Le Contrat Social - anno II - n. 1 - gennaio 1958

R. PETITGAND d'avoir vraiment combattu, avait contre toute vraisemblance triomphé de ses ennemis, se fût-il contenté d'envoyer à l'échafaud Fouché, Tallien et Barras, quelques proconsuls pourris, quelques députés prévaricateurs ? La poursuite inexorable du crime ne le condamnait-elle pas à amputer la Convention elle-même des athées qui la peuplaient, de ceux dont le zèle révolutionnaire n'avait pas rompu les liens qui les unissaient à la classe opulente, de ceux enfin dans les yeux desquels il lisait la peur et qu'il pouvait croire contraires à ses desseins ? Il serait téméraire de rien affirmer, puisque Robespierre n'a pas vécu ; mais cette parodie de justice qu'est la sanglante loi de Prairial, présentée par Couthon à la Convention alors que les frontières de la République étaient en partie dégagées, nous placent devant un abîme. Où donc la Terreur, emportée d'un mouvement impétueux qui avait déjà décimé la Convention et rongé la Montagne comme un chancre, se serait-elle arrêtée? On objecte que Robespierre n'était pas seul, que la puissance des comités était « collective», et que leurs membres doivent être tenus pour « solidairement responsables» des décisions prises. On fait valoir les efforts de l' Incorruptible pour arrêter les progrès de la déchristianisation, ainsi que le rappel des grands terroristes à Paris : tout cela est indubitable, mais il n'en est pas moins vrai que le chef montagnard avait acquis une telle prééminence sur ses collègues, depuis la chute des factions notamment, qu'elle lui permettait d'exercer une action décisive sur la marche du gouvernement. Citons à ce sujet le témoignage de Dysez, représentant des Landes à la Convention (lettre du 3 germinal, in Revue de France 1926 )* : Si Robespierre a de l'habileté, nous le reconnaîtrons incessamment. Sera-t-il un Lycurgue, un Solon? Pour un Cromwell, je ne le crains pas : un poignard dans le cœur serait sa récompense. La liberté sans doute ne repose point sur sa tête, mais l'ordre et la tranquillité sont dans ses mains. Toutes les factions, tous les partis se taisent devant lui. Il dirige toutes les délibérations. L'opinion publique l'investit et n'investit que lui. Tout ce qu'il dit sont des oracles, tout ce qu'il blâme sont des erreurs. Si cette occasion lui échappe, jamais, non jamais il ne la retrouvera. Voyons quel parti il tirera de cet instant unique. S'il a un plan, un bon plan, nous marcherons à grands pas vers le terme et la tranquillité nous environnera; mais s'il ne sait qu'abattre et non pas édifier, nous ne serons encore qu'au commencement des orages. J'ai marché avec confiance sur ses pas ; la raison en est simple : j'ai cru voir en lui un homme qui aimait véritablement la liberté, qui était passionné pour elle. Les moyens qu'il prenait m'ont paru les moins éloignés de la vraie route. Actuellement, un nouvel ordre de choses s'ouvre devant nous. • Ciûe _par Gcoraea Lefebvre dans Annal,, historiau,, tk la RhJolution /ramais,, 1951. Biblioteca Gino Bianco 25 Dysez annonce un nouvel ordre de choses, dont l'avènement lui semble imminent et que Robespierre, s'il a « un bon plan», peut réaliser. Quel eût été cet ordre de choses ? Le dessein majeur de Maximilien n'était certainement pas de faire une révolution sociale, mais de fonder la République et en bon disciple de Rousseau de la fonder sur la Vertu. C'est la direction qui se dégage de tous ses discours. Mais un tel dessein implique un ordre moral. Dans la situation tragique d'alors, Robespierre a conçu cet ordre sous le double aspect d'une répression et d'une exaltation. La répression visait à l'extermination de tous ceux qui, « dépravant les mœurs », entravaient la marche du gouvernement républicain; l'exaltation posait avec l'Etre Suprême la pierre angulaire du régime. « Le r~ssort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur» (Robespierre, discours du 18 pluviôse). Les factions s'étaient tues; un silence de mort planait sur la Convention apeurée, et bien des contemporains en France et en Europe se sont demandé si Robespierre n'allait pas combler le gouffre. « La Révolution est glacée, s'écriait Saint- Just; tous les principes sont affaiblis ; il ne reste que des bonnets rouges portés par l'intrigue. L'exercice de la Terreur a blasé le crime comme les liqueurs fortes blasent le palais. » L'aristocratie vaincue, le plus grand ennemi du nouveau régime restait l'athéisme. Robespierre y voyait un principe corrupteur de toute moralité, la négation d'un patriotisme générateur de dévouement et d'austérité. Il pourchassait les déchristianisateurs, et la révolte contre Dieu, si forte et spontanée dans la Révolution, n'a jamais eu ses sympathies, car elle contrecarrait l'ordre qu'il rêvait d'établir. On peut s'interroger sur le bien-fondé et l'opportunité de la déchristianisation : c'est une négation radicale des valeurs sacrées qui soutenaient l'ancienne société, et cette négation est devenue très vite blasphématoire. Elle atteint à un paroxysme profanateur chez les sans-culottes, alors que le peuple dans son ensemble reste attaché au catholicisme. Mais le blasphème hébertiste et ses outrages, justement dénoncés comme impolitiques, ne sont pas tout ; la lutte contre la « superstition », qui se rattache au grand ..courant de pensée du XVIIIe siècle, appartient à la veine révolutionnaire la plus authentique ; elle élève l'homme au-dessus de lui-même dans un combat titanesque contre les dieux et elle imprégnera le mouvement républicain et démocratique au siècle suivant. A cette époque, il est vrai, l'athéisme allait souvent de pair avec le scepticisme : c'était un

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