• QUELQUES LIVRES La Commune., dans laquelle il joua un grand rôle (pp. 29-51)., marqua de façon décisive sa pensée et sa vie. 11 fut pour ses contemporains « la Commune incarnée », comme dit Dommanget (p. 280) et cela ne contribuait pas médiocrement à lui conférer du prestige et de l'autorité auprès de toutes les écoles révolutionnaires, y compris les anarchistes. C'est par cette fidélité à la Commune plus que par aucune autre considération tactique ou doctrinale que s'expliquent bien des comportements. Sa haine envers Jules Ferry (p. 92) l'aveuglait au point de. lui faire voir un réactionnaire et un aventurier de coup d'État dans celui qui fut le plus réalisateur des hommes d'État républicains. Son attitude à l'égard de Boulanger n'échappait à l'équivoque qu'en se réfugiant dans les facilités de l'abstraction : « Ni Ferry., ni Boulanger» (p. 92). Enfin son hostilité au « ministérialisme » et au gouvernement de Waldeck-Rousseau tenait essentiellement à ce qu'un socialiste y siégeait aux côtés du général de Galliffet. Cette intransigeance un peu factice., jointe à la passion de Vaillant pour l'unité socialiste et à son fameux « plutôt l'insurrection que la guerre »., fit longtemps de lui le type du révolutionnaire., on n'ose dire du « révolu- • • t1onnar1ste ». Or., à côté de ce Vaillant., Dommanget en ressuscite un autre., le mot n'est pas trop fort : un Vaillant constructeur., soucieux de réalisations concrètes., que ce soit durant la Commune, ou au Conseil municipal de Paris (il y entra en 1884) ou même au Parlement, ou encore dans les syndicats., à la CGT (dont il fut « l'ami et le porte-parole »., comme l'écrit Dommanget en un chapitre substantiel., le plus neuf du livre peut-être). Déplorons que cette partie de l'action de Vaillant ait été non seulement offusquée., mais faussée., puis à peu près annihilée (Dommanget n'en conviendrait sans doute pas) par la fidélité du communard à un romantisme insurrectionnel qui, avec le recul du temps et les leçons de l'expérience, paraît aujourd'hui singulièrement naïf. Comment cet homme, soucieux de ne pas céder aux illusions barricadières dont Guesde et Jaurès lui-même furent quelquefois victimes, comme l'avaient été Marx et Engels avant eux (pp.298-300), et qui possédait un sens inné des réalisations concrètes, a-t-il pu ne pas sentir que son opposition fanatique à Jules Ferry., à Millerand., affaiblissait la République et retardait d'un demi-siècle l'évolution sociale? Comment n'a-t-il pas compris que son anticléricalisme forcené, qui lui faisait réclamer la fermeture de toutes les églises (p. 81) et l'interdiction du port de la soutane (p. 315)., contribuait à détourner les esprits des vrais problèmes du siècle? Comment n'a-t-il pas deviné que telle de ses propositions pratiques - la création d'une commission du Travail à l'Hôtel de Ville de Paris., par exemple (p. 80) - perdait des chances d'adoption ou des moyens d'efficacité quand il leur donnait inutilement par certains de ses propos un caractère révolutionnaire ? L'attitude de Vaillant à l'égard de la défense nationale porte plus fortement encore la marque BibliotecaGinoBianco 267 de ces contradictions. Dommanget montre de façon définitive que Vaillant fut toute sa vie un ardent patriote. Il ne s'est pas converti à la patrie, comme Gustave Hervé., à la veille de la guerre : de 1870 à 1914., il n'a pas cessé d'affirmer la nécessité de défendre la nation attaquée, fidèle en ceci à Blanqui, l'homme de « la Patrie en danger ». Il n'en fut pas moins celui qui lança et maintint la célèbre formule : « Plutôt l'insurrection que la guerre >> énoncée pour la première fois dans le Socialiste du 14 février 1904 (p. 223). Sans doute imaginait-il qu'il surmontait l'évidente antinomie de ces deux affirmations en proposant la suppression des armées permanentes et l'armement général du peuple (la guerre se confondant ainsi avec l'insurrection, selon la conception de Bakounine). Une fois le conflit déclenché, il trouva, écrit Dommanget (p. 250) « la démonstration des thèses qu'il avait soutenues tant de fois dans la nécessité où étaient les Alliés de réaliser vraiment la nation armée ». Léon Blum pensait également ainsi quand, en 1935., lors du fameux débat au cours duquel il s'éleva à la fois contre la prolongation du temps de service militaire et contre les idées du colonel de Gaulle sur la guerre mécanique, il déclara que la France avait été sauvée en 1914 par une armée qui ressemblait beaucoup plus aux milices de Jaurès et de Vaillant qu'à l'armée des trois ans et de l'étatmajor : c'était se contenter de ressemblances bien superficielles. La pensée et l'action de Vaillant, la pensée -et l'action du socialisme français ont été travaillées alors (et depuis) par d'insolubles contradictions. Il faut savoir gré à Dommanget d'avoir isolé fort clairement les différents éléments de la pensée de Vaillant en la matière, et de permettre ainsi au lecteur de conclure, s'il le veut, tout autrement que lui. GÉRARD LAFERRE Témoignage ho11grois GEORGES MIKES : La Révolution hongroise. Paris, Gallimard, 1957, 192 pp. LE LIVRE que Georges Mikes a rapporté de Hongrie et de l'insurrection populaire d'Octobre, réunit plusieurs qualifications extrêmement rares dans de telles circonstances. D'abord, il est celui d'un journaliste authentique, qui sait voir, entendre, et se trouver à temps dans les endroits où il faut, pour situer avec précision les faits dans leur atmosphère psychologique et partager humainement, quoique toujours lucidement., le sort d'un être, d'un groupe, d'une foule, d'une ville et d'un peuple. Ensuite, il a le vif mérite d'être écrit par un homme que n'empriso1me ni l'ignorance, ni les idées préconçues. Hongrois de naissance., anglais d'adoption., humoriste de profession (spécialité qui cache mal une prédilection pour l'ethnographie comparée des civilisations européennes), G. Mikes était l'interprète rêvé entre des peuples qu'il
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