QUELQUES LIVRES Au pays du sourire RENÉ DUMONT : Révolution dans les campagnes chinoises. Paris, Éditions du Seuil, 1957, 464 pp. IL EÛT MIEUX VALU, pour l'auteur de ce livre, ne l'avoir jamais écrit. Le professeur Dumont nous suggère lui-même cette réflexion lorsqu'il nous informe qu'après l'insurrection hongroise il a quitté l'association des Amitiés franco-chinoises à laquelle il appartenait jusque-là. Ainsi, depuis cette insurrection, René Dumont n'est plus l'homme qu'il était en 1955, lorsqu'il visita la Chine continentale, et qu'il était encore pendant la première moitié de 1956, lorsqu'il rédigeait le compte rendu de son voyage. Mais bien qu'il ait apporté depuis !'Octobre hongrois quelques changements de détail à son manuscrit, il n'a pas remis en question son analyse sociale de la Chine, et particulièrement son appréciation des gens de l'appareil politique communiste, qui, entre temps, surent si bien se solidariser avec les bouchers de Budapest. M. René Dumont est professeur d'agriculture comparée. En 1955, il connaissait, pour l'avoir étudiée, une autre partie de l'Asie, le Tonkin ; mais il n'avait jamais vu la Chine. Il semble donc qu'avant même de partir, il eût pu se documenter sur le pays et ses problèmes par l'étude de quelques livres sérieux, travail qu'il aurait pu poursuivre sur place, dans la mesure des possibilités, par une enquête personnelle. Au lieu de cela, pendant son séjour en Chine, le professeur Dumont s'est laissé constamment promener d'un village à l'autre, et accaparer par les gens de l'appareil communiste (qu'il appelle naïvement la « nouvelle élite rurale »); tant et si bien qu'il n'a guère eu l'occasion de s'informer d'une manière indépendante. Il se sentait tellement reconnaissant envers ceux qui prenaient si gentiment la peine de le piloter qu'il eut à cœur de se tenir à l'écart des victimes ·du régime, jugeant que, de sa part, toute tentative pour s'approcher de ces parias eût été «fort incorrecte». M. Dumont a même poussé la discrétion jusqu'à se tenir éloigné des paysans travailleurs accablés et mécontents, lesquels, d'après la presse communiste chinoise elle-même, sont pourtant très nombreux. M. Dumont a continué d'être «correct» après son départ; c'est ainsi qu'il s'est abstenu, sur le chemin du retour, de se rendre à Formose. Cette réserve, bien que compréhensible, nous semble regrettable, parce que, à Formose, notre auteur aurait vu les résultats d'une réforme agraire honnêtement réalisée à l'avantage des paysans eux-mêmes. Quant au manque d'intérêt manifesté par M. Dumont à l'égard du Japon, où il ne s'est pas non plus arrêté, il est entièrement indéfendable. Tout spécialiste de l'agriculture comparée sait en effet que, si le niveau de vie rural dans la Chine de Mao Tsétoung ne s'est pas amélioré (il est peut-être même inférieur à celui d'avant la« libération»), celui de la paysannerie nippone est en pleine ascension. Les rapports économiques des Nations Unies consBiblioteca Gino Bianco 55 tatent qu'à la suite de la récente redistribution des terres, le niveau de consommation dans les villages japonais s'est accru de plus de 40 % par rapport au niveau d'avant-guerre. JE NE SAIS si le sens des convenances, si particulier à notre auteur, a également influé sur son choix parmi les ouvrages de base relatifs aux conditions rurales en Chine. M. Dumont souligne l'importance du livre de Lossing L. Buck, Chinese Farm Economy, qui date de 1930 et qui est vraiment un ouvrage très instructif ; mais il semble ignorer complètement l'étude beaucoup plus complète que le professeur Buck a publiée depuis, sous le titre Land Utilization in China (3 volumes); paru il y a vingt ans, en 1937-1938, cet ouvrage constitue, en la matière, l'étude la plus complète et la plus récente, celle à laquelle se réfèrent tout naturellement les chercheurs sérieux. Le professeur Dumont ne l'a pas jugé nécessaire. Il a par contre jugé nécessaire d'attirer l'attention sur un autre ouvrage. Après avoir indiqué son désaccord avec le livre critique de Richard L. Walker, China under Communism, M. Dumont marque sa préférence pour d'autres études «américaines» de la même époque, fort «objectives», telles qûe Agrarian China. Malheureusement cette étude n'est ni américaine, ni objective. Agrarian China, en effet, a été publié par l' Institute of Pacifie Relations (dont le siège est bien à New York) et présenté non comme une «étude américaine » mais comme une «compilation de textes d'auteurs chinois». Il se trouve aussi que l'auteur effectif de cette compilation n'est autre que le docteur Chen Han-seng, personnage qui n'a jamais caché ses sympathies pour le régime communiste et qui est actuellement un des universitaires les plus en vue du régime de Mao. Il suffit de parcourir l'ouvrage pour constater que le docteur Chen a choisi ses textes «documentaires »conformément à sa propre position politique, dont le moins qu'on puisse dire est qu'elle n'a rien d\, «objectif». Certes, durant son voyage, M. Dumont n'a pas été sans comprendre qu'il était entre les mains de cicérones politiques spécialisés. Cela ne l'a malheureusement pas conduit à mettre ses lecteurs en garde contre les «informations» qui lui étaient si patiemment communiquées par l' «élite » tant urbaine que rurale. Ses réserves occasionnelles sont associées à une prétention étonnante (étant données les conditions de son enquête) : celle d'être arrivé quand même à la vérité, ce qui vraiment ressortirait du miracle. En fait, le miracle ne s'est pas produit ; et cela parce que M. Dumont a eu le tort de négliger des sources d'information -d'un accès particulièrement facile - et tout ce qu'il y a de plus «correctes ». Si, au lieu de courir d'un village de Potemkine à un autre, le professeur s'était installé tranquillement à Pékin ou à Changhaï devant une table, avec quelqu'un qui fût en mesure de lui traduire les journaux communistes chinois, il aurait
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==