206 Vorochilov. Il se livre ensuite à diverses considérations sur· les membres du Politburo., plus absurdes les unes que les autres., pour conclure : « Bien des choses dépendront du temps que vivra ·encore Vorochilov.» Ce bavardage ne mérite pas qu'on s'y arrête., mais il reflète sans doute les suppositions arbitraires formées par les bagnards dépourvus de renseignements véridiques (l'ensemble de la population n'en sait pas davantage., les secrets du Politburo étant bien gardés). ,,.*,,. SUR LA CRISE économique et notamment sur « la plus monstrueuse exploitation des paysans »., M. Starlinger est bien mieux informé, ce qui s'explique par une meilleure information de ses compagnons d'infortune : en ces matières., il n'y a pas de mystère pour le commun des mortels en URSS. Les pages traitant du sort des paysans sont parmi les plus justes du livre., abstraction faite de cancans inutiles sur Khrouchtchev et Malenkov. Mais alors apparaît un leitmotiv inattendu., « l'aide à la Chine»., à partir de la p. 102. Comme si le camp où l'auteur a subi sa détention était un poste d'observation particulièrement favorable à l'étude des relations russo-chinoises et aux spéculations transcendantales sur les perspectives de paix ou de guerre. La guerre de Corée., argumente M. Starlinger., fut une « victoire flagrante » de la Chine sur la Russie et l'Amérique. Et « dès maintenant se profile à l'horizon un phénomène biologique qui., pour l'observateur perspicace., dominera tous les événements des dix prochaines années. Il éveille dès maintenant une grande inquiétude chez le Russe intelligent et retient déjà toute l'attention du gouvernement soviétique » (quels sont les dirigeants soviétiques qui ont fait des confidences à M. Starlinger ou à ses co-détenus ?). Le pl1énomène biologique en question, on devine que c'est l'accroissement de la population chinoise; mais il s'avère de notoriété publique et point n'est besoin d'avoir été interné dans un camp soviétique pour en entendre parler. « Qu'arrivera-t-il si., dans quelques années., un peuple de 700 millions d'hommes se trouve privé d'espace vital? » Réponse : « La Chine., étant données les lois inflexibles dont dépend son existence., ne peut s'étendre que vers le Nord et le Nord-Ouest. » Et si la Russie résiste., « tôt ou tard., ce sera la guerre., le dernier règlement sanglant des convoitises territoriales ». M. Starlinger poursuit : « Cet enchaînement de circonstances., tôt ou tard., dressera l'une contre }?autre la Chine et la Russie en faisant table rase de toute apparente communauté d'idéologie. Bientôt il ruinera leur entente actuelle et entraînera une modification totale de la grande politique mondiale. » On voit que le bientôt suit de près ·le tôt ou tard. L'auteur enfonce une porte ouverte en assurant que le désir de paix en .Russie est « dès à présent BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL sincère » : personne ne tient., en effet., à recevoir des bombes atomiques., mais une vérité aussi élémentaire ne découle pas spécialement de considérations sur la Chine., et le « dès à présent » est encore de trop. Comme l'a dit W. Churchill dans un moment de lucidit.é., les maîtres de l'URSS voudraient obtenir sans guerre les résultats d'une victoire. Mais quant à envisager que cc pour l'Union Soviétique., le problème bientôt ne sera même plus de savoir quand elle pourra., sans trop de risques., envahir l'Europe., mais bien comment elle devra s'y prendre pour trouver elle-même en Occident une couverture., seule susceptible de la protéger contre l'invasion menaçante de l'Est »., cela prouve seulement que le séjour dans la chiourme soviétique a été propice aux cogitations géopolitiques d'un intellectuel allemand influencé., semble-t-il., par les vues · cc eurasiennes» d'autres prisonniers. La question des rapports futurs entre Chine et Russie reste entière. Personne ne sait ce que valent les dernières statistiques chinoises ·de recensement ni ce que sera la courbe démographique dans l'avenir prévisible. M. ·Starlinger prévoit que l'Amérique., cc tôt ou tard., et peut-être plus tôt ,qu'on ne le pense ... s'entendra avec la Chine... abandonnera Tchang Kai-chek et Formose., à moins que ne se produise une fusion de ce qui reste du Kuomintang avec la Chine nouvelle... cherchera., tôt ou tard., un terrain d'entente aussi bien avec la Russie qu'avec la Chine». Etc. Suivent de vastes considérations de politique internationale et de pressants avis à l'Allemagne d'avoir à se tenir cc aux côtés del' Amérique»., ce qui la rangera cc plus tôt qu'on ne pourrait le croire de part et d'autre aux côtés de la Russie». Car les données cc d'ordre biologique » imposent d'envisager une stratégie à longue échéance ... Il en est de la conception biologique de l'histoire comme de la théorie dite matérialiste., ou économicotechnologique : l'étroitesse d'esprit qui ramène tout à l'une ou à l'autre vicie le raisonnement et incite à des déductions peu vraisemblables si l'on considère tous les faits susceptibles d'infléchir le cours des choses. Vacher de Lapouge., bien avant M. Starlinger., s'est livré à des considérations biologiques., sélectionnistes., sur les destins de l'humanité; mais à le relire après un demi-siècle., le vrai et le faux prennent un relief qui déconseille l'exclusivisme en matière d'interprétation historique. Guillaume II avait déjà signalé bruyamment le cc péril jaune »., au début du siècle. On aurait grand tort de méconnaître l'importance des poussées de population., inséparables des processus économiques., mais l'urgence exige dans' l'immédiat une intelligence avisée de la politique conjointe de Moscou et de Pékin. « Tôt ou tard»., répète maintes fois M. Starlinger : or ce qui sera compris et réalisé assez tôt peut déterminer ce qui doit s'accomplir plus tard. B. SOUVARINB
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