Le Contrat Social - anno II - n. 1 - gennaio 1958

• ·44 de fraternité implique une réhabilitation de l'autorité, en même -temps que la préservation des libertés fondamentales fondées sur l'individualisme. Le fait nouveau, c'est que l'autorité fraternelle repose sur une base démocratique et que la liberté fraternelle fait appel à l'association en proscrivant la compétition individuelle. Quant à l'interaction entre la « thèse » et l' « antithèse », il ressort de la description donnée par Louis Blanc de l'individualisme en pratique que les bourgeois ont, eux aussi, remplacé l'ancienne autorité par une nouvelle : le capital. Notre philosophe, toutefois, manque de subtilité dans la présentation des antinomies de principe. Il tend à faire des distinctions trop brutalement tranchées, à montrer des termes absolus plutôt que des changements nuancés. Pour lui, la papauté est oppression à l'état pur, et l'individualisme bourgeois est anarchie intégrale. Peut-être cette vision en blanc et noir résulte-t-elle du fait que Louis Blanc s'intéresse moins au contenu intellectuel des principes qu'à leur action morale sur la société. L'influence de la « thèse » et de l' « antithèse» sont à ses yeux radicalement néfastes - et son dessein capital, plutôt que d'expliquer leur raison d'être, est de les condamner à tout jamais. C'est pourquoi il leur oppose comme une doctrine immaculée ce qui l'inspire sincèrement : la pure fraternité que n'entache aucun résidu atavique des idéologies condamnées. En fait, pendant toute sa vie, Louis Blanc combat ce qu'il appelle l'« opportunisme», c'est-à-dire la tendance à la conciliation des doctrines. A ses yeux, l'éclectisme ne peut conduire qu'à l'impuissance, et son rôle est nul aussi bien dans les événements qui ont préparé le triomphe historique de l'individualisme en 1789 que dans ceux d'où jaillira la victoire future de la fraternité. Certes, les bourgeois, après 1830, ont essayé de combiner l'autoritarisme en politique et l'individualisme en économie. Fatale erreur qui donna naissance à une postérité bâtarde ! Louis Blanc, lorsqu'il .incrimine la monarchie de Juillet, se sert souvent du mot« hermaphrodite», et toujours dans un sens péjoratif. L'individualisme ne peut pas s'associer au principe d'autorité parce qu'il a brisé, émietté, l'autorité elle-même : dans la société, en défendant la concurrence, qui détruit l'unité sociale ; et dans le gouvernement, en favorisant la division du pouvoir, qui détruit l'unité politique. Pour notre auteur, il ne peut y avoir d'ordre effectif sans cette double unité, réalisée dans la société par l'association et dans le gouvernement par une assemblée législative unique. Un régime basé sur l'individualisme lui apparaît oppressif, et il ne peut en être autrement, explique-t-il, puisqu'on ne saurait se passer de l'autorité sans tomber dans l'arbitraire. La destruction du principe d'autorité s'achève en 1789. Unanime, le__tie_réstat s'est dressé au nom de l'individualisme, et cette coalition universelle fait sa force. La démolition de l'ancien régime a été d'abord pacifique, parce que les féodaux qui s'y opposaient en principe ne présentaient qu'une défense hésitante de leur idéal ; cependant, lorsque BibliotecaGinoBianco LES RÉFORMATEURS SOCIAUX les aristocrates et le clergé ont essayé de miner l' œuvre révolutionnaire accomplie, des violences en sont résultées. Pour protéger les réformes qui venaient d'être acquises, une seconde révolution devenait inévitable. Louis Blanc distingue ainsi deux révolutions, ayant pu constater l'existence de deux principes en lutte contre. le système traditionnel. La première, celle de 1789, ·représente le triomphe de l'indi·vidualisme sur l'autorité. Si l'individualisme l'emporte, c'est qu'il favorise les intérêts de la classe dominante capitaliste, et que, de très longue date, il a pris racine dans les esprits des hommes, grâce à l'efficace propagande des grands penseurs depuis Luther jusqu'aux philosophes et aux économistes du xv111e siècle. 21 La seconde révolution est celle de 1793; elle s'inspire du principe de fraternité, et elle échoue parce que la société n'est pas encore prête à l'accueillir. Alors que la première révolution est voltairienne, la seconde est rousseauiste; Rousseau, comme Jean Huss, est l'annonciateur de besoins futurs - et non pas, comme Voltaire, le représentant de besoins actuels. Alors que La Fayette et Mirabeau sont les continuateurs de Voltaire, l'esprit de Jean-Jacques trouve son interprète en Robespierre. Danton se tient vaguement entre les deux, dans une position indéfinissable, sorte de no man's land des principes. Bien qu'admirant Danton dans une certaine mesure, Louis Blanc est bien loin de l'égaler à l' Incorruptible qui, selon lui, personnifiait la fraternité. Et pourtant l'idéal de Robespierre n'est pas socialiste; la révolution de 1793 a pour source Rousseau, et non Mably; et puisque Robespierre lui-même ne comprend pas ce qu'implique son grand principe, il est impossible que le socialisme triomphe aussi précocement. On a souvent critiqué Louis Blanc, en lui reprochant d'avoir fait de Robespierre un socialiste; à cela il répliquait : Vous vous êtes trompé en disant que j'attribuais ce que vous appelez mes idées communistes à Robespierre et aux Montagnards. C'est au point que je dis exactement le contraire. Dans tout le cours de mon. livre, je constate que les esprits les plus hardis de la Révo1ution - n'eurent. qu'une vague idée de ce qui constitue le socialisme de nos jours. 22 En réalité Louis Blanc insiste avec énergie sur la nécessité d'une éducation plus complète de la société, qui permettra à la synthèse de s'établir victorieusement lorsqu'elle sera bienvenue de tous les hommes. S'il en avait été ainsi en 1793, la réaction thermidorienne, véritable retour à l'individualisme, ne se serait jamais produite. Notre historien poursuit cette idée en montrant que la Terreur, concomitante avec la poussée fraternitaire, fut aussi la cause de sa défaite - car elle brisa les reins au mouvement révolutionnaire. Cependant - dit-il - la Terreur ne peut être condamnée sans restriction parce qu'elle- sauva , 21. Hist. Révol. fr., t. I, 1. II, p. 335. . .• 22. Lettre de Louis Blanc à un inconnu, 2 novembre 1857, en possession de Leo A. Loubère. · · ·

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