288 devant les tâtonnements des auteurs obscurs des textes syndicaux. Si l'on a pu assurer que «pour comprendre, il faut aimer », on peut dire que ces paroles s'appliquent admirablement à cette grande œuvre de Maxime Leroy. C'est en vibrant avec le sentimentalisme ouvrier, en participant à ses espoirs avec une totale sincérité qu'il a pénétré à fond les ressorts de sa pensée. Maxime Leroy atteignait la maturité de son esprit au début du siècle, précisément au moment où le syndicalisme ouvrier se trouvait dans sa grande époque d'activité intellectuelle et matérielle. Cela lui permit d'ei1 observer de près les manifestations les plus caractéristiques, car il fréquentait nombre de ses militants les plus actifs. Parmi eux il appréciait plus particulièrement Alphonse Merrheim, qui devait devenir plus tard secrétaire de la Fédération des Métaux. Il l'approcha dès sa jeunesse, se déplaçant même pour aller le voir à Lille, bien avant que ce militant disparu jouât le rôle de premier plan qu'il assuma plus tard. Ce qui, soit dit en passant, était une remarquable preuve de clairvoyance. Il entretint ensuite avec A. Merrheim de longs rapports. Par ces relations étroites avec les militants ouvriers du début du siècle, il assimilait leur idéalisme au point d'être capable de l'aider à s'exprimer dans un document maintenant historique, ou tout au moins célèbre dans le mouvement syndical sous le nom de« Charte d'Amiens». Maxime Leroy contribua, en effet, à la rédaction de ce document capital dont les enseignements sont d'ailleurs assez oubliés par le syndicalisme d'aujourd'hui : la «charte confédérale » tendait à écarter de l'action ouvrière l'influence fâcheuse des préoccupations politiques. Aussi le vrai syndicalisme de cette époque était-il devenu une puissance qui ne fut pas seulement celle du nombre ; car malgré \.la faiblesse de ses effectifs, il réalisa quand même de grandes réformes sociales. Il se montra capable de faire des conquêtes dont les ouvriers d'aujourd'hui jouissent sans peine, et souvent sans savoir ce qu'elles ont coûté à la génération précédente : la journée de huit heures, le repos hebdomadaire des employés, etc. Sur ce dernier point, combien d'employés de commerce savent-ils, aujourd'hui, qu'il y a seulement cinquante ans les magasins étaient ouverts le dimanche toute la journée? Et que leur fermeture hebdomadaire ne fut obtenue que par des batailles dans les rues avec la police, suivies de séjours plus ou moins prolongés des militants dans les pt'isons de la Troisième République? BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL Maxime Leroy vécut intensément et pour ainsi dire fraternellement toute cette période, en aidant le mouvement syndical de toute sa science des sociologues du x1xe siècle. Car il connaissait leurs œuvres à fond et surtout celles de Saint-Simon et de Proudhon. Avec Camille Bouglé, Roger Picard et plusieurs autres disparus, il avait contribué à l'activité des Amis de Proudhon qui travaillaient à la réédition des œuvres de l'homme qui exprime le mieux les tendances profondes du monde du travail. Aussi est-ce • • • A ' certainement - au moins en partie - grace a l'influence de Maxime Leroy que le synâicalisme des années 1900 fut tellement imprégné de la pensée proudhonienne. Dans le présent, la disparition de 1V1axime Leroy peut laisser le «grand public » indifférent. ? Mais elle cause un vide difficile à mesurer parmi tous ceux qui eurent la chance de le connaître et, en assistant à son activité, d'avoir l'illusion de l'aider en quelque manière. Chaque mois, il réunissait autour de lui, dans un dîner sans protocole, et toujours fort gai grâce â lui, une cinquantaine de personnes dont les origines et les intérêts variés étaient comme un reflet de l'étendue de son esprit. A chacune de ces réunions Maxime Leroy se montrait l'animateur incomparable qui faisait oublier son grand âge. Aussi était-ce comme une vraie fête pour ceux qui avaient le privilège d'y assister. Dans l'un des derniers, ses amis avaient ainsi entendu avec un plaisir inoubliable Maxime Leroy échangeant avec Fernand Gregh les souvenirs des années de jeunesse qu'ils avaient passées ensemble au lycée de Vanves. Rappel de temps disparus, pleins de détails pittoresques et plaisants. L'évocation de ces réunions si caractéristiques permet de qualifier Maxime Leroy comme un être éminemment sociable. Il lui fallait des amis autour de lui. On sentait que c'était ainsi qu'il concevait la vie. Après les soirées que l'on vient de remémorer, et malgré l'heure tardive, il pouvait encore les prolonger par des discussions où sa science débordait dans la rue sous un lampadaire, comme un jeune homme ardent qui ne saurait rentrer chez lui sans avoir épuisé tous ses arguments ... En notre époque travaillée par tant d'idées de reconstruction, la sociabilité de Maxime Leroy était l'indice des tendances les plus certaines de son esprit : elles se dirigeaient vers toutes les formes de communauté organique qui seront certainement à la base de la société de l'avenir. HYACINTHE DUBREUIL.
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