Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

QUELQUES LIVRES saut de la nécessité dans la liberté, etc. - il apparaît que ce même parti a réalisé strictement le contraire de ce qu'il promettait. Le mot clef du bolchévisme, c'est le pouvoir. Le bolchévisme (ou plus précisément Lénine en personne, et non le Parti en tant que tel) a compris et appliqué une science qui relevait beaucoup plus d'un Pareto que d'un Marx : la science de la formation d'une minorité agissante appelée à chasser du pouvoir ceux qui étaient incapables de le garder, et à le conserver coûte que coûte. A cette fin, le bolchévisme a su changer selon l'opportunité le programme, la tactique et même le nom du Parti. Par ce mot clef de pouvoir s'expliquent les actions les plus importantes du bolchévisme : la NEP (défensive) et l'invasion de la Géorgie (offensive) en 1921 sous Lénine, la collectivisation forcée et les luttes intestines sous Staline, enfin la (( déstalinisation» et la répression de la révolution hongroise sous la direction collective actuelle. Le mérite de M. Collinet est d'avoir éclairé les problèmes fondamentaux du bolchévisme à la lumière des événements historiques, qu'il s'agisse des thèses de Lénine en 1917 ou de la<<déstalinisation » en 1956. Mais il a employé cette méthode dans un domaine encore plus délicat, commentant la philosophie léniniste, le rôle de Hegel, de Marx, d'Engels et la part du marxisme allemand dans la pensée révolutionnaire de Lénine. Quand il traite du matérialisme dialectique ou de la dialectique du bolchévisme, cela ne ressemble pas au jargon nébuleux à la mode, mais clarifie l'évolution idéologique du bolchévisme. Cela est d'autant plus important dès qu'on se rappelle qu'il existe en France une forte tendance à réduire le marxisme à Marx jeune, à Lénine, à Staline (jusque tout récemment), et le cas échéant à G. Lukacs, comme si la pensée de Marx n'avait pas évolué et comme si des marxistes éminents comme Rosa Luxembourg, Karl Kautsky ou Boukharine n'avaient jamais . , existe. Les principaux thèmes examinés par M. Collinet aboutissent à l'actualité brûlante et il est significatif de constater dans quelle mesure ce livre, écrit au cours de l'année 1956 à Paris, arrive aux mêmes conclusions que La Nouvelle Classe, autre livre écrit également en 1956, mais à Belgrade par Milovan Djilas. Cela vaut à la fois pour leur étude du parti de Lénine et pour leur analyse de la nouvelle classe dirigeante dont M. Collinet parle en termes identiques à ceux de Djilas : Dans le Parti, comme dans les secteurs économique ou militaire, l'homme ne vaut que par la fonction qu'il occupe, le rôle qu'il y joue. A chaque fonction de quelque importance sont attachés des privilèges spéciaux, qui varient suivant les degrés hiérarchiques, depuis la villa, l'auto, les domestiques, jusqu'au • privilège » élémentaire et presque démocratique de ne pas faire la queue dans les boutiques. Dans cet événement quotidien s'opère une coupure entre les masses u qui font la queue » et les privilégiés qui ont des magasins à eux ; il est naturel d'y voir un critère possible entre les victimes et les profiteurs du régime. BRANKO LAZITCH Biblioteca Gino Bianco 335 A propos d'une préface PATRICIA VAN DER ESCH : La Deuxième Internationale, 1889-1923. Préface de GEORGESBOURGIN. Paris, Librairie Marcel Rivière, 1957. 186 pp. Les socialistes français de nos jours se désintéressent complètement du mouvement international auquel se rattache leur parti, en théorie, et ils n'ont produit aucune contribution à son histoire. Stérilité qui en dit long quant au niveau intellectuel du socialisme français actuel. Exception faite de la thèse de Mme Maria Sokolova (Paris, 1953), c'est en Angleterre qu'ont paru récemment les deux seuls ouvrages d'ensemble * sur la deuxième Internationale ouvrière et socialiste : celui de James Joll, The Second International, 1889-1914 (Londres, 1955) et les deux volumes de G. D. H. Cole : The Second International (Londres, 1956). Et c'est encore d'Angleterre que nous vient, semblet-il, le présent ouvrage en français dont l'auteur est docteur en philosophie de l'Université de Londres. Pourtant, rien n'indique une traduction et l'on accueillerait ce livre avec un préjugé favorable, n'était la mention inquiétante d'une préface de M. Georges Bourgin. En effet, le patronage d'un homme politique plus ou moins franchement rallié au stalinisme entache de la pire partialité, a priori, un ouvrage dont on est en droit d'attendre au moins des qualités d'objectivité historique. A peine faut-il rappeler quelles falsifications osent se permettre les historiens communistes de l'école de Staline : le fameux discours secret de Khrouchtchev au dernier congrès de son parti en donne quelque idée. Déjà Lénine, emporté par la passion politique, se laissait aller à des injures plus qu'excessives à l'adresse des socialistes qui ne partageaient pas ses vues outrancières, et il déformait leurs idées, interprétait péjorativement leurs intentions, suspectait injustemer1t leurs tactiques pour mieux les accabler dans ses polémiques. Il traitait abusivement de social-chauvins, de social-traîtres, de suppôts de l'impérialisme des personnalités comme Kautsky, Longuet, Vandervelde et tant d'autres qui ne méritaient pas ces appréciations arbitraires, même si l'on désapprouve leurs conceptions politiques ou doctrinales. L'historien actuel ou futur a ou aura du mal à discerner le vrai du faux dans les écrits de ce genre. Mais avec Staline et ses disciples, il ne s'agit plus de déformations dues à une passion sincère, il s'agit de falsifications éhontées commises de sang-froid par machiavélisme vulgaire. La collusion avec les gens de cette espèce, animés d'une haine inexpiable envers le socialisn1e, ne qualifie pas précisément M. Bourgin pour préfacer un livre sur la deuxième Internationale. Au contraire. Et la lecture de sa préface ne confirme que trop le malaise suscité par son nom sur la couverture. Aussi importe-t-il d'établir au préalable une • Pour ne pas parler du livre de J. Lenz, The Rise and Fall of the Second International (New-York, 1932) de parti pris communiste, donc de dénigrement sans réserve.

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