L. A. LOUBÈRE . la France du péril intérieur et extérieur. 23 Bien que non précédées de l'indispensable propagande, la seconde révolution et la Terreur étaient nécessaires par la force des choses; ni l'une ni l'autre ne se seraient manifestées sans les intrigues de la cour, les méfaits du clergé et des émigrés et l'invasion de la France par des armées étrangères appelées pour renverser l'œuvre accomplie. Sous l'empire de ces circonstances, la France, afin de pourvoir à son salut, se soumit à une forme de dictature, que Robespierre reconnut inévitable en la circonstance; pour lui, le règne de la Terreur était temporaire ; il ne constituait pas un système fait pour durer. 24 Mais un gouvernement fortement centralisé n'en était pas moins indispensable ; seul, il était capable d'opposer à l'intrigue royaliste et à l'intervention étrangère la résistance démocratique au-dedans et au-dehors, tout en égalisant sur les diverses couches sociales le fardeau de la résistance commune. Si les girondins, en l'occurrence, incarnaient la modération, Robespierre et ses disciples incarnaient le salut et l'équité. 25 Selon l'opinion de Louis Blanc, il est grossièrement injuste de faire peser sur Robespierre ou ~ur qui que ce soit la responsabilité de la Terreur qui était une nécessité nationale momentanée et non pas une œuvre individuelle. La société ellemême force les hommes à recourir aux instruments nécessaires à son salut ; et ceux qui actionnent ces instruments sont prédestinés à le faire ; pour eux, agir différemment est· impossible. Robespierre, plus que tous les autres, reconnaît les exigences impératives du salut public, et il agit en conséquence ; mais lorsque, à plusieurs reprises, il essaie de mettre fin au gouvernement de la guillotine, il échoue fatalement dans cette entreprise ; la guillotine ne peut pas disparaître avant que le besoin qu'on a d'elle ait également disparu. 26 Cette notion d'une Société personnifiée, qui se donne les instruments et les serviteurs requis pour son salut, semble difficilement admissible. D'abord elle abolit toute responsabilité individuelle. Selon la propre thèse de Louis Blanc, un réacteur comme Barras ou même comme le général Cavaignac (tristement célèbre pour sa brutale répression des insurgés de juin en 1848) peuvent passer pour des hommes providentiels. En outre, cette thèse affaiblit considérablement l'exigence, mise en avant par l'auteur, d'une société ba~ée sur la justice. La revendication essentielle devient logiquement celle de la préservation de l'ordre, et non pas c;elle de l'équité. A ce compte-là, l'involution thermidorienne, ou celle qui, sous la Seconde République, conduit à un coup d'État impérial, doivent être fêtées comme des opérations salvatrices; on peut se demander, alors, de quel droit Louis Blanc jette feu et flamme contre des mouvements et des hommes qui ne sont, selon ses propres paroles, que 23. Hist. Révol. fr., t. XII, pp. 587 et sqq. 24. Ibid., t. X, pp. 1-3. 25. Ibid., t. X, 1. II, chap. 5. 26. Ibid., t. XI, p. 455; t. XIII, pp. 155 SQQ, BibliotecaGinoBianco 45 des instruments et des « pantins » de la destinée ? 2 7 Il reste que notre socialiste, s'il a Thermidor en horreur, n'érige pas non plus la Terreur en exemple. Au contraire, il en est l'adversaire de toutes ses forces, et voyant les fruits qu'elle a portés en 1793-1795, il ne désire absolument pas recommencer le carnage lorsqu'il accède au pouvoir en 1848. Simplement, il explique les origines et les résultats de la Terreur rouge, et la met en opposition avec la Terreur blanche qui suit la chute de Robespierre. La Terreur rouge est instituée pour libérer la France, la Terreur blanche pour l'asservir. .L'une est un acte de justice, l'autre un acte de vengeance. Et combien doux, poursuit-il, sont les excès momentanés de la démocratie militante lorsqu'on les compare à l'oppression systématique de l'ancien régime! 28 Étant donné que Louis Blanc est censé interpréter la révolution d'un point de vue socialiste, on peut être tenté de se demander pourquoi il persiste à faire de la chute de Robespierre la fin de cet événement historique. Il a su discerner deux courants de révolte; pourquoi n'en a-t-il pas remarqué un troisième, incarné par Babeuf et la conspiration des Égaux? Après tout, Robespierre n'est qu'un précurseur de la fraternité,· tout comme Luther n'est qu'un précurseur de l'individualisme. La vraie fraternité est de nature socialiste, de même que l'individualisme réel est d'essence capitaliste. Pourquoi donc ne pas accorder plus d'attention à Babeuf, infiniment plus représentatif en l'espèce que le petit bourgeois Robespierre? On croit savoir pourquoi l'auteur de l' Histoire de la Révolution néglige délibérément le martyr de 1797. Louis Blanc se montre agacé par les propos de ceux qui voient en lui - non sans raison - un continuateur du babouvisme. A cela, il n'hésite pas à répondre qu'il n'a jamais lu Babeuf, du moins avant d'avoir terminé son propre ouvrage sur l'Organisation du travail. 29 La chose, en vérité, est difficile à croire, mais le propos montre à quel point le doctrinaire socialiste est prêt à désavouer son prédécesseur. Il n'est donc pas impossible que Louis Blanc historien ait poussé dans l'ombre ce personnage compromettant pour des raisons assez personnelles. Il est juste, cependant, de rapprocher de son interprétation celle de Buonarroti, disciple intime de Babeuf : Robespierre entreprit de vaincre la corruption et succomba sous les coups ; avec lui périt la révolution française. 30 · Cependant, si l'on considère l'attention que Louis Blanc accorde aux autres champions de la fraternité - Huss, Mably, Rousseau - l'omission éclatante de Babeuf ne paraît guère défendable pour des raisons idéologiques. 27. Voir sa Revue du Progrès, II (15 aoOt 1839), p. 99. Cette revue venait d'être fondée par Louis Blanc. 28. Hist. Révol. fr., t. X, PD. 125 sqq; t. XII, 1. XIV, chap. 2 et 6. 29. Le Nouveau Monde (15 octobre 1849)., p. 33. C'est la revue Que Louis Blanc avait fond~e en exd. 30. Papiers de Buonarroti, n. a. f. 20 804, fol. 69, BibliothèQue nationale. •
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