Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

320 - 1 certain degré de liberté en matière culturelle; plus tard, il déclencha une offensive générale dans un effort violent pour briser la résistance qui se prolongeait et pour contraindre les intellectuels à une apparence de conformité. Jusqu'à présent, tout cet effort est resté vain : la majorité des écrivains et des artistes est demeurée fermement, et souvent même ouvertement, opposée au régime. Parmi les moyens dont ils disposent pour maintenir cette attitude courageuse, le plus efficace peut-être est le simple refus de produire. Le bimensuel littéraire qu'édite le Parti, Blet es irodalom, a fréquemment déploré « le morne silence de nos écrivains )), tout en exigeant à plusieurs reprises « une épuration radicale des maisons d'édition, des compagnies théâtrales et des milieux cinématographiques )) (Blet es irodalom, 24 avril et 5 juillet 1957). Revenant à la charge, le 19 juillet., la même revue devait constater que le résultat , . . eta1t maigre : Huit mois sont passés et nous n'avons pas encore vaincu sur le plan de la vie littéraire. Nos auteurs se taisent, déclinant poliment · les requêtes du Parti qui leur demande de la copie. Les théâtres ont été l'objet de réprimandes et d'avertissements pour avoir produit des drames · expri1nant l'angoisse ou la nostalgie, au lieu de mettre en scène des pièces exaltant l'idéologie soviétique et celle des « démocraties populaires )), Le 29 mai, le Magyarorszag se plaignait de l'évasion, généralement sensible à la scène, « vers le passé bourgeois », et il demandait aux autorités de faire connaître efficacement leur mécontentement ; trois semaines plus tard, cinq directeurs de salles étaient chassés de leur poste. Le retentissement des propos de Mao Tsé-toung au sujet àe la liberté de la culture ne pouvait que gêner l'offensive de Kadar contre les intellectuels. Aussi, les chefs du Parti ont-ils essayé d'éviter les chausse-trapes du libéralisme qui s'ouvraient sous leurs pas, faisant savoir sans ambages qu'ils n'avaient nulle intention de transplanter les « fleurs » chinoises dans le sol hongrois. « Le mot d'ordre chinois », comme le fit observer Kadar, « est avant tout pour la Chine », et il convient d'insister sur les limites d'une « application correcte » aux autres pays. « Correctement appliquée » par Kadar à la Hongrie, la théorie de Mao ne pouvait, bien entendu, que justifier l'oppression prolongée du régime sur l'élément créateur - aussi longtemps que le régime qualifiait cet élément de « contre-révolutionnaire». Reprenant à rebours la phrase célèbre de Mao, Blet es 'iradalom du 7 juin 1957 fustigeait comme suit la carence des producteurs de films hongrois : • Le mot d'ordre chinois - laissez fleurir cent fleurs - a été pris à rebours dans notre production cinématographique : chez nous toutes les fleurs s'épanouissent, excepté la fleur socialiste. Les déclarations du Parti sont empreintes d'une amertume particulière à l'égard des écrivains et des journalistes, que les communistes considèrent, à tort ou à raison, comme ayant formé le « brainBibliotecaGinoBianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE trust » de la contre-révolution. Mais aucun des moyens de pression qui furent mis en œuvre n'a réussi à briser le boycottage silencieux de la presse officielle. En grande majorité, les hommes de plume ont répondu par la non-coopération aux avances du gouvernement, désireux de s'assurer leur aide professionnelle. Dans une tentative suprême pour briser la grève des encriers, le régime a prononcé la dissolution du syndicat rassemblant écrivains et journalistes, et il a institué, sous son contrôle étroit, des conseils séparés de la littérature et de la presse. Puis, comme toutes les tentatives de collaboration demeuraient sans résultat, il a procédé, par représailles, à l'emprisonnement d'environ trente personnalités tenues pour responsables, parmi lesquelles on peut compter le célèbre romancier Tibor Dery, le poète lauréat Zoltan Zelk, et le dramaturge Gyula Hay, internationalement connus. * Ce retour aux procédés classiques du stalinisme ne peut guère etre considéré que comme la reconnaissance, par les communistes eux-mêmes, d'un fait avéré : l'incompatibilité de leur régime avec l'honnêteté intellectuelle et spirituelle. La nouvelle terreur Le recours au terrorisme pur et simple - sans en excepter les plus brutales méthodes de la répression stalinienne - est certainement l'aspect le plus pénible et le plus révoltant de la restauration du régime communiste en Hongrie. Rétablie dans ses anciens pouvoirs, la police secrète a tiré vengeance des humiliations subies et de l'obligation où elle avait été d'avaler en octobre quelques cuillères de sa propre médecine. Les cellules du dépôt de police de Foeutca, les baraques des camps d'internement à Kistarcsa et à Recs, sont pleines de prétendus « contre-révolutionnaires » livrés à l'arbitraire et aux sévices de l' AVH. Il y a là des otages appartenant à toutes les couches de la population : des lettrés, des jeunes gens, des paysans et des ouvriers qui eurent le courage de se mettre en avant. · Les premières victimes de cette nouvelle épuration furent ceux des communistes chargés de fonctions responsables qui s'étaient groupés autour de Nagy pendant la révolution et qui maintenant sont considérés comme des « traîtres » (les deux tiers des intellectuels arrêtés, fait typique, sont d'anciens membres du Parti). Un exemple de la manière dont ils furent traités par le régime Kadar est celui de Gabor Foeldes, l'ancien directeur du théâtre national à Gyoer. Communiste chevronné, il conduisait le 23 octobre' un groupe loyaliste portant sur sa bannière l'inscription : « Vive le Parti ! » En avril, l'organe littéraire du régime (Blet es irodalom, 12 avril 1957) le réprimandait pour certains « éga- * Les trois écrivains viennent d'être condamnés à de lourdes peines (neuf ans de prison pour Dery, six pour Hay, trois pour Zelk), au cours d'un procès tenu en secret.

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