Le Contrat Social - anno I - n. 5 - novembre 1957

I. BERLIN bolchévik, et donc de pécher contre la démocratie marxiste, de provoquer une guerre civile impliquant le danger d'une contre-révolution. Il fut, bien entendu, dénoncé par les bolchéviks et ceux qu'il appela les demi-léninistes comme . , .. . , . ayant rerue ses pr1nc1pes, comme un react1onnaire, un chauvin, un « occidental » sans contact avec les masses russes, un bourgeois trahissant la classe ouvrière ; les plus « modérés » le traitaient de vieux fossile de l'histoire révolutionnaire. Il soutenait que le socialisme ne pouvait être établi en Russie que par les votes de la majorité dans des conditions d'expansion économique, ce qui nécessitait un certain degré de collaboration avec d'autres partis de gauche et libéraux, et, comme condition préalable, la défaite de l'impérialisme allemand. Il était célèbre et vénéré, mais· presque personne ne l'écoutait. Ses opinions semblaient trop modérées, le ton trop civilisé. La révolution d'Octobre montrait déjà son ombre. Dès qu'elle eut lieu, il la condamna avec l'éloquence la plus mordante dont il était capable. Sa maladie pulmonaire chronique avait empiré à cause du froid et de la faim qui ·sévissaient à Pétrograd en 1917, et il dut s'aliter. 11s'attendait à être arrêté ou même assassiné. En effet, au deuxième jour de la révolution, un groupe de soldats et de matelots forcèrent sa porte, pénétrèrent dans sa chambre à coucher, saccagèrent ses papiers, menacèrent de le tuer, et finalement sortirent en lui jetant de vagues insultes et des menaces. Quelqu'un s'en plaignit à Lénine; il sembla sincèrement choqué : Plékhanov était la plus grande personnalité du socialisme russe, et le dictateur lui-même reconnaissait qu'il lui devait, intellectuellement et politiquement, plus qu'à tout autre maître vivant. L'ordre fut BibliotecaGinoBianco 297 donné de protéger désormais la propriété personnelle du citoyen Plékhanov. Mais celui-ci était mortellement atteint, et il mourut le 30 mai 1918 dans un sanatorium en Finlande, maudissant Lénine jusqu'à la fin pour avoir trahi tout ce pour quoi ils avaient lutté tous deux, et pour avoir déchaîné la violence et le voyoutisme dans le pays. Ses obsèques se transformèrent en une vaste démonstration, calme et émouvante, de ses plus vieux amis, les ouvriers de Pétersbourg. Dans le dernier article de sa main publié en Russie, il rappela sur un ton sardonique que le chef socialiste autrichien, Victor Adler, lui disait souvent sur un ton de reproche : « Lénine est votre enfant», et qu'il répondait alors : « Mais pas mon fils légitime». 11est naturel que les attitudes envers Plékhanov dans son pays natal (et à l'étranger) soient restées ambivalentes. La note soviétique aujourd'hui encore est d'affirmer qu'il fut virtuellement infaillible jusqu'en 1903 environ, et qu'ensuite (c'est-à-dire après le premier désaccord avec Lénine), il perdit toute valeur. La célébration du centenaire de sa naissance a été menée en Union soviétique dans le même esprit d'admiration équivoque. Le détrônement de Staline a permis quelque éloge condescendant de Plékhanov en tant que grand ennemi du culte de la personnalité. On publie et l'on discute de nouveau ses écrits, quoique avec grande prudence, surtout ceux qui ont acquis une signification particulièrement poignante de nos jours. Car les événements ont justifié ses plus sombres prophéties à un point qu'on n'aurait pas osé concevoir, même dans cette journée triste et pluvieuse où son corps fut porté à la tombe. ( Traduit de l'anglais) lSAIAH BERLIN •

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