244 l'œuvre de la Chine communiste, avec l'aide effective du Kremlin. Tot1t cela sans parler des agressions politiques de nature interne, comme le rattachement brutal des Pays baltes à l'URSS et le coup d'état en Tchécoslovaquie. Les puissances démocratiques ne èevaient-elles pas intervenir en ces cas pour ramener l'ordre et la paix? Ne le devaient-elles pas d'autant plus impérieusement que ces agressions politiques outrageaient directement le •libre consentement des peuples? Enfin (si nous devions nous laisser conduire simplement par l'étalage d'intentions belliqueuses et les prédictions de lutte à mort contre l'adversaire libéral), l'idéologie bolchévique n'est-elle pas assez riche, de Lénine à Staline et au delà, en incitations à préparer la « guerre inévitable », malgré tout le bavardage sur la coexistence ? Au total, si l'on s'en tient aux propres critères de Cole (oppression et guerre), on ne peut en rien opposer les régimes fascistes et communistes. Pour légitimer ses préférences, Cole est obligé de se replier sur un distinguo qui fait entorse aux principes de moralité socialiste dont il s'est lui-même réclamé. Dans son article du 12 janvier, il avait écrit : « Je maintiens que le socialisme ne peut être légitimement poursuivi comme but que par des moyens compatibles avec la morale ... » Le 20 avril, · il dit en substance que, si le socialisme ne peut être instauré par de tels moyens, on peut très bien admettre qu'il le soit par d'autres, parce que le temps et la croissance des forces de production ne tarderont pas à réparer le mal. Là encore Cole se trompe, la chose est claire. Il tombe victime de l'obsession la plus aveugle dont puisse souffrir un marxiste orthodoxe : le fétichisme des forces de production. Il tient pour démontré que, si seulement l'industrie lourde se développe et se collectivise-avec le temps, l'instruction, la culture, la liberté politique en résulteront nécessairement. Les événements dont furent témoins deux générations ne semblent donc lui avoir rien • appris. Comme les gouvernements communistes, les gouvernements « fascistes » ont combattu l'analphabétisme - particulièrement au Japon et en Allemagne. Si le fait de n'être pas illettré engendre par soi-même un désir de liberté (ce qui, d'après Cole, se vérifiera tôt ou tard pour les régimes communistes, lorsqu'ils auront surmonté l'ignorance des masses), ce phénomène vaudrait également pour les régimes fascistes. Mais la diffusion des connaissances, lorsque le gouvernement détient un monopole absolu sur ce qui s'écrit et se lit, est une arme douteuse dans la lutte pour la liberté. La presse et la radio sont le plus souvent un instrument de plus dans l'arsenal des dictatures, pour rendre plus total l'esclavage totalitaire. Est-il question de loisirs organisés, d'assurances, de protection légale? Les États fascistes ont aussi, à l'occasion, cc mis les services sociaux à la disposition des masses qui en étaient auparavant exclues ». Peron était, pour cette raison, l'enfant chéri des descamisados argentins. Hitler · et Mussolini ont fait quelque chose pour les chômeurs que les • BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL gouvernements libéraux avaient laissé sans travail et sans appui. Rien ne prouve que l'élévation du niveau de vie dans les pays communistes ait jamais dépassé les améliorations correspondantes en pays non communistes, voire fascistes. Bien entendu, même s'il se révélait que les travailleurs des pays de dictature soient économiquement privilégiés par rapport à ceux des· pays libres, cela ne réconcilierait pas encore les socialistes avec la perte de la liberté. Il vaut mieux être un gueux affamé et libre - dirait certainement G. D. H. Cole - qu'un esclave engraissé sous un tyran. Et cependant, il ne peut se résoudre à appliquer cette maxime au communisme. 11 s'oblige à croire que la maturité des forces de production une fois atteinte en régime communiste (et à qui appartient-il de reconnaître cette maturité?), la liberté dont les travailleurs ont été dépouillés leur serait automatiquement rendue. G. D. H. COLE est en général trop optimiste dans ses perspectives d'avenir. Il néglige le. fait que les travailleurs soviétiques ont eu plus de liberté dans les premiers jours du communisme que sous les derniers plans quinquennaux. Mais il n'y a rien d'automatique dans la renaissance de la liberté sous une économie « socialiste » ( si tant est qu'un système de travail forcé puisse être appelé ainsi). On a connu des révoltes sporadiques contre le fascisme en Allemagne, en Espagne, en Argentine; ne serait-ce pas absurde de dire que ces révoltes étaient un heureux produit de la « maturation » économique et culturelle du fascisme ? Absurde, mais pas davantage que de dire la même chose du communisme et de sa maturation. D'ailleurs ce n'est pas seulement son statut et son niveau de vie qu'un groupe dominant cherche à maintenir dans la société : c'est surtout la hiérarchie, l'échelle des privilèges. La crainte et la terreur peuvent exister, même là où la faim n'existe plus . Le lecteur ne sera pas surpris, au point où nous en sommes, d'apprendre que G. D. H. Cole est en désaccord marqué avec la déclaration de l' Internationale socialiste, d'après laquelle « le socialisme et le communisme n'ont rien de commun ». J'admets que, prise au pied de la lettre, cette assertion est inexacte, parce que deux choses ont toujours quelque chose en commun. Par exemple, le socialisme et le capitalisme sont tous deux des systèmes sociaux ; le socialisme et le fascisme sont tous deux des mouvements sociaux ; un saint et un pécheur sont tous deux des êtres humains, etc. Mais la phrase que j'ai citée n'est pas destinée à être comprise littéralement. C'est tout simplement une déclaration selon laquelle un abîme moral sépare le socialisme du communisme, abîme qu'a creusé en partie le meurtre de démocrates socialistes par dizaines de milliers, abîme que rien de ce que peuvent dire aujourd'hui les communistes ne peut· combler. Tout en reconnaissant que le socialisme et le communisme diffèrent entre eux de bien des façons, Cole, partant de l'évidence que tous deux
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