avec les lois, on veut être libre contre elles ... ce qui était maxime on l'appelle rigueur, ce qui était règle, on l'appelle gêne » 3 • Cette vertu, c'est ce que les hommes de 1792 nomment le patriotisme; et là-dessus, ils ne se distinguent pas les uns des autres. Mais quand cette vertu patriotique se moralise, quand elle prend., sous l'influence de Rousseau, l'aspect du Bien commun, on arrive rapidement à identifier les dirigeants de la patrie avec les défenseurs du Bien., et leurs adversaires avec les suppôts du Mal. Les • • • A • • A • • 1nst1tut1ons, meme emp1r1ques, meme prov1so1res, prennent un caractère sacré. L'expédient, même odieux, disparaît derrière le symbole et on en vient à parler de la « sainteté » du Tribunal révolutionnaire ou de la guillotine. Robespierre et Saint-Just croyaient sans doute en leur mission de fondateurs de société, mais ils usèrent à tel point de cette sanctification du pouvoir pour accabler leurs adversaires que la- Convention s'étant retournée contre eux, ils ne trouvèrent dans lè::rituel révolu- • 2.. Esprit des lois, IV, 5. 3. EsPrit des lois, III, 3. BibliotecaGinoBianco '. LE CONTRAT SOCIAL tionnaire ni texte ni force suffisamment consacrés à lui opposer le jour du 9-Thermidor. Robespierre contre l'Encyclopédie POUR ROBESPIERREcomme pour Rousseau, les lois de l'État sont les moyens d'accéder à ce bonheur commun qui représente la fin morale de l'État. Elles sont donc l'expression d'une « raison sublime » et le législateur apparaît comme un nouveau Moïse en contact avec la divinité, apportant au peuple les tables de son bonheur. Montesquieu disait qu'on était c< libre avec les lois ». Il est aisé, avec un peu de sophistique, d'en déduire que l'on n'est libre qu'avec les lois et que plus il y a de lois réglementant la vie sociale, plus on est libre. En fin de compte, la liberté inspirée de Rousseau est synonyme de l'aliénation complète de l'individu dans l'être collectif de la cc .volonté générale ». C'est bien cela que Robespierre et Saint-Just entendaient par les mots de liberté et de bonheur. Ils détestaient l'hédonisme qu'affichaient les Encyclopédistes lorsqu'ils définissaient le bonheur individuel comme la satisfaction de nos inclinations ou recommandaient de rechercher le bien-être et d'éviter ·1a douleur.· Le· baron d'Holbach mettait dans le bien-être la source des sentiments de sociabilité, Robespierre et Saint- Just la mettent dans la pratique de la vertu et le culte de l':Ëtre suprême. On comprend que plein de fureur contre Helvétius, Robespierre ait ordonné aux Jacobins de détruire le buste de cet « intrigant, un misérable bel esprit, un être immoral et un des cruels persésécuteurs de ce bon Jean-Jacques» 4 • Peut-être Helvétius prévoyait-il la carrière de Robespierre quand il écrivait que « rien n'est plus dangereux qué les passions dont la raison conduit l'emportement » ? La raison est ici l'idée dogmatique que Robespierre se fait du citoyen doué de vertu et qui ne conçoit pas la liberté hors de sa vertu. Plus généralement, Robespierre a proclamé sa haine de la « secte » des Encyclopédistes et a vu en elle la synthèse de tous les « vices » qu'il a détruits ·en exécutant ses adversaires girondins, hébertistes ou Indulgents : A cette secte, dit-il, on doit en grande partie cette espèce de philosophie pratique qui, réduisant l'égoïsme . en système, regarde la société humaine comme une guerre de rus"e,°le succès comme la règle du juste et de l'injuste, la\probité comme une affaire de goût ou de bienséance, le monde comme le patrimoine des fripons adroits ... 5 Se considérant comme le vengeur et l'exécuteur testamentaire de Rousseau 6 , il voue à l'exécration, 4. 5 décembre 1792. Cité par Aulard : Le Culte de a Raison et le culte de l' Etre Supr2me. 5. Discours du 18 floréal sur l'Etre suprême. > ' 6. Aux Jacobins, le 27 avril 1792, Robespierre répondait à Brissot et Guadet : « Les philosophes ·ont persécuté la vertu et le génie de la liberté dans la personne de ce Jean-Jacques dont j'aperçois ici l'image sacrée ... ., • )(• .. '

