MATÉRIAUX D'HISTOIRE SOCIALE à Sismondi, à Stuart Mill, etc., et ajoute: cc Pourquoi ni Marx, ni son collaborateur inséparable Engels, n'ont-ils jamais mentionné non plus Louis Blanc, chez qui ils ont copié leur doctrine sur le rôle de l'État dans la société communiste? » Il reproche encore à Engels de s'attribuer la loi du cc minimum de salaire nécessaire à l'existence du producteur et à la continuation de sa race », empruntée comme on sait par Lassalle (loi d'airain). En réalité, Marx reconnaît que cette loi vient de Ricardo, lequel la tient de Turgot (citée par Laveley en ces termes : « Il doit arriver et il arrive en effet que le salaire de l'ouvrier se borne à ce qui est nécessaire à sa subsistance. »). Et Engels, au contraire, répudie la « loi d'airain » de Lassalle en termes très nets dans une lettre à August Bebel : Or, Marx a abondamment prouvé dans le Capital ... qu'il n'y a pas lieu de parler d'une loi d'airain, mais au contraire d'une loi fort élastique ... Le fondement malthusien de la loi que Lassalle a copiée dans Malthus et dans Ricardo (en falsifiant ce dernier) ... a été abondamment réfuté par Marx dans son chapitre sur l'accumulation du capital. En adoptant la loi d'airain de Lassalle, on a donc adopté une proposition fausse et mal fondée. [Lettre à propos du programme de Gotha]. Il est clair que la polémique entraîne Tcherkezov trop loin. Maurice Dommanget, biographe de Considerant, note dans toute l'œuvre du disciple de Fourier « une vision très nette de l'antagonisme des deux grandes classes· qui divisent la société moderne ... Les termes de prolétariat, révoltes de prolétaires, classes antagonistes y reviennent sans cesse sous la plume du jeune homme (en 1833) qui annonce même une révolution de propriété comme l'aboutissant de la lutte des classes. » N'était l'espoir d'une fusion des classes, « le lecteur non prévenu croirait lire du Marx. L'exposé général se rapproche, en effet, du marxisme d'une façon frappante» (Victor Considerant, Paris, 1929). Le même auteur relève dans Considerant « l'écrasement progressif» des classes moyennes : « Cette prolétarisation croissante de la masse, cette conversion des petits producteurs et des petits commerçants constitue l'une des thèses favorites de Considerant à l'époque de la monarchie de juillet. Elle passera dans le marxisme. » M. Dommanget cite un passage du Manifeste ccmmuniste à l'appui. Fourier et Considerant, dit-il, comme Bazard, Karl Grün, Pecqueur, les deux Blanqui « amassent des matériaux » qui entreront dans la théorie marxiste. Un schéma économique prévoyant cc l'hégémonie de la classe précédemment opprimée » paraît empruntée au saint-simonien Bazard et « se retrouvera dans le Manifeste communiste». Marx, remarque M. Dommanget, tient le même raisonnement que Considerant en critiquant l'économie politique à propos des bienfaits du machinisme et de la division du travail. « L'influence de Considerant n'a pas été négligeable dans la formation du marxisme... Influence directe issue de la lecture des œuvres et non (... ) indirecte, par l'intermédiaire de Weitling, comme paraît le laisser BibliotecaGinoBianco 193 entendre M. Bourgin. » M. Dommanget poursuit : Marx et Engels ont reconnu dans le chap. III du Manifeste communiste ce qu'ils devaient à leurs devanciers. On ne peut suivre V. Tcherkezov quand, aveuglé par sa passion antimarxiste, il avance que le Manifeste communiste n'est qu'un démarquage de Considerant. Ce serait méconnaître la riche expérience, la vaste culture et l'érudition immense de Marx ... Ce serait faire bon marché des divergences prof ondes qui séparent les deux manifestes ... Le Manifeste communiste porte visiblement les traces des précurseurs socialistes de toutes tendances... Mais le réduire à un simple démarquage de Considerant, c'est tomber à la fois dans l'exagération et dans l'erreur. ... L'ensemble du Manifeste communiste offre un certain nombre d'analogies avec le Manifeste de la Démocratie. Ainsi que Georges Sorel l'a remarqué, les phénomènes y « sont présentés souvent de la même manière», les raisonnements y sont parfois similaires ... Dans toute l'œuvre de Considerant antérieure au Manifeste communiste se retrouve une notable partie des principes qui constitueront l'armature du marxisme. LES F.EMARQUES de G. Sorel., marxiste en son genre non dogmatique, valent d'être signalées à ce propos. Dans sa brochure La Décomposition du marxisme (1910), qui mérite encore d'être relue, Sorel utilise le livre d' Anton Menger, Le Droit au produit intégral du travail (1886), pour constater d'après le professeur autrichien « que William Thompson est le véritable inventeur de la plusvalue » ; A. Menger, critiquant Engels, pense qu'il faut être « un ignorant ou un charlatan» pour attribuer à Marx une doctrine empruI1tée à des prédécesseurs qui l'ont parfois dépassé « en profondeur et en pénétration ». Sorel ne s'intéresse guère aux « discussions relatives aux priorités scientifiques » • Il note en passant que cc pour Fustel de Coulanges, les foules sont les véritables agents historiques et les intérêts mènent le monde». Ensuite, il admet : cc L'ensemble du Manifeste communiste offre les plus grandes analogies avec la littérature des utopistes, à tel point qu'on a pu accuser Marx d'avoir démarqué le Manifeste de la Démocratie ... » (allusion évidente à Tcherkezov). G. Sorel cite la formule cc d'aspect blanquiste » qui termine la Misère de la Philosophie de Marx, empruntée par celui-ci explicitement à George Sand: A la veille de chaque remaniement général de la société, le dernier mot de la science sociale sera toujours : le combat ou la mort, la lutte sanguinaire ou le néant. C'est ainsi que la question est invinciblement posée. On reproche ces phrases à Marx, mais non à George Sand... Sorel sympathise nettement avec le «révisionniste» Édouard Bernstein à qui l'on doit cette prévision remarquable : « La dictature du prolétariat, cela veut dire - partout où la classe ouvrière ne dispose pas déjà de très fortes organisations économiques et où elle n'a pas acquis encore, par son apprentissage dans des assemblées autonomes, un degré très élevé d'indépendance morale - la dictature d'orat ur de clubs et de littératures ,,
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