Le Contrat Social - anno I - n. 4 - settembre 1957

222 linguistique et dont les habitants découvraient qu'ils étaient les fils d'une même patrie ; le Zollverein venait bien après la prédication nationaliste de Fichte et la guerre de l' Indépendance. Le sort de l'Europe dépend donc avant tout de facteurs psychologiques essentiellement fluides et que les statisticiens sont bien en peine d' évaluer. Il est incontestable qu'en un très petit nombre d'années, à travers vents et marées, malgré des hostilités acharnées et diverses, ont été réalisés dans la voie de l'unification occidentale des progrès que personne n'aurait osé prédire alors que s'éteignaient à peine les flammes de l'incendie : création du Benelux, pool charbon-acier, liquidation du problème sarrois, ébauche d'une organisation militaire commune, préparation de l'unité douanière et d'une industrie atomique à l'échelle occidentale. Que certaines de ces réalisations soient fragiles et d'autres bien aléatoires, on en convient sans peine et sans illusions ; mais qu'une seule décennie ait suffi pour que paraissent ces traits ' . . nouveaux, ce n en est pas moins signe et preuve d'une genèse inscrite, c'est bien le cas de le dire, dans le sens de l'histoire. Nul doute, d'autre part, que ces créations ou ces projets soient nés en des cercles étroits, en des comités de techniciens ou d'hommes politiques et que les peuples s'y soient fort peu intéressés, sinon pour céder à l'instigation des communistes ou au rappel de haines invétérées, et faire montre d'un mauvais vouloir irrité ou méfiant. On entend bien que la difficulté majeure provenait du fait que toute politique d'union européenne postule une étroite collaboration franco-allemande et qu'on sortait ici des abstractions juridiques ou des réalités chiffrables pour revenir à la sphère des passions collectives. Qui s'étonnerait qu'immédiatement après un abominable conflit, pareil tournant diplomatique ait semblé vertigineux? Le renversement des alliances n'est certes pas sans précédents, mais il supposait le secret des chancelleries et les facilités du pouvoir absolu ; soumis aux débats tumultueux du forum il ne pouvait manquer de susciter des sentiment~ réprobateurs violemment attisés par la propagande adverse. En ces conditions on ne saurait trop remarquer que si l'idée européenne ne peut se flatter d'avoir obtenu l'enthousiaste adhésion des foules, elle n'a pas non plus rencontré devant elle une opposition capable de lui faire échec · faut-il interpréter cette-relative passivité comm: un cas de soumission au destin, comtr..e un désarmement moral valable de part et d'autre du Rhin, comme un signe d'une évolution qui s'accomplit dans le subconscient BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL collectif? 11 n'est pas déraisonnable de l'espérer. Non que la partie soit jouée, cela va de soi; notre rôle n'est d'ailleurs pas de prévoir des vicissitudes politiques que l'incohérence électorale ou parlementaire rend constamment possibles. Même si l'on admet un moment le pire, - l'échec final de l'entreprise dont s'élèvent peu à peu les constructions - elle aura déterminé sans qu'on s'en rende clairement compte de nouvelles orientations intellectuelles. Il ne faut pas s'hypnotiser en effet sur ce qui est explicite, juridique, technique; les facteurs les plus efficaces de l'histoire sont peut-être ceux qui défient toute mesure et se révèlent à nous par des symptômes, des affleurements, des conséquences. Par l'énorme diffusion? du tourisme, la multiplication des échanges - culturels, l'étude des langues vivantes, s'opère dans les limites désormais trop étroites de l'Occident un énergique brassage d'éléments ethniques et psychologiques ; il .n'est pas douteux non plus que les rapports de toute nature entre l'Europe d'une part, le monde anglo-saxon et hispanique de l'autre, s'accroissent bien plus que ceux qui se créent à travers les interstices du rideau de fer. Les partisans d'une géopolitique, ceux qui plus généralement s'efforcent_:_d'entrevoir~~ou de deviner le complexe travail~organique dont naissent les États vivants ou les groupements d'États, disposent ainsi d'arguments qui vont au delà de la chronique quotidienne. On a beaucoup trop tendance à croire que le monde communiste ~étient le monopole des grands changements ; rien ne prouve que la civilisation occidentale et atlantique soit stagna11te ou sans ressort. L'intégration progressive, naturelle ou délibérée, exprime sa vitalité en même temps qu'elle la fortifie ; en cet amalgame qui est émulation et soutien, qui est aussi sommation d'être soi il se peut que la France soit portée au-dessu~ · de son .désordre, entraînée dans un courant qui la réchauffe. Il suffit parfois de très peu pour que prévalent chez un malade les forces régénératrices ; ainsi soit-il ... J:?e.s réflexions sur la décadence qu'exige, sol~c1te ou suggère le livre d' Aron, le mieux qu'on puisse attendre est moins une conclusion qu'un refus de toute conclusion fataliste. Faire le tour du problème, c'est dégager la part de l'indéterminé ou celle des ambiguïtés convertibles en remèdes bénéfiques. A des propagandes qui voudraient canaliser le « sens de l'histoire », - le définir par· les décrets d'un pseudo-marxisme . . , pr1ma1re, nous repondons par l'affirmation que tout demeure irrésolu, que nos responsabilités sont entières et qu'on peut encore espérer. LÉON EMERY

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==