Af. COLLINET c'est-à-dire à l'exécution, les admirateurs de l'Encyclopédie. « Ils [les Encyclopédistes] se sont prostitués aux factions et surtout au parti d'Orléans; les autres se sont renfermés dans une lâche neutralité. » 7 Antinomie des idées de Robespierre et de Condorcet Parmi eux, il insulte Condorcet qu'il considère, à juste raison, comme l'homme le plus représentatif de l'Encyclopédie. Il le fait d'ailleurs avec cette pointe démagogique dont tous les dictateurs du xx0 siècle ont usé et abusé et qui consiste à opposer l'honnête travailleur au perfide intellectuel : Tel laboureur répandait la lumière de la philosophie dans les campagnes, quand l'académicien Condorcet, jadis grand géomètre, dit-on au jugement des littérateurs, et grand littérateur, au dire des géomètres, depuis conspirateur timide méprisé de tous les partis, travaillait sans cesse à l'obscurcir par le perfide fatras de ses rhapsodies mercenaires. 8 Cette médiocre diatribe serait incompréhensible si Condorcet n'avait été que le timide adversaire, louvoyant entre la Gironde et la Montagne, le critique très platonique de la_Constitution jacobine de 1793. Certes, Condorcet avait écrit ou laissé écrire, en 1792, ces phrases mordantes sur Robes- • pierre: Il a tous les caractères non pas d'un chef de religion, mais d'un chef de secte; il s'est fait une réputation d'austérité qui vise à la sainteté ... ; il parle de Dieu et de la Providence; il se dit l'ami des pauvres et des faibles; il se fait suivre par les femmes et les faibles d'esprit, il reçoit gravement leur adoration et leurs hommages ... Robespierre est un prêtre et ne sera jamais que cela. 9 C'était justement quand Robespierre fondait le culte officiel et obligatoire de 1'1;:tre suprême qu'il pouvait se souvenir avec humeur de ces lignes prophétiques. Mais l'hostilité de Robespierre avait des sources plus profondes que la réminiscence d'une polémique avec des auteurs morts ou disparus. 1° Comme Saint-Just, il prétendait « ramener les définitions à la conscience» et se méfiait de l'esprit. Condorcet était en effet, sur tous les plans, l'antithèse vivante de Robespierre. Pour Condorcet, philosophe-géomètre formé par d'Alembert, la politique était la science de l'homme. Il ramenait donc les définitions à l'esprit plutôt qu'à la 7. Discours du 18 floréal. 8. Ibid. 9. Chron~u, d, Paris, 9 novembre 1792. Ce journal était publié par Condorcet et Rabaut-Saint-Etienne. 10. Plus d'un mois auparavant, Condorcet s'était suicidé dans la prison de Boura-la-Reine, mais son corps n'avait pas encore ité identifié. Biblioteca Gino Bianco • -71 conscience. Dans la ligne spirituelle de l'Encyclppédie, il voulait à l'exemple des mathématiques rationaliser cette science en faisant du comportement humain son objet d'étude d'abord, un principe d'action ensuite. Bien avant Saint-Simon et Auguste Comte, Condorcet jetait les bases d'une sociologie et d'une science politique qui fussent autre chose que les conceptions sentimentales d'un Rousseau et la religion morale d'un Robespierre. · Toute science est ouverte; aucun dogme a priori ne peut la circonscrire ou la freiner ; la vérité d'aujourd'hui est erreur de demain et inversement. Pour réaliser cet idéal de l'Encyclopédie, Condorcet faisait confiance à l'homme, à sa capacité infinie d'adaptation et de dépassement, à son besoin de dominer le monde sensible comme de se comprendre soi-même. Identifiant, comme ses maîtres de l'Encyclopédie, le crime avec l'ignorance ou le jugement faux, Condorcet affirmait cette vue généreuse et singulièrement optimiste qu'en fin de compte à tout progrès scientifique