LA CRITIQUE DU MARXISME CHEZ SIMONE WEIL par Simone Pétrement LE RECUEIL publié sous le titre d'Oppression et liberté * contient les écrits de Simone Weil consacrés à l'examen du marxisme. On y trouve d'abord l'article intitulé « Perspectives», auquel la Révolution prolétarienne, où il parut en 1933, donna pour sous-titre : « Allons-nous vers la révolution prolétarienne ? » Cet article, l'une des premières œuvres où notre temps prit conscience de lui-même, mettait en question les prévisions les plus importantes de Marx. On a démontré plus d'une fois que Marx a mal prévu sur certains points ; mais ce sont des points relativement secondaires et il n'est que trop naturel qu'un homme, même génial, ne puisse tout prévoir. Au contraire, il s'agissait dans « Perspectives » de la prévision la plus générale et la plus fondamentale. Il ne s'agissait pas du fait que la révolution s'est produite ici plutôt que là; il s'agissait de la révolution elle-même, de savoir quel genre de révolution est possible et probable de nos jours, en tout pays. Ensuite, après quelques textes plus courts, vient le grand essai dont quelques-uns connaissaient l'existence mais qui n'avait jamais été publié : « Réflexions sur les causes de la liberté et de l'oppression sociale», essai que Simone Weil écrivit comme une sorte de testament avant d'entrer à l'usine en 1934. Là ce ne sont plus seulement les prévisions de Marx, mais ses analyses concernant son propre· temps et l'histoire antérieure, qui, examinées méthodiquement, apparaissent souvent comme incomplètes et parfois contradictoires. Aux prévisions est opposée une étude détaillée des perspectives du progrès technique ; à la théorie de l'histoire, une analyse nouvelle des causes de l'oppression et d~s conditions d'une société libre. Les fragments et les essais qui suivent cette grande œuvre peuvent en être considérés comme des déve- * Paris, Gallimard, 1955, 280 pp. Biblioteca Gino Bianco loppements sur tel ou tel point - quelques-uns particulièrement vigoureux et beaux, par exemple celui qu'on a intitulé « Sur les contradictions du marxisme», et la « Méditation sur l'obéissance et la liberté». Enfin, peu avant sa mort, Simone Weil avait entrepris l'ouvrage inachevé qui termine le recueil : « Y a-t-il une doctrine marxiste?» Dans ce texte et les deux fragments qui s'y rattachent, on trouve, avec le style extrêmement pur et la religion émouvante de ses derniers écrits, une force de certitude qui bannit tout reste de timidité à l'égard de Marx. La question concernant le marxisme n'est plus seulement : est-il vrai? mais : existe-t-il en tant que doctrine? Là où les contradictions sont trop nombreuses et irrémédiables, on peut penser que la doctrine n'est qu'un mythe, si puissant que ce mythe ait pu être et soit encore. « Il n'y a jamais eu de marxisme, dit Simone Weil, mais plusieurs affirmations incompatibles, les unes fondées, les autres non. » • Comme on peut s'y attendre, elle ne méconnaît jamais l'âme généreuse de Marx; elle était aussi tourmentée que lui par le souci de la justice. Bien plus, c'est parce qu'elle a aimé le marxisme, parce qu'elle y a trouvé comme beaucoup la source de l'espoir qu'elle l'examine avec tant de rigueur, aimant mieux se priver de boire que boire au mensonge. Elle affirmera d'ailleurs jusqu'au bout que plusieurs des idées de Marx sont des idées de génie et qu'il y a dans son œuvre « des fragments compacts, inaltérables, de vérité, qui ont naturellement leur place dans toute doctrine vraie ». C'EST peut-être ·dans « Perspectives » que furent pour, la première fois clairement définis et A • , • en meme temps Juges par rapport au marxisme certains caractères essentiels de notre temps. Alors
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