Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

~- --- . . - B~LAZITCH trialisation, relève d'un marxisme vulgaire et contredit aux données élémentaires de l'histoire de ces pays. La Tchécoslovaquie a connu son industrialisation sans communisme (et même sans indépendance nationale), la Yougoslavie de l'entre-deuxguerres marquait une cadence d'industrialisation égale presque à celle de Tito, avec beaucoup moins de dollars et beaucoup plus d'efficacité. L' « industrialisation», telle qu'elle fut organisée par les communistes dans ces pays, a commencé par mettre à la porte, sinon en prison, la majorité des cadres expérimentés de l'économie nationale, et par subordonner le reste aux représentants ignares de la « nouvelle classe » dirigeante dont parle Djilas. Par surcroît, cette industrialisation s'est opérée selon les schémas du léninisme-stalinisme; ce qui a donné ce résultat que l'agriculture, en recul par rapport à ce qu'elle était avant 1939, ne nourrit plus la population travailleuse et que l'industrie, en dépit de sa croissance, n'arrive pas davantage à la loger, meubler, et habiller décemment. Circonstances atténuantes La critique du livre de Djilas - sur ce point et sur certains autres - doit tenir compte des circonstances atténuantes que l'on est en droit de plaider pour l'auteur. Formé à l'école primaire du marxisme-léninisme-stalinisme et jeté directement de cette école au milieu de la lutte armée, il n'a pas eu le temps de combler les lacunes de son instruction et de son expérience ; moins encore, de digérer, depuis sa chute du pouvoir, les connaissances sociologiques accumulées au cours d'un bon demi-siècle. Pour ne parler que des auteurs marxistes, Djilas n'avait encore lu, en 1950, aucun livre de Rosa Luxembourg; il ne connaissait même pas l'œuvre de Boukharine ; Kautsky cessait à peine d'être à ses yeux un traître et un agent de la bourgeoisie. Puis, il faut bien le comprendre, condamné déjà en 1955 avec sursis, Djilas n'écrivait pas en toute tranquillité et toute sécurité, comme on le fait en Occident : il n'était sûr ni de pouvoir terminer son manuscrit ni de pouvoir le sauver des mains de la police. Toutes ces circonstances ne sont pas très propices à un travail intellectuel de ce genre un peu spécial : écrire, sous le communisme, un livre contre le communisme. La discussion autour de la « nouvelle classe >> mérite d'être axée sur un plan plus élevé que les détails d'ordre matériel ou les désaccords sur tel ou tel point. Le livre de Djilas présente la société communiste dans son développement dialectique ; il en décrit les origines, la formation, le fonctionnement, les premiers signes de décadence et l'avenir incertain encore. La question essentielle est de savoir dans quelle mesure cette description est confirmée par la réalité et par l'histoire. Le point de départ de Djilas ne prête à aucune controverse : chacun reconnaît aujourd'hui que l'origine de la nouvelle classe ou couche dirigeante soviétique se trouve dans la conception du Parti élaborée par Lénine, et que son premier noyau BibliotecaGinoBianco 313 ' •' constitutif se composait de l'élite léniniste des révolutionnaires professionnels, collectivement par.;. venus au pouvoir dictatorial. Il n'y a plus guèrè que les épigones de Trotski pour maintenir une opposition mythique ou sentimentale entre le parti bolchévik originel et la bureaucratie actuellement régnante. Quant à Djilas, il admet ouvertement qu'il n'y a là qu'une seule et même force sociale ; et, au lieu d'attribuer à Staline la responsabilité de la « révolution trahie », il reconnaît qu'il n'y eut, de la part de Staline, aucune trahison envers les « principes d'Octobre », mais un aboutissement logique de la prise du pouvoir par le Comité militaire révolutionnaire que présidait Trotski. Développant son idée directrice, Djilas arrive à la conclusion que la révolution communiste n'a pas - « aboli » les différences de classe, ni créé la « société sans classes », mais qu'elle a donné simplement naissance à une nouvelle classe dirigeante - vérité de La Palice, sauf pour les membres de cette même classe. Les traits de mœurs illustrant, dans l'ouvrage de Djilas, le caractère particulièrement inhumain de la nouvelle classe des monopoleurs relèvent de la stricte vérité historique ; et de même, la définition donnée du totalitarisme commniste présente en quelques mots l'essence du système: Les trois facteurs de base qui constituent ce type d'oppression totalitaire sont le pouvoir, la propriété et l'idéologie. Ils sont monopolisés par le parti politique unitaire et unique - ou, d'après l'explication et le vocabulaire adoptés ici, par l'oligarchie de ce parti et de cette classe. (p. 166) * Toute classe dirigeante tient à conserver ses privilèges et à perpétuer sa domination, mais les communistes se cramponnent au pouvoir d'autant plus farouchement qu'ils sont dans un état de guerre civile permanente avec le peuple et ne sont rien sans le pouvoir. S'ils parviennent à maintenir leur domination, c'est grâce au monolithisn1e dans le Parti et au totalitarisme dans le pays, deux leviers dont les classes dirigeantes qui les ont précédés dans l'histoire n'avaient pas disposé. Mais l'histoire enseigne qu'aucune classe 11ereste immobile, qu'il n'en est aucune qui ne subisse transformation, évolution ou décadence. Les trois phases Djilas distingue trois phases dans l'histoire du • commurusme : Le communisme dogmatique de Staline, substitut du communisme révolutionnaire de Lénine, cède à son tour la place au communisme non dogmatique du groupe d'oligarques baptisé direction collégiale. * Les références se rapportent ici à la version anglaise. mais les citations sont transcrites du texte français à paraître prochainement en librairie . •

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==