Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

Quelq·ues Où va la Russie ? R. ..-\. BAVER, A. lNKELES, C. I(LUCKHOHN : How the Soviet System Works. Harvard University Press, 1956. EN 1950, le Centre de recherches sur la Russie, rattaché à l'Université Harvard, résolut de retremper sa connaissance du système soviétique à de nouvelles sources, en s'adressant sans autre discriminatio11 . . . ' . aux gens qm conna1ssa1ent ce systeme pour avoir été soumis à son autorité. Des entretiens eurent donc lieu avec un grand nombre d'anciens citoyens soviétiques résidant en Europe et en Amérique, et dont la plupart a,,aient été déportés d'URSS, ou l'avaient fuie, pendant la deuxième guerre mondiale. Le but principal était de se faire une idée précise du régime« vu de l'intérieur »,d'en discerner, d'un point de vue essentiellement sociologique, les forces et les faiblesses. Par son envergure, l'étude qui est résultée de cette enquête dépasse cependant largement le schéma qui vient d'en être tracé. Elle vise en effet à une conception théorique d'ensemble de la réalité soviétique, considérée du point de vue de ce que les auteurs appellent la social systems analysis, ou « analyse des systèmes sociaux ». Dans la première partie de l'ouvrage nous est présenté un modèle théorique du système considéré - système pour le_quel le nom de « total-étatisme >> [ total statism] est préféré à ceux de « socialisme » ou de « communisme >1, comme étant plus précis et plus adéquat. Du point de vue scientifique auquel entendent se placer les auteurs, ce système est envisagé comme un grand mécanisme collectif et impersonnel, qui se comporte à peu près comme une machine. Il possède en effet ses propres fins et tendances opérationnelles caractéristiques, et il déploie ses qualités, défauts et modes spécifiques de réajustement semi-automatique sur un plan fonctionnel bien défini. Mais comment un tel système s'est-il constitué? C'est une question qui passe à peu près inaperçue : on se contente d'attribuer la spécificité de ses organes et de leur fonctionnement à la prédominance invariable d'une certaine « mentalité bolchévique », considérée comme essence sui generis. Cette manière de voir soulève diverses objections sur lesquelles nous reviendrons. La partie centrale de l'ouvrage constitue l'apport le plus significatif; elle présente en effet la substance concrète que les auteurs de l'enquête ont tirée de leur prise de contact avec de nombreux témoins des réalités soviétiques. On peut citer, comme une réussite particulièrement remarquable dans le traitement d'un sujet difficile, le chapitre concernant les attitudes des diverses nationalités non russes ; la conclusion qui s'en dégage est qu'il serait dangereux de surestimer, en se les représentant d'une façon trop schématique, les problèmes que présentent en URSS les minorités· allogènes. Certes, BibliotecaGinoBianco Livres le sentiment national existe dans ces minorités, et compte vraiment chez certaines d'entre elles; mais « s'ils éprouvent de l'hostilité envers le régime, s'ils sont mécontents du système, cette hostilité et ce mécontentement ne se distinguent des sentiments des autres citoyens soviétiques que par leur intensité quelque peu accrue>>. (Nous reviendrons aussi sur l'opposition, chère aux auteurs, entre « régime » et « système ».) On peut en inférer que le sentiment antirusse parmi les allogènes ne doit pas être considéré en lui-même comme une force politique d'i1nportance majeure. Il nous semble toutefois qu'à cet égard, les auteurs n'ont pas suffisamment réservé le cas de la Géorgie. Dans l'ensemble, les réactio11s des expatriés soviétiques confirment bon nombre de thèses déjà familières aux observateurs occidentaux de l'URSS. Ainsi le paysan soviétique, d'après cette enquête, demeure en règle générale résolument hostile à l'institution du kolkhose, considérée comme une forme de servage ; l'ouvrier se plaint ou s'irrite des conditions de son existence matérielle; l'employé a aussi ses propres misères, bien qu'il se reconnaisse à certains égards comme mieux traité que l'ouvrier et le paysan ; enfin, tout le monde se hérisse de terreur et de haine au seul nom de police secrète. Il convient toutefois de noter que de récents événements semblent contredire certaines conclusions d'ensemble relatives au climat mental de la jeunesse. Les données recueillies indiquent que la génération montante semble (ou plutôt semblait à la fin des années 1930) plus encline que ses aînés à accepter la « réalité soviétique ». « Les jeunes posent, lisons-nous, moins de questions et des questions moins essentielles que les vieux»; d'oi1 les auteurs concluent, sous toutes réserves bien entendu, qu' « avec le temps, le régime soviétique peut espérer accroître l'étendue et la stabilité de ses bases sociales». On se demande si les auteurs ne seraient pas tentés de tempérer aujourd'hui leurs conclusions à la lumière des signes récents, selon le.sq-uels les tendances oppositionnelles les plus aiguës se manifestent précisément dans certains cercles de la jeunesse universitaire soviétique. Régime et système Résumant leur interprétation d'ensemble des réactions populaires décrites et vécues, les auteurs de l'ouvrage écrivent : Nous ne,sommes pas loin de croire que, si le citoyen soviétique mécontent [alienated] rejette le régime, il accepte le système, c'est-à-dire que son hostilité a pour objet les dirigeants plutôt que les formes institutionnelles. Formule dont il convient, dans l'esprit même des auteurs, de ne pas abuser, puisque la population repousse aussi certains éléments du « système » proprement dit (tels que les kolkhoses et la police secrète) ; mais la distinction entre régime et système

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