. L. A .. LOUBÈRE ses préférences et de ses aversions, l'appui de quelque note en bas de page. Même à cette science en formation qu'est l'économie politique, Louis Blanc n'attribue pas pour tâche de décrire « comment les choses se passent dans la société . actuelle », mais plutôt d'enseigner « comment les choses devraient se passer dans une société organisée en vue de la justice ». 3 « JUSTICE»est un mot qui apparaît fréquemment dans les écrits de notre auteur. Le centre de ses préoccupations coïncide en effet, vaille que vaille, avec l'idéal assez confus que se font les hommes de la « justice sociale». Mais pour l'auteur de l'Organisation du travail, contrairement à la plupart de ses contemporains, cette notion n'a rien de nébuleux; elle est précise, immanente, absolue. La justice ne peut être << relative », car elle cesserait d'être juste. Il ne saurait y avoir une conception de la justice appropriée à chaque période particulière de l'histoire, car la justice est un but immuable; c'est l'état définitif vers lequel la société doit marcher. La justice idéale, absolue, a été manifestée au cours de l'histoire par divers prophètes allant du Christ à Rousseau (et de Rousseau à Louis Blanc) ; mais une société basée sur la justice n'a encore jamais existé. L'humanité, toujours en progrès, doit atteindre cet état de perfection ; Louis Blanc envisage l'avenir avec confiance, parce qu'il croit que l'homme, depuis toujours, progresse vers ce terme ultime ; et sa croyance au progrès se vérifie par son étude de l'histoire. Il résulte de cette position que Louis Blanc, comme historien, ne voit le passé que d'un œil, l'autre étant fixé sur le monde futur. Son histoire lui sert à décrire avec exactitude comment l'homme évolue vers une condition de justice sociale - c'est-à-dire vers une société où chacun est à parfaite égalité de chances avec tout le monde. Tous les événements acquis qui ont accéléré cette avance reçoivent ses bénédictions, et tous ceux qui l'ont retardée sont en butte à ses anathèmes, le tout sans nulle ambiguïté. Jusqu'à ce jour cependant l'histoire est dominée par les conservateurs et les réactionnaires qui dénigrent et martyrisent les grands prophètes du progrès, héros et champions de l'humanité. La tâche de l'historien est de rendre justice aux ombres des morts : Venger la mémoire, si odieusement calomniée, de ces grands hommes, immortaliser les battements de ces grands cœurs ... Ah! c'est pour un écrivain, qui vit dans le passé en même temps que dans le présent, un bonheur suprême et un impérieux devoir. 4 3. Voir ses Questions d'aujourd'hui et de demain (Paris, 1879-82), t. III, p. 333, citées ci-après comme Questions. 4. Lettre de Louis Blanc à Alfred Hédouin, 18 septembre 1849t..dans /' Amateur d'autoKraphes, 42479, de Chavaray et Cie, raris. Biblioteca Gino Bianco 41Tout cela, bien e1'tendu, a son influence chez ·Louis Blanc, et d'abord dans l'interprétation d'ensemble, mais aussi, quoique à un moindre degré, dans les méthodes de recherche. Celles de Louis Blanc sont généralement acceptables. Il n'accorde pas une foi illimitée au premier document venu, et fait un certain effort pour contrôler ses sources. 5 Il collationne les pièces d'archives, songe aux préventions possibles des témoins, et prend en considération le rôle qu'ils ont joué dan_s les événements qu'ils décrivent. 6 Il se fie de préférence aux observateurs les plus proches, par le temps et l'espace, des faits en discussion. Par exemple, il écrit à un ami : Je lis dans la Réf orme littéraire un article d'Étienne Arago dans lequel il représente Sombreuil, après la défaite de Quiberon, demandant à Hoche l'autorisation de regagner la flotte, s'engageant à revenir, et revenant en effet, le soir même. Étienne Arago ne donne pas ses autorités pour ce fait, qui est en opposition directe avec le récit de Rouget de Lisle, témoin oculaire et auriculaire. 7 Une fois solidement établies les sources de ses affirmations, Louis Blanc les signale fièrement, au bas des pages, dans son Histoire de la Révolution francaise. Michelet critique cette « vaine ostentation » et lui reproche d'encombrer le lecteur par cet appareil d'érudition. Aulard a relevé cette imputation : On n'en lit pas moins Louis Blanc avec grand plaisir et tout d'une haleine. Ces notes, dont il a le premier donné l'utile exemple en pareille matière, sont plutôt un appui qu'une gêne pour le lecteur. 8 Cela, sans doute, ne doit pas nous dissimuler le fait que l'histoire de Louis Blanc est essentiellement subjective ; ardente et colorée, elle est souvent déclamatoire; et toute la peine que se donne l'auteur pour asseoir son système sur les faits n'empêche point qu'il n'ait trop négligé les sources premières. Et il en résulte que beaucoup de ses généralisations ne supportent pas l'épreuve d'une analyse détaillée. Étaient-elles d'ailleurs vraiment destinées à servir la cause de l'histoire prise en elle-même? Il semble plutôt que leur rôle fût d'apporter une confirmation aux thèses de la démocratie socialiste. 5. Une de ses faiblesses de base est qu'il n'avait généralement pas accès aux sources originales. Dans son Histoire de dix ans, Louis Blanc retrace des événements contemporains, et beaucoup de pièces importantes n'étaient pas à la portée des chercheurs. Il déclare avoir interrogé « des milliers » de personnages en vue : mais les moyens lui manquaient de contrôler la véracité de leurs dires. Quant à son ouvrage sur la révolution de 1789, il fut contramt par les événements d'en rédiger la majeure i;,artie pendant son exil en Angleterre, ce qui l'empêchait de cousulter les documents d'archives conservés en France. 6. Voir son Histoire de la Révolution française (2° édition, Paris, 1847-1862), t. IX, pp. 162-167, 459-463, note 1 ; t. X, pp. 10-11; citée ci-après comme Hist. Révol. fr. Sauf indication contraire, les notes se réfèrent à cette édition. 7. Lettre de Louis Blanc à un inconnu, 12 mai 1862, en possession de Leo A. Loubère. 8. A. Aulard, « Michelet, historien de la Révolution française », dans Révolution française, LXXXI (1928), i;,. 145.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==