318 Sans doute, on trouve chez eux plus de crainte servile que d'enthousiasme, plus d'égoïsme que de zèle communiste ; depuis la révolution, le Parti hongrois, qui comptait 900.000 membres en octobre, n'a pu récupérer en huit mois que 345.000 adhérents, en dépit des pressions exercées sur les démissionnaires de fait pour leur faire reprendre la carte. On ne saurait douter que ce chiffre, donné par le Nepszabadsag du 29 juin 1957, n'atteste une profonde désaffection. Pourtant on peut encore évaluer à 400.000 personnes l'effectif de la classe loyale au régime et participant à sa direction, ce qui représente environ 4 % de la nation hongroise. Mais, bien plus encore que le déclin numérique de l'élite communiste, c'est son déclin moral qui est inquiétant pour le Parti; les élans révolutionnaires ne sont plus, ni les illusions chéries, ni les espoirs insensés ; le Parti est devenu dans son ensemble une stérile organisation d' apparatchiki et de bureaucrates qui comptent chaque pas qu'ils font, prodiguent de bruyantes professions de loyalisme, et répètent avec monotonie les mornes slogans de la propagande; d'après les statistiques officielles, la composante « intellectuelle » est tombée de 19,4 % à 6,9 % depuis la révolution d'Octobre (Nepszabadsag, 29 juin 1957). Les cadres supérieurs Chargé de la direction suprême, J anos Kadar est un parfait fonctionnaire du Parti et rien de plus. Carriériste habitué de longue date à jouer les seconds violons, il n'a jamais eu la carrure d'un Rakosi ou d'un Nagy et n'a pas tardé à perdre au pouvoir le commencement de popularité que lui avait valu son titre d'ancien bouc émissaire et de victime expiatoire de l' AVH ; la sympathie que lui avait value son emprisonnement sous Rakosi ne pouvait résister à l'épreuve d'un retour humiliant derrière les tanks de J oukhov et de la restauration de plus en plus manifeste des mœurs policières, de la brutalité et de la terreur que I<adar depuis un an s'applique à justifier. D'après les rapports qui continuent à parvenir de Hongrie sur l'état de l'opinion, les associés les plus proches de Kadar partagent le même degré d'impopularité. On peut distinguer parmi eux Gyula Kallaï, qui, en qualité de ministre de !'Éducation, est l' « idéologue » du régime ; Gyoergy Marosan, renégat socialiste qui porte le titre de ministre d'État; le vieux Ferenc Münnich, premier vice-président du Conseil, et quelques coming men comme Béla Biszku et Geza Revesz, dirigeant respectivement le ministère de l'Intérieur et celui de la Défense nationale. La vieille garde pro-staliniste est représentée par le vice-président Antal Apro ; par Karoly Kiss, secrétaire du Comité central; par Istvan Friss et d'autres encore. Le chef incontesté de cette camarilla est J ozsef Revaï, un vieux routier du communisme, qui fut le « troisième homme» du triumvirat Rakosi-Geroe. A la conférence du Parti tenue en juin dernier, Revaï proposa la réhabilitation massive de la vieille garde, cherchant à intéresser les délégués au Biblioteca Gino Bianco J / L'EXPÉRIENCE COMMUNISTB sort des vétérans qui, disait-il, « vivent chez nous dans une sorte d'émigration intérieure» (Nepszabadsag, 9 juin 1957) ; à cette occasion, Revaï fut réintégré au Comité central; mais, pour le moment, c'est toujours Kadar qui domine la situation. Encore que ses partisans aussi bien que ceux de la vieille garde s'accordent à faire passer en première ligne le combat contre le « révisionnisme », il existe des signes non équivoques d'une lutte féroce en coulisse pour la direction. Le Nepszabadsag du 23 avril 1957 y fait allusion en ces termes : Il était plus facile de maintenir la cohésion de fait et d'idées sous la menace directe de la contre-révolution que ce n'est le cas dans la situation présente, où la question du pouvoir est réglée. On parle de zizanies personnelles, d'incompatibilités d'humeur, de vue divergentes, de tractations politiques secrètes dans des cafés ou des appartements privés. Ce sont là des symptômes inquiétants, qui menacent l'unité à peine rétablie du Parti. La pomme de discorde entre coteries et clientèles, c'est avant tout l'appréciation critique du passé. Tandis que la « vieille garde» 5'efforce de dégager de toute responsabilité dans la déconfiture d'Octobre l'équipe Rakosi-Geroe et sa tactique de provocation., la direction actuelle s'en tient obstinément à la résolution de décembre du Comité central provisoire, aux termes de laquelle, entre autres raisons d'effondrement du régime, figurent « les fautes sectaires et antiléninistes » des pro-staliniens. Cependant, on aurait tort de prendre ces rivalités personnelles pour un conflit entre deux idéologies distinctes dont l'une serait teintée de libéralisme. Aucun staliniste à 100 % n'aurait pu être plus impitoyable que Kadar dans la répression et le retour à l'ordre ancien. On peut considérer comme caractéristique de l'attitude de son groupe la déclaration de Bela Biszku, fin mai, d'après laquelle les « staliniens » avaient manqué de poigne dans l'écrasement de l'adversaire, de sorte que la plus grande erreur du passé avait été «une application insuffisante de la dictature du prolétariat» (Nepszabadsag, 29 mai 1957). La Conférence du Parti en juin 1957 La conférence du Parti en juin 1957 a été le théâtre d'un violent débat portant sur l'interprétation des événements d'octobre et des causes qui leur sont attribuées. Tout le monde était à peu près d'accord pour condamner les opinions des «révisionnistes» qui veulent conserver quelque chose des concessions faites au sentiment populaire. Gyula Kallaï, pour sa part, a reconnu l'existence des luttes intestines dans le Parti, insistant sur la nécessité d1 un combat acharné contre les déviations «stalinienne» et «révisionniste», mais ajoutant que le révisionnisme, «en tant que déviation de droite liée à l'idéologie de la contre-révolution»., reste l'ennemi numéro un (Tasadalmi Szenle, juillet-août 1957). Après _la mise au rancart du « groupe antiparti Malenkov-Molotov» survenue à Moscou, Marosan
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