Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

R. CAILLOIS pas modifié, parce qu'on parie sur les chevaux. Il y a non pas alliance, mais simplement rencontre, laquelle d'ailleurs n'est nullement due au hasard et s'explique par la nature même des principes des . Jeux. Ceux-ci ne peuvent se conjuguer même deux à deux, avec une égale aisance. Leur contenu donne aux six conjonctions théoriquement possibles un niveau de probabilité fort différent. Dans certains cas, la nature de ces contenus, ou bien rend leur alliance inconcevable au départ ou bien la bannit de l'univers du jeu. D'autres combinaisons ne sont pas interdites par la nature des choses, mais 329 demeurent purement accidentelles. Elles ne correspondent pas à des affinités impérieuses. Il arrive enfin que des solidarités constitutionnelles, inscrites dans leurs définitions, se manifestent entre les grandes tendances qui opposent les diverses espèces de jeux. Brusquement, une complicité décisive se fait jour. · C'est pourquoi, des six conjonctions prévisibles entre les principes des jeux, à l'examen deux apparaissent contre-nature, deux autres viables sans plus, cependant que les deux dernières reflètent des connivences essentielles. Il importe d'apprécier de plus près comment s'articule pareille syntaxe. I. Conjonctions interdites IL EST CLAIR, en premier lieu, que le vertige ne saurait se trouver associé avec la rivalité réglée sans la dénaturer aussitôt. La fureur aveugle qu'il développe . en constitue la négation stricte. Elle détruit les conditions qui définissent l' agôn : la maîtrise de soi, le respect de la règle, le désir de se mesurer à armes égales, la soumission préalable au verdict d'un arbitre, l'obligation reconnue d'avance de circonscrire la lutte aux limites convenues, etc. Règle et vertige sont décidément incompatibles. Le simulacre et la chance ne paraissent pas davantage susceptibles de la moindre connivence. En effet; toute ruse rend sans objet la consultation du sort. Essayer de tromper le hasard n'a pas de sens. Le joueur demande un arrêt qui l'assure de la faveur inconditionnelle du destin. Au moment où il le sollicite, il ne saurait mimer un personnage étranger, ni croire ni faire croire qu'il est un autre que lui-même. D'ailleurs, par définition, aucun simulacre ne peut abuser la fatalité. L' alea suppose un abandon plein et entier au bon plaisir de la chance : démission contradictoire avec le déguisement ou le subterfuge. Sinon, on entre dans le domaine de la magie : il s'agit de forcer le destin. Comme tout à l'heure par le vertige le principe de l'agôn, celui de l'alea est maintenant détruit, et il n'y a plus jeu à proprement parler. II. Conjonctions contingentes Au CONTRAIRE, l' alea s'associe sans dommage avec le vertige et la compétition avec la mimicry. Dans les jeux de hasard, il est bien connu en effet qu'un vertige particulier saisit également le joueur que la chance favorise et celui que poursuit la malchance. Ils ne sentent plus la fatigue et sont à peine conscients de ce qui se passe autour d'eux. Ils sont comme hallucinés par la bille qui va s'arrêter ou la carte qu'ils vont retourner. Ils perdent tout sang-froid et risquent parfois au delà de leur avoir. Le folklore des casinos abonde en anecdotes significatives à cet égard. Il importe seulement de remarquer que l'ilinx, qui détruisait l' agôn, ne rend pas du tout l' alea impossible. Il paralyse le joueur, le fascine, l'affole, mais ne le conduit aucunement à violer les règles de jeu. On peut même affirmer qu'il le soumet davantage aux décisions du sort et le persuade de s'y abandonner encore plus complètement. L' alea suppose une démission de la volonté, il est compréhensible qu'elle souffre ou développe un état de transe, de possession ou d'hypnose. C'est en cela qu'il y a véritablement composition des deux tendances. BibliotecaGinoBianco Une composition analogue existe entre l'agôn et la mimicry. J'ai déjà eu l'occasion de le souligner : toute compétition est en elle-même un spectacle. Elle se déroule selon des règles identiques, dans la même attente du dénouement. Elle appelle la présence d'un public qui se presse aux guichets du stade ou du vélodrome, comme il fait à ceux du théâtre ou du cinéma. Les antagonistes sont applaudis à chaque avantage qu'ils s'assurent. Leur lutte a ses péripéties qui correspondent aux différents actes ou épisodes d'un drame. C'est enfin le moment de rappeler à quel point le champion et la vedette sont personnages interchangeables. Ici encore, il y a composition de deux tendances, car la mimicry non seulement ne nuit pas au principe de l' agôn, mais le renforce par la nécessité où se trouve chaque concurrent de ne pas décevoir une assistance qui, à la fois, l'acclame et le contrôle. Il se sent en représentation, il est obligé à jouer le 1nieux possible, c'est-à-dire d'un côté avec une parfaite correction et, d'autre part, en s'efforçant à l'extrême de remporter la • • v1cto1re.

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