. . 52 centrale de Moscou, rédigées sans aucune connais- ·sance des .conditions allemandes, et demande même que le Parti allemand soit consulté avant toute publication de l'Internationale en langue allemande. En novembre 1921 Reuter écrit : «Les méthodes de lutte du communisme changent. Démasquer, injurier, découvrir des ''traîtres'' est devenu une habitude non seulement superflue, mais nuisible. » Chassé de sa charge, il fait tirer à cinq cents exemplaires une brochure, Sur la crise_de notre Parti, où il revendique sur le plan tactique la liberté d'action pour chaque parti communiste. Dans sa dernière intervention devant le Comité central, où il était combattu par le futur opposant August Thalheimer, Reuter s'élève ouvertement contre la bolchévisation du Parti : «Nous avons accumulé un grand nombre d'expériences qui nous enseignent tout autre chose que les 21 points.» Le lendemain il était exclu. Depuis lors, sa vie politique restera liée à la social-démocratie. Mais celui que Lénine avait présenté un jour au Parti allemand comme un homme «lucide, capable et peut-être trop indépendant», n'avait rien perdu de· ces qualités; maintes fois, les dirigeants social-démocrates allaient se heurter à leur tour à cette regrettable indépendance. Reuter ne s'abandonna pas aux interminables débats idéologiques qui stérilisaient l'action de tant d'autres opposants communistes pendant des dizaines d'années. Il se tourna résolument vers une action positive : la vie municipale. « Enlever l'administration des villes à des bureaucrates d'esprit bourgeois pour en faire la chose du peuple », tel fut désormais son but et bientôt - d'abord comme conseiller municipal à Berlin où il réussit à imposer la fusion de tous les transports en commun, puis comme maire de Magdebourg - sa principale ·occupation. · Il convient de souligner que, tout comme Kurt 'Schumacher, Reuter critiquait chez les socialdémocrates la méconnaissance des réalités nationales. ·Il leur reprochait chaque acte d'abstention, chaque •hésitation à prendre des responsabilités. Trop ·souvent son parti lui paraissait empêtré dans son 'idéologie ·au point d'ignorer les réalités nationales. Nous ne suivrons plus ici la carrière d'Ernst Reuter ·dans la République weim:arienne. Rappelons seu- ,lement que comme maire de Magdebourg il acquit '.une popularité personnelle telle que les nazis :devaient lui interdire par la suite de jamais remettre -les pieds dans la ville. Sous Hitler il fut emprisonné •deux fois, la deuxième fois à Oranienburg et dans les pires conditions ; sa santé en fut ébranlée à jamais. Évoquant cette période en 1946, il écrivit ·à un ami : « Je n'ai cessé, ni pendant que j'étais au camp, ni depuis, de mettre mes camarades en garde contre la haine et la soif de vengeance. La haine est un plat qui ne rassasie pas. » Reuter avait ~efusé d'émigrer tant que certains procès auxquels son nom était mêlé restaient en instance. On avait voulu l'impliquer dans des affaires de corruption. Mais ses enne~s ne purent relever la moindre faute dans sa gestion et l'inter- 'Ventionde quakers anglais lui permit finalement, BibliotecaGinoBianco LE. CdNtRAt-· SOCIAL ·après son deuxième internement, de quitter le pays avec sa famille. Reuter vécut ensuite pendant dix ans ·à Ankara comme professeur et conseiller gouvernemental en affaires administratives et municipales, publiant pendant cette période plusieurs ouvrages consacrés aux finances municipales. Bientôt il fit ses cours en langue turque. Il apprit à connaître la culture et la civilisation du pays qui l'avait accueilli. Ce fut pour lui, en fin de compte, une nouvelle expérience dans l'art de faire fonctionner quelques ·institutions essentielles dans une société dont l'organisation, du point de vue «moderne», était encore plutôt chaotique et dont l'équipement technique restait nettement en deçà de ce qui en Occident passait pour . le «minimum ». Autre préparation donc pour son rôle futur dans une métropole qui elle-même était retombée bien audessous de ce minimum. Ces dix années ont probablement raffermi en lui ces qualités souveraines de patience ~t de calme qui faisaient que toujours, même au plus fort d'une crise, dans la situation la plus inextricable, la plus « impossible », il savait compter avec et sur le temps. Plus tard, on insistera souvent, à propos de Reuter aussi bien que du chancelier Adenauer, sur cette « patience orientale » qwi n'a pas peu contribué au respect qu'ils ont su inspirer aux Occidentaux. QUANTAU RÔLE de Reuter à Berlin auquel il a été fait allusion au début de ce compte rendu, nous renonçons à le retracer ici.* Toutefois il convient de dire ici un mot sur ses relations avec la France. Quoique fêté en Amérique, apprécié en GrandeBretagne, Reuter ne cessa jamais de considérer la ·réconciliation franco-allemande comme la base même de toute politique européenne constructive. Parfois il se sentit un peu découragé par les rebuffades. Ainsi, quatre ans après le blocus de Berlin qui avait fait de la ville et de son bourgmestre un symbole de la liberté, Reuter ne fut pas invité à un congrès de maires qui se tint à Paris. La France ·ne participa pas au «pont aérien » anglo-américain qui sauva Berlin; Reuter ne s'en plaignit jamais, mais il ne goûta guère les interventions de détail de l'autorité française dans l'administration _quotidienne. Dans une lettre adressée en février 1953 .à Eugen Kogon, alors président de l'Union européiste, Reuter écrit : Je maintiens une certaine réserve à l'égard des choses dites européennes... La base de tout, c'est le dépassemeQt de certains différends politiques qui existent entre la France et l'Allemagne. Et là je me demande souvent quelle preuve de bonne volonté il nous reste à donner. Ici à Berlin nous nous heurtons • constamment à l'intervention française dans les moindres détails de la vie administrative. Si le. public n'en sait rien, c'est que j'évite par principe de faire apparaître les conflits avec les puissances occupantes. * F. R. Allemann l'a étudié de plus près dans Preuves, n° 33, (déc. 1953).
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