Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

250 théorie, le dépérissement réel de la société, absorbée par l'appareil de l'État. Les démocraties modernes sont familiarisées - depuis le x1xe siècle tout au moins - avec la conception de classes sociales, supposant une structure stratifiée : classes plus ou moins différenciées et parfois antagoniques les unes des autres. Ces classes ne peuvent se cristalliser que dans la mesure où une large communication horizontale leur donne une originalité et une conscience, au sens marxiste du mot, phénomène que paralyse le pouvoir totalitaire ; ce pouvoir cloisonne la société par la destruction des contacts horizontaux, et polarise tous les groupements intérieurs vers un centre commun, l'État. Bien qu'on puisse parler de classes en URSS (en utilisant des critères sociaux et économiques, comme le genre de vie et la rémunération), il n'en reste pas moins que la notion de classe est statique et non dynamique ; les classes constituent une matière sociale et non des forces sociales. C'est pourquoi le langage du marxisme traditionnel _est inadéquat pour décrire le monde totalitaire, dont l'étude ne peut être efficacement abordée qu'en termes de puissance ou de pouvoir. En ce sens, l'ouvrage de Fainsod est un excellent exemple pour une analyse en profondeur de la société soviétique. Si l'on parle de forces sociales en URSS, il faut entendre par là des groupements verticaux, à .allure plus ou moins corporative, dont les têtes siègent au Prresidium du Parti. Ces groupements sont : le Parti lui-même qui est la suprême instance ; la police avec sa hiérarchie secrète ; l'armée avec sa hiérarchie ouverte; l'encadrement BibliotecaGinoBianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE administratif et technique de l'industrie ; la bureaucratie kolkhozienne ; l'intelligentsia artistique et scientifique. Chacune de ces forces a ses maîtres et ses domestiques, liés par un intérêt corporatif, · que cimente l'insécurité de chacun et qui tend à résister au mécanisme corrosif de la suspicion mutuelle. Jusqu'à présent, ces forces se manifestent davantage par la résïstance qu'elles offrent aux initiatives du pouvoir que par des interventions positives. Les dirigeants du Parti s'appuient sur elles plus qu'elles ne les soutiennent : Khrouchtchev utilise Joukov et son influence sur l'armée pour liquider la direction collégiale et saper l'influence de Malenkov sur les cadres supérieurs de l'industrie. Mais il s'agit là d'un équilibre instable : aujourd'hui, le Secrétariat du Parti utilise l'armée pour soutenir sa politique ; demain, il pourrait se faire que l'armée utilise le Parti pour couvrir la sienne. Ce ne sont là qu'hypothèses et non prédictions. Tant que le pouvoir aura la force d'empêcher les classes sociales de se cristalliser et d'intervenir avec leurs aspirations démocratiques, l'avenir du régime se décidera dans les rapports existant entre le Secrétariat du Parti et les personnages consulaires qui s'appuient sur telle ou telle force «corporative» parmi celles que nous avons essayé de définir, armée, police, technocratie, etc. L'« émancipation » (en donnant à-ce mot un sens particulier que le ~ecteur comprendra) d'une ou de plusieurs de ces forces par rapport au Secrétariat amorcerait une révolution de palais dont les répercussions incalculables échapperaient probablement à ses initiateurs. MICHEL COLLINET

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==