Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

334 « Où va la Russie ? » La discussion est ici animée d'observations pertinentes, mais qui, selon nous, dans l'ensemble n'apportent pas grandes lumières. D'abord rien ne met en évidence la signification du fait manifeste que la Russie est aujourd'hui en plein mouvement. On se borne à formuler une prédiction à court terme, selon laquelle, « en mettant les choses '' au pis '', le régime actuel peut conduire à un retour au stalinisme, tandis que '' dans le meilleur des cas", il peut devenir plus populaire, (ou plutôt, moins mal vu) sans cesser d'être, au même degré, un régime totalitaire. » Où l'on découvre le stalinisme· En ce qui concerne le retour au stalinisme, le lecteur est en droit de s'étonner. Car les chapitres précédents n'ont nullement expliqué que la Russie soviétique ait jamais passé par un certain « stalinisme» (dont le régime post-stalinien se serait écarté, on ne sait pourquoi ni comment). Il n'a été question jusque là que d'un « système soviétique » présentant certaines « caractéristiques opératoires » plus ou moins constantes, lesquelles exprimaient à leur tour une certaine « mentalité bolchévique » à peu près invariable. En fait, la première mention qui soit faite du « stalinisme » apparaît au dernier chapitre du livre (page 239), dans une phrase qui affirme que l'éventualité d' « un retour graduel au stalinisme » n'est pas exclue. Et voilà qui souligne bien l'une des défectuosités fondamentales dans le schéma conceptuel de l'ouvrage et dans l'enchaînement des idées qui nous sont présentées ; on nous offre un modèle statique du système soviétique, sans que rien explique pourquoi, ni dans quelle mesure, ni de quelle manière il évolue; ni, en particulier, pourquoi cette évolution a pu être amorcée par la mort de Staline. La période soviétique de l'histoire russe peut-elle être comprise autrement qu'en termes historiques? Un système social peut-il être conçu autrement que comme quelque chose qui a passé par une succession de phases? Le stalinisme, qui a eu lui-même toute une série d'avatars, ne comportait-il pas une rupture avec le passé bolchévik, rupture que Staline lui-même a reconnue sous une forme symbolique lorsque, en 1952, il bannit ·1e mot « bolchévique » du vocabulaire officiel ? Le bolchévisme comme forme politique et mentalité dominante est virtuellement mort en 1937-1938 dans les caves du NKVD et dans les camps de concentration. La dictature de parti qui existait jusqu'alors a fait place au régime personnel stalinien, dont la caractéristique essentielle fut, comme dans le cas de tous les véritables totalitarismes, l'influence dominante de la personnalité malade d'un Führer. Voilà, en substance, pourquoi la mort de Staline devait nécessairement plonger le pays dans une période d'évolution rapide; cette mort elle-même était la clé du changement ; parmi les questions politiques réellement posées par elle, se trouvait (soit dit en passant) la question ·de savoir si, et dans quelle mesure, le nouveau régime s'efforcerait de revenir au bolchévisme. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Aujourd'hui comme hier, le travail de nombre de nos spécialistes continue d'être déprécié parce qu'ils se refusent à comprendre le stalinisme comme un système spécial et comme une formation mentale particulière ; bref, comme quelque chose de psychologiquement distinct de ce qui s'était passé jusqu'alors (tout en y ressemblant par bien des côtés et en se cramponnant presque jusqu'à la fin au mythe d'une continuité historique). 1:..adoctrine de la permanence, à travers un demi-siècle, d'un « bolchévisme » ou d'une « mentalité bolchévique » est une hypothèse discutable que l'ouvrage analysé ici partage avec nombre d'autres travaux contem~ porains dans ce domaine de recherche. Malgré les objections que nous avons cru devoir soulever ici, l'ouvrage examiné reste de ceux qu'aucun étudiant des choses soviétiques contemporaines ne peut négliger. Comme les auteurs eux-mêmes le laissent entendre, il apporte essentiellement une documentation nouvelle sur les attitudes, l'expérience vécue et les formes d'adaptation du citoyen soviétique. C'est là un apport sérieux et valable. Certes, ce matériel est emprunté, en général, aux souvenirs du passé, tel que les a conservés la mémoire des réfugiés. Mais, en Russie comme partout, le passé est un prologue. ROBERT C. TUCKBR Le mot clef MICHEL COLLINET: Du Bolchévisme. Évolution et variations du marxisme-léninisme. Paris, Le Livre Contemporain, Amiot-Dumont, 1957, 280 pp. LE LIVREde M. Collinet n'obéit qu'à un seul impératif : voir clair dans le phénomène du communisme. Après quarante années d'existence, le bolchévisme doit être « démystifié », en particulier en France où l'intelligentsia de gauche a découvert Hegel, Marx et Lénine avec passablement de retard sur celle de Russie ou d'Allemagne et où il n'existe, à la différence des autres grands pays occidentaux, pas une seule institution importante pour l'é~de du communisme et des affaires . , . sov1et1ques. M. Collinet n'étudie pas ici le communisme international, mais uniquement le bolchévisme russe; il n'en a pas retracé l'histoire, il n'en a pas même suivi l'évolution chronologique (le chap:tre sur le stalinisme précède ceux qui traitent de Marx, du marxisme allemand et du marxisme russe) ; il s'est proposé d'observer l'évolution de ce que Staline avait appelé autrefois « les fondements du léninisme »., A l'origine du bolchévisme (et plus tard du communisme international) se trouve la conception léniniste du Parti. Le livre s'ouvre sur un chapitre qui étudie le Parti de Lénine et son évolution sous Staline. Sur le plan de l'efficacité, le génie de Lénine et les succès de son parti ne sont pas niés, mais quant aux fins du « socialisme scientifique » - société sans classe, dépérissement de l'État,

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==