doit .correspondre un progrès physique et surtout moral de l'espèce humaine. Il est ici hors de notre sujet de critiquer cette idée d'évolution progressiste dont le xrxe siècle s'est particulièrement nourri et qui est encore l'espoir de nombreux hommes à notre époque, bien que nous ne possédions plus cette belle certitude a priori. Remarquons seulement que pour les Encyclopédistes, et davantage encore pour Condorcet, toute réforme politique ou sociale n'est efficace que si elle laisse à l'homme qui en bénéficie la possibilité de transcender sa situation et d'ouvrir ainsi les portes de l'avenir. Toute réforme suppose donc la consolidation de ce que nous appelons une société «ouverte», c'est-à-dire une société qui peut matériellement et intellectuellement se remettre en question. 11 . Condorcet pensait que « l'erreur a droit à la liberté ». 11 ne croyait pas seulement avec Pascal à la relativité géographique de l'erreur, il croyait aussi à sa relativité temporelle. Les mœurs devaient évoluer si vite à ses yeux que la vérité d'une génération devait être l'erreur de la suivante et réciproquement. Aussi avait-il prévu dans son projet de constitution qu'elle devait être révisée tous les vingt ans. Il aurait créé ainsi, obéissant à son besoin de changement, un régime instable et sans sécurité, une constitution héraclitéenne n'admettant une situation comme étape que pour la dépasser. Mais cette utopie temporelle n'était pas dépourvue d'un fondement sérieux : il craignait surtout que les institutions, si libérales fussent-elles, ne devinssent des marchepieds pour une tyrannie nouvelle. Multipliant les garanties individuelles> sa constitution trop anarchiste aurait été incapable de fonctionner même si la Montagne en avait voulu. Mais elle lui en substitua une autre due à Hérault de Séchelles et qui, chacun le sait, ne fonction0& pas davantage. 11. Cf. M. Collinet : u Sur deux types de sociétés »,. L, Contrat social, I, 2 (mai 1957).

· Sparte, modèle '.-·~:; de la ·société robespierriste . ' ,... A LA VISION relativiste de Condorcet, Robespierre .et Saint-Just opposent l'idée dogmatique et absolue :·d'une société idéale, ignorant le temps et décrite ~b specie ceternitatis par le second d'entre eux. .Après avoir repoussé le « bonheur » conçu par les Encyclopédistes et en avoir assimilé les partisans .aux « traîtres » et aux « fripons », Saint- Just expose à la Convention sa conception de la société démocratique : Nous vous offrîmes le bonheur de Sparte et celui ci' Athènes dans ses beaux jours [ ?]... Nous vous offrîmes pour bonheur la haine de la tyrannie, la volupté d'une cabane et d'un champ fertile cultivé par vos mains. 12 De quelle Athènes s'agit-il ? D'après ce que nous savons, certainement pas celle de Périclès, libérale, commerçante et artistique. Est-ce celle de Pisistrate ou plutôt celle des Trente, après la victoire de Sparte ? Nous ne pouvons le dire, car de toute manière Athènes n'est pas plus un modèle pour Saint-Just qu'elle ne le fut pour Rousseau. Athènes n'intéresse pas non plus Robespierre. Le 18 floréal, dans son discours philosophique, il n'y fait aucune allusion : Les siècles et la terre sont le partage du crime et de la ~rannie, la liberté et la vertu se sont à peine reposées :un instant en quelques points du globe. Sparte brille comme un éclair dans les ténèbres immenses. .. .... ~ . ,1 ·.:•Ainsi Athènes participe de l'obscurité mondiale 01:i'tègnent le crime et la tyrannie; Sparte est élevée a:u rang de guide suprême et éclàirê de l'humanité : Ja pyramîde oligarchique de castes superposées, lès deux rois sacerdotaux, le règne des vieillards, la .mobilisation permanente et autres aimables i11stitutions de Lacédémone seraient-ils donc devenus des exemples sur la route difficile de la démoc_ratie moderne ? On a peine à le croire. Le prestige de Sparte