302 dans le Parti. On veut magnifier les restes physiques au détriment de l'exaltation idéologique. On parle par exemple de transférer _d'Angleterre chez nous, à Moscou, les cendres de Marx. Il m'est même arrivé d'entendre dire que ces cendres, enterrées sous le mur du Kremlin, ajouteraient à la sainteté, à la signification de tout ce lieu, de tous ceux qui sont enterrés au cimetière commun. Cela n'a vraiment pas de nom. Kamenev de son côté répondit à Staline dans le même sens. Il rappela la proposition (soutenue tout particulièrement par Zinoviev) de changer le nom de Pétrograd en Léningrad. Un tel acte, marquant l'importance grandiose de Lénine dans l'histoire de la révolution d'Octobre et s'accompagnant de la publication de ses œuvres à des dizaines de millions d'exemplaires, serait vraiment un hommage à sa mémoire. Mais quant à conserver son corps, il y voyait un bizarre écho du «cléricalisme » que Lénine fustige dans son livre philosophique. Apparemment les protestations de Trotski, de Boukharine et de Kamenev ne firent aucune impression sur Staline et Kalinine. Staline refusa de donner le nom du «camarade de province » qui proposait d'embaumer les restes de Lénine, Kalinine continuant à répéter obstinément qu'on ne pouvait enterrer Lénine comme un simple mortel. Une position étrange, mais qui penchait du côté de Staline et de Kalinine, fut prise par -Rykov. Il trouvait fort malencontreuse toute l'idée d'aménager un cimetière sur la place Rouge sous le mur du Kremlin : - On y a apporté quelques centaines de cercueils, prétendument de défenseurs de la révolution d'Octobre, et on les a mis dans des fosses communes. Mais que ce soient vraiment des défenseurs de la révolution et non des gens tués accidentellement ou même des ennemis de cette révolution, cela nous ne le savons pas exactement. La question a été soulevée par quelques-uns dès 1919, au moment de l'enterrement de Sverdlov au même· endroit. De ce qui est parvenu jusqu'à moi, on peut conclure que, selon Rykov, Lénine devait être enterré d'une façon spéciale et en tout cas hors du cimetière commun. QUE SE PASSA-T-ILquand Lénine mourut et que, cette fois, il fallut décider sans délai comment l'enterrer ? Même parmi les hauts dignitaires du Parti on ignorait la décision prise à .ce sujet. ~aroslavski par exemple occupait le BibliotecaGinoBianco - LE CONTRAT SOCIAL poste extrêmement important de secrétaire de la Commission centrale de contrôle du Parti à laquelle, d'après la définition de Staline, -ne pouvaient appartenir que des égaux des membres du CC. Or même lui, Iaroslavski, ignorait ce qui avait été décidé et c'est pourquoi il écrivit dans son article nécrologique (on devait s'en moquer plus tard) publié le 26 janvier dans la Pravda : «Cher Lénine ! Nous enfouïrons ta dépouille mortelle dans la terre, mais ton œuvre, tes idées demeureront avec nous, en nous.» Or justement on avait décidé de ne pas enfouir dans la terre les restes de Lénine. Et dans le même numéro de la Pravda, au coin gauche de la deuxième page, évitant manifestement de choquer le Parti et la population, figurait modestement la résolution suivante du Comité central exécutif de l'Union, signée de son président Kalinine : Accédant au désir exprimé par de nombreuses délégations et de nombreux appels adressés au CCE de l'URSS et afin de donner à tous ceux qui le désirent et n'ont pu arriver à Moscou à temps pour les obsèques la possibilité de dire adieu au chef bien-aimé, le Présidium du CCE de l'URSS décide: 1. De conserver le cercueil avec le corps de Vladimir Ilitch dans un caveau dont l'accès • • sera ouvert aux v1s1teurs. 2. D'ériger ce caveau près du mur du Kremlin, sur la place Rouge, au milieu du cimetière commun des combattants de la révolution d'Octobre. Quand cette résolution parut, elle fit à beaucoup l'effet d'un rébus, tant elle est ambiguë. D'une part, la conservation du corps de Lénine semble devoir revêtir un caractère provisoire : donner aux délégations de province non encore arrivées la possibilité de «dire adieu » au chef bien-aimé. De l'autre, le «caveau» n'est nullement provisoire mais est installé à titre permanent pour des visites continuelles. Plus tard, la solution du rébus apparut simple. Il y avait au Politburo un groupe qui, sans tenir compte des protestations de Trotski, de Kamenev, de Boukharine, était fermement décidé à faire embaumer le cadavre de Lénine et à le conserver. Les tenants de cette décision étaient Staline, Rykov, Kalinine. La décJaration de Kalinine prétendant que le CCE avait reçu de «nombreuses délégations » la demande de conserver les restes de Lénine (selon les canons «russes », d'en faire une relique) était bien entendu un mensonge. Tout avait été décidé sans cela. Le deuxième congrès des Soviets s'ouvrait le vingt-six janvier et c'est précisément lui, dirait-on, qui aurait dû trancher
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