2 on devait le faire à satiété par la suite, que l'école laïque était la pierre angulaire de_la République, ce n'était point sacrifier à la rhétorique; mais rappeler un article de foi et aussi une vérité patente. L'histoire politique de la France républicaine est inintelligible pour les étrangers et souvent pour les Français eux-mêmes dès qu'on entre dans le dédale de ses complications byzantines ; mais elle devient étonnamment claire et rectiligne si on lui donne pour axe la bataille scolaire et donc, en dernière analyse, le conflit religieux. L'ÉCOLEPUBLIQUE,appelée brusquement à un immense essor au niveau le plus humble, était par droit de naissance ou prédestination historique l'instrument principal d'une politique « de gauche» qu'on déclarait émancipatrice. S'il est vrai que la gauche ne puisse jama·; se définir que par opposition à la droite, à l'ordre existant, au conservatisme, on comprend que l'école, fidèle à sës origines, se soit vouée à ce qu'elle croyait être un idéal constamment progressiste. Mais encore fallait-il préciser le contenu de cet idéal. Rien de plus simple au départ ; pour bien des raisons de doctrine· et de tactique, les républicains s'étaient convaincus que la force réelle des partis conservateurs résidait en leur liaison avec l'Église catholique et ralliés d'enthousiasme au mot d'ordre de Gambetta, à la consigne anticléricale. 11 eût été contre nature en ces conditions que l'enseignement populaire, berceau du corps électoral, ne fût pas orienté dans le sens que commandait la . conjoncture. C'est pourquoi l'on vit collaborer à sa création des francs-maçons, des protestants, des scientistes, unis par leur commune aversion envers les Jésuites et les ultramontains. C'est pourquoi surtout le terme de laïcité, qu'on prétendait synonyme de neutralité, ne put manquer de recouvrir certaines données très positives et très agissantes. L'école primaire développa sa vie morale, son militantisme, son apostolat, en s'armant de deux idées-forces, l'une contingente, l'autre essentielle. La première, fomentée par la tradition révolutionnaire, par les écrits vite bibliques de Hugo et de Michelet, par le souvenir cuisant · de la défaite, par l'attribution à l'instituteur allemand des mérites de la victoire bismarckienne, exaltait le patriotisme républicain, liait la cause de la liberté à celle de la France et de la revanche. · La seconde pouvait être définie __com~e une philosophie _vulgarisée ·_du prqgrès ; · elle annonçait le proche avènement ·du ·paràdis BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL , sur terre grâce aux vertus conjuguées de la science positive, de la diffusion des lumières et du bulle- . ·tin de vote. _ Il va de soi que cette croyance, inculquée aù nom de l'État, prêchée avec conviction par un personnel sincère et dévoué, reçue d'abord avec ferveur, devenait le moyen le plus efficace d'une large déchristianisation même si, respectant la lettre du contrat, on s'abstenait de toute attaque directe contre les religions révélées. En dépit de ses divisions et des querelles intestines qui semblaient le dévorer, le parti républicain pouvait se flatter d'avoir établi en quelques années les fondements de son règne ; pourtant il n'était pas satisfait et les retours offensifs de ses adversaires ne cessaient· de l'inquiéter ou de l'irriter. On peut dire qu'à travers vents et marées, de crise en crise, de décennie en décennie, il rêvera toujours de compléter son œuvre, c'est-à-dire d'instituer légalement ou pratiquement le monopole universitaire, l'ensei- _gnement d'État à sa convenance, bref l'obligation r~elle, inscrite en principe dans les lois Ferry, appliquée avec des tempéraments dont les doctrinaires de la laïcité s'accommodaient fort mal. Aux alentours de 1900 l'occasion parut bonne de franchir une nouvelle étape. Une fois de plus, l'étincelle étant produite par une affaire judiciaire qui passionna l'opinion, on avait revécu le conflit multiforme et cependant monotone entre la gauche réunifiée d'une part, les éléments conservateurs et cléricaux de l'autre, une fois de plus on avait évoqué le spectre du coup d'État, pour l'exorciser sans doute, mais aussi ·pour s'en servir. Lorsque les républicains groupés dans le « Bloc des Gauches » eurent remporté pleine victoire, les électeurs qui les portaient au pouvoir étant déjà en grande partie d'anciens élèves del' école primaire, ils se hâtèrent de prendre - de nouvelles garanties. On n'a pas assez remarqué que les lois anticléricales édictées par Combes furent principalement dirigées contre les congrégations enseignantes. Appliquées avec rigueur, elles privaient l'Église catholique d'un personnel spécialisé qui avait fait ses preuves et elles portaient à l'école confessionnelle un coup qu'on pouvait croire mortel; l'instauration du monopole semblait superflue. · Dans la perspective de l'histoire les faits donr nous venons de parler constituent un tout solide et logique ; ils nous conduisent au moment QÙ l'entreprise de laïcisation touchait à sa limite et promettait les plus belles moissons à ce qu'on appelle l'esprit radical ; mais dans la_profondeur : des consciences et ·dans _l'opacité des pensées · collectives s'accomplissaient des modulations , imprévues,.: grosses- ·d'un· ·avenir ·tragiqÙè. · ·
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