durant la Révolution .française tiendrait plutôt aux exploits· patriotiques de Léonidas qu'à la servitude des ilotes, d'ailleurs perpétuellement révoltés contre l'aristocratie. La Convention aurait-elle pu s'inspirer de l'assemblée « populaire » spartiate, l' apella ? Mais celle-ci n'était qu'une chambre d'enregistrement, ce que la Convention deviendra dans l'hiver de 1794, sous la férule des deux comités. Les institutions de Sparte étaient oligarchiques et aristocratiques, nullement démocratiques. Il reste qu'en dehors de quelques héros plus ou moins mythiques, Sparte n'a brillé ni par les arts qu'elle a bannis, ni par la douceur de son régime, mais exclusivement par sa longévité et son immobilité. A partir du VIIIe siècle, Sparte échappe au temps. Selon Plutarque, le légendaire et mysté2~ Discours du 23 ventôse. BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL rieux Lycurgue aurait fait jurer aux Spartiates de ne jamais modifier leurs institutions avant qu'il ne le leur conseille. S'étant suicidé après, les institutions restèrent les mêmes jusqu'à la conquête romaine. Or, Plutarque était le bréviaire des hommes de la Révolution, sortis pour la plupart des collèges d'oratoriens, où se cultivait le mythe des héros antiques. De plus, l'ordre républicain devait être inaltérable aux morsures du temps comme aux assauts de ses ennemis. Nouveaux Lycurgues, ils avaient la satisfaction orgueilleuse de croire qu'ils légiféraient pour l'éternité. Enfin, ils pouvaient appeler Rousseau en renfort. N'avait-il pas à maintes reprises, dans son Discours sur les sciences et les arts, dans sa réponse à Borde, dans l' Émile, etc., préféré Sparte à Athènes ? Sparte était la source pure de la vertu et de l'austérité; Athènes, celle de la corruption par le luxe et les arts. L' Athènes moderne se confondait dans l'esprit des Jacobins avec la brillante aristocratie du XVIIIe siècle qui avait fait souffrir Rousseau et dont ils poussaient les rejetons sous la guillorine, au nom de la vertu humiliée ou plus simplement de la défense républicaine. . Une société manichéenne et théiste Quand Rousseau parle de Lacédémone, il dit : « Là ... les hommes naissent vertueux et l'air même du pays semble inspirer la vertu. » 13 Le problème de la République, pour ses disciples, est donc de créer une société où effectivement les hommes naîtront vertueux, et où les méchants et les vicieux n'auront pas accès. Cela suppose un tri dans la société présente, séparant le bon grain de l'ivraie, les hommes vertueux des hommes corrompus. A cette société, qui est, par avance, dédiée à Rousseau, il faut une couronne philosophique qui en fixe le sens et permette d'y rassembler les hommes de « bien ». Ce sera là le rôle du culte officialisé de l't;:tre suprême, du Dieu de Rousseau, devenu le protecteur de la République, c'est-à-dire de la vertu qui en est le fondement. Mais à ce culte il ·faut adjoindre la hache du bourreau pour en éloigner les « vicieux » et les « brigands ». Deux jours après la fête inaugurale de l't;:tre suprême, Robespierre de sa seule initiative, sans consulter les Comités, fait voter à une Convention terrorisée la loi de P~airial, qui doit exterminer ses ennemis. Son premie\- objet était de se débarrasser de collaborateurs ou d'exécutants qui, en pourchassant les criminels vrais ou supposés, étaient eux-mêmes devenus des criminels plus grands encore. A plus long terme, cette loi était un instrument parfait pour chasser du temple les hommes suspects de vices, puisqu'elle condamnait à mort l'accusé sur la simple hypothèse de la perversité de ses intentions réelles ou supposées. Elle ressuscitait le dogme de la prédestination, séparant les bénéficiaires de la vertu, de 1~ masse des réprouvés. 13. Discours sur les sciences et les arts. •

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