Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

]. CARMICHAEL françaises, à l'ensemble du monde arabe. Pour cette raison, les chrétiens de langue arabe furent les premiers à s'éprendre de l'idée nationaliste. * )f )f MAIS du moment que les vieilles communautés chrétiennes du Proche-Orient accédaient consciemment à la revendication de la nationalité, elles se trouvaient en face de cette question : de quelle nationalité? Jusque là, les chrétiens de langue arabe s'étaient définis à leurs propres yeux par la seule religion, imitant en cela les musulmans et presque tous les autres peuples du ProcheOrient. Jamais un chrétien parlant l'arabe n'eût songé à s'en faire une appartenance ethnique : il se considérait en premier lieu comme lliï Maronite, un Melchite, ou un Grec orthodoxe ; en second lieu comme relevant d'une localité déterminée, ou d'un certain clan ou famille. La question du langage lui eût semblée banale ou sans in1portance. Bien sûr, il parlait arabe - comme tant d'autres le font - mais qu'est-ce que cela pouvait signifier? Telle était l'attitude ordinaire à travers tout le Proche-Orient jusqu'au dernier tiers du siècle dernier. C'est alors seulement que sous l'influence, et à l'imitation des idées européennes, comme nous l'avons signalé plus haut, mais également sous l'empire d'un ressentiment de longue date, profondément enraciné, contre les Turcs ottomans, les chrétiens de langue arabe commencèrent à voir dans «!'arabisme» une issue hors du ghetto où ils se trouvaient confinés. L'arabisme se fondait ,,. sur la langue arabe, seul commun dénominateur des musulmans et des chrétiens dans le ProcheOrient. D'où l'impulsion initiale de ce qui est devenu depuis lors le nationalisme arabe, surgissant des efforts tentés par les chrétiens de langue arabe pour faire éclater les restrictions où ils se trouvaient enfermés. Ce furent ces chrétiens arabisants qui les premiers firent acte de candidature à la direction politique du «monde arabe ». Les missionnaires chrétiens - particulièrement les pasteurs protestants - jouèrent un rôle non moins décisif sur le plan des distinctions linguistiques, contribuant à leur conférer une importance capitale dans la vie du Proche-Orient. Ce sont eux qui ont effectivement rendu vie à l'arabe, comme langue moderne et écrite : d'abord à travers les traductions arabes de la Bible, et ensuite par le moyen de la presse périodique. Ainsi il y a quelque ironie à constater qu'une possession musulmane aussi fanatiquement appréciée que la langue arabe a été érigée dans tout l'éclat de sa gloire contemporaine par les efforts de clercs infidèles.** •• Le monde musulman dans son ensemble n'a pu retrouver, avec toute la t>lénitude et l'exactitude de l'histoire, le souvenir de son St>lendide l)assé que grâce aux rechercnes laborieuses des Eurol)éens. Les réminiscences légendaires exaltant l'ancien Califat, dans la mesure où elles avaient survécu dans le t>CUt>lcm!me, se limitaient à peu de chose. Cc n'est qu'après les travaux accomplis en profondeur par plusieurs aénérations d'érudits occidentaux que fut remise au jour la substance réelle de la culture islamique à son apoaéc - permettant ainsi aux intellectuels arabes-musulmans BibliotecaGinoBianco 227 Les communautés chrétiennes du Proche-Orient n'ont pas eu moins d'importance comme points de cristallisation du sentiment anti-turc. C'est là que l'aversion, ancienne et difficile à définir, des Arabes contre les Turcs acquit pour la première fois son expression politique. La haine des Turcs devint un facteur profondément important dans la genèse du mouvement national arabe. Ni les chrétiens ni les musulmans parlant arabe ne pouvaient supporter ces dominateurs. Les «Arabes », comme représentants d'une culture ancienne et brillante possédant une grande littérature, méprisaient les Turcs pour leur rusticité barbare. Les Turcs, de leur côté, jouissant de la supériorité militaire et politique, ne voyaient dans les <c Arabes » que pau,rres hères, bédouins primitifs, commerçants crasseux. Quant à la solidarité islamique, les Turcs ne se sont signalés à aucun moment de leur histoire par la ferveur de leur foi ; depuis la réforme de Kémal Ataturk, cette solidarité ne joue plus en Turquie qu'un rôle négligeable sur le plan spirituel, et ne compte guère davantage sur le champ de manœuvre politique. QUELLES sont les racines historiques du nationalisme arabe dans sa forme actuelle ? Ce qui frappe l'observateur, c'est sa curieuse absence de contenu. Empruntant son élan presque exclusivement à des réactions négatives - contre les Turcs, les Français, les Anglais, et dernièrement, avec un maximum de virulence, contre l'État d'Israël - le nationalisme arabe reste une forme creuse. L'islam, en sa qualité de société stagnante, diffuse, dispersée, menaçant de se désintégrer sous les pressions du monde moderne, est fondamentalement indifférent ou hostile, non pas au sentiment national comme tel, mais à la formulation des idées véritablement constructrices et de la moralité positive dont le nationalisme a besoin et sans lequel il semble condamné à demeurer une extravagance rhétorique ou une simple xénophobie. La disharmonie entre les perspectives universelles de l'islam et l'étroitesse du nationalisme arabe est encore accentuée par le nombre même des États arabes qui existent aujourd'hui. S'il est déjà difficile à un musulman de se sentir arabe par nationalité, combien n'est-il pas plus difficile pour lui de se considérer, par exemple, comme irakien? Il est possible, après tout, de concevoir une unité arabe sur la base du langage, de la religion, de la tradition, et d'autres facteurs - parmi lesquels la volonté d'être Arabe compterait pour beaucoup. de célébrer avec emphase les glorieux apports de leurs ancêtres à la civilisation mondiale. Les triomphes de l'érudition européenne eurent, par contre l'inconvénient de cacher aux Occidentaux cultivés, derrière le voile brillant du passé arabe, la réalité arabe cont mporaine. Les sujets miséreux, illettrés et opprimés d'un Empire oriental en décomposition furent ainsi métamorphosés par le mirage oriental en généreux chevaliers du désert, ou en potentats mngnifiQues à la Haroun-al-Rachid. Le Colonial Office devait malheureus ment construire sur ces deux images conventionnelles de véritables châteaux de nué s.

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