Le Contrat Social - anno II - n. 1 - gennaio 1958

42 LES RÉFORMATEURS SOCI,:A.UX II. La dialeétique des révolutions LOUIS BLANC est l'auteur de deux gr~des compilations historiques, d'importance assez inégale à nos yeux. La première en date, l' Histoire de dix ans, 1830-1840, paraît annuellement de 1841 à 1843 (plus deux volumes en 1844); on y trouve, avec un recul de quelques années à peine, une chronique de la plus bourgeoise des monarchies. Ce vaste pamphlet politique en cinq tomes s'en prend avec une vigueur cinglante à tous les aspects du régime de Juillet. Comme démocrate, l'auteur attaque constamment le suffrage censitaire qui écarte de la représentation nationale la masse des non-possédants ; comme socialiste, il dénonce le principe d'individualisme qui est l'idée dominante des hommes au pouvoir. De caractère trop exclusivement polémique et de portée trop limitée, cet ouvrage n'éclaire guère la philosophie de l'histoire de Louis Blanc. L' Histoire de dix ans est essentiellement descriptive ; et, bien que les conceptions sociales et politiques de Louis Blanc y soient présentées avec une certaine richesse de détails, elle n'accorde que peu de place à son interprétation originale, en ce qui concerne la dynamique de l'histoire. Il en est tout autrement de l' Histoire de la Révolution française ; cet ensemble de douze gros volumes contient pratiquement toute la pensée de son · auteur comme historien-philosophe. C'est que Louis Blanc est aux prises avec un grand sujet: l'ascension de la bourgeoisie. Alors que l' Histoire de dix ans n'est qu'une peinture partisane d'un régime d'ores et déjà dominé par la classe moyenne - ce qui restreint la portée et la signification du tableau - l' Histoire de la Révolution s'efforce de montrer quels vastes courants ont influencé l'évolution de la société française et préparé l'avènement du tie,rs état. Des douze volumes de son chef-d'œuvre historique, Louis Blanc consacre les deux premiers (rédigés avant 1848) à la période prérévolutionnaire et, par la même occasion, à la critique des institutions royales. Les dix autres volumes, fruits de son exil ultérieur, contiennent l'histoire des faits révolutionnaires et constituent, en un certain sens, l'apologie ou la défense de la démocratie jacobine. L'ancien régime ne trouve point grâce aux yeux de Louis Blanc ; il condamne sans ambages son système fiscal démodé, sa corruption, son despotisme politique, et l'arbitraire de ses lois. Par-dessus la monarchie des Bourbons, l'historien partisan réserve une bonne partie de ses coups, comme dans l' Histoire de dix ans, à l'individualisme bourgeois ; quant à la royauté elle-même, il dénonce en elle un vestige moribond du moyen âge - stigmatisé, chemin faisant, sur le ton de la plus franche propagande. ·D'ailleurs, notre li1storien frappe d'une même condamnation la monarchie constitutionnelle et la monarchie absolue; la révolution de 1830, d'après lui, a engendré un monstre: la combinaison bâtarde d'un roi et d'un parlement, l'alliance BibliotecaGinoBianco contre nature de deux principes inconciliables, qui sont l'autoritarisme et l'individualisme, également condamnés à mort par les lois inéluctables de l'histoire. . Dans l'esprit de Louis Blanc, les «principes» sont la source ·de l'action sociale, et il retrace l'histoire comme l'évolution même des principes. En quête d'un cadre doctrinal qui puisse expliquer ce mouvement progressif, il formule une dialectique à son usage ; il compare trois périodes historiques, chacune dominée par une idée différente, et caractérisée par des structures politiques, sociales et économiques bien déterminées. Il y a d'abord la période médiévale, pendant laquelle règne le principe d'autorité : Le principe d'autorité est celui qui fait reposer la vie des nations sur des croyances aveuglément acéeptées, sur le respect superstitieux de la tradition, sur l'inégaMté, et qui, pour moyen de gouvernement, emploie la contrainte. 9 Cet âge et sa doctrine forment la « thèse », dans la triade où Louis Blanc fait entrer l'histoire de France. Source du pouvoir des papes, le principe d'autorité sert de base au cléricalisme; il consolide aussi les trônes des rois. A part ces généralisations assez sommaires, notre auteur n'a pas grand-chose à dire du moyen âge. L'essor de la bourgeoisie et l'élaboration du système ·philosophique qui lui est propre sont, par contre, au centre de son intérêt. Par la croissance du capitalisme se trouve minée la base sociale du principe d'autorité; le tiers état se pose en champion de la liberté individuelle ; tôt ou tard, les bourgeois en viennent aux prises avec l'aristocratie féodale, et une lutte des classes en résulte. Louis Blanc s'intéresse cependant moins au combat des couches sociales entre elles qu'à celui des idées synthétisant leurs intérêts. Ce qui est impor- . tant pour lui, c'est le conflit entre le principe d'autorité et son antithèse, le principe d'individualisme : Le principe d'individualisme est celui qui, prenant l'homme en dehors de la société, le rend seul juge de ce qui l'entoure et de lui-même, lui donne un sentiment exalté de ses droits sans lui indiquer ses devoirs, l'abandonne ~ ses propres forces, et, pour tout gouvernement., proclame le laissez-faire. 10 Le nouveau principe n'a pris que lentement racine dans la société, mais son triomphe est inévitable. Même les forces qui répugnent le plus profondément à l'individualisme se trouvent contribuer à sa croissance. C'est Luther, champion de l'autocratie, qui l'introduit dans la théologie ; 11 de là,. • durant le XVIe et le XVIIe siècle, il gagne les domaines plus larges de la philosophie politique 9. Hist. Révol. fr., t. I, p. 9. 10. Ibid., t. I, p. 10. Louis Blanc identifie l'individualisme au gouvernement parlementaire par deux assemblées. . 11. Ibid., t. I, pp. 51-56.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==