Le Contrat Social - anno I - n. 3 - luglio 1957

192 Une autre série de Pages d'histoire socialiste (n°8 12 à 34 des Temps Nouveaux, juillet-décembre 1898), donne à Tcherkezov l'occasion de citer William Godwin comme précurseur du socialisme (Recherches sur la Justice politique, 1795) et de rappeler son influence sur Shelley qui vécut« pendant des années en union libre avec Marie Godwin, la fille du philosopl1e », et sur Byron qui, « en pleine séance de la Chambre des Lords, jeta en 1812 cette accusation : ... jamais je n'ai vu une misère aussi noire que celle d'un pays chrétien [l'Angleterre] ». Il y traite plus longuement des mérites de R. Owen et de W. Thompson, puis passe à Babeuf, à Saint-Simon, Charles Fourier, Auguste Comte, Augustin Thierry et Victor Considerant sans faire de parallèles avec Marx : il reproche seulement à Engels de méconnaître en Louis Blanc le « vrai fondateur de la social-démocratie». Le chapitre sur Louis Blanc évoque pour la première fois la «dictature du prolétariat » prêchée par «les socialistes révolutionnaires, par tous les jacobins », «braves gens ... imbus d'autoritarisme ». « Même après les événements de 1849-1852 et sous le second Empire, les révolutionnaires et surtout les blanquistes restèrent fidèles à la doctrine de la dictature du prolétariat. De même, Marx, Engels et leurs amis en Allemagne.» Tcherkezov, donc, accorde aux socialistes français la priorité en matière de dictature du prolétariat. Le Manifeste communiste, dit-il, doit beaucoup à Louis Blanc et à Ledru-Rollin; passé inaperçu durant une vingtaine d'années, il ne prit « sa course » qu'en 1872, selon un article d'Émile Vandervelde sur le jubilé du Manifeste (1898) ; il n'apporta aucune « idée nouvelle », mais des « lieux communs de la démocratie française de 1848 ». La dictature du prolétariat est une conception de Blanqui pour réaliser la justice sociale. Quant à Proudhon, son malheur fut de verser dans la métaphysique et la dialectique hégéliennes, que Marx et Bakounine lui ont enseignées : Depuis - son inventeur Zénon d'Elée qui prouva par la dialectique cette absurdité, à savoir qu'Achille ne devancera jamais une tortue marchant devant lui à dix pas, jusqu'à Marx qui formula, en une terminologie si doctorale, sa prétendue et absurde loi de la concentration du capital, cette méthode ne fit que rendre moins claires les intelligences les plus brillantes. C'est ce qui arriva à Proudhon. Auguste Comte, élève de Saint-Simon, a exposé dans son Cours de philosophie positive des idées qui inspirèrent H. Buckle et qui se reflètent chez Proudhon, plus tard chez Marx. Dans L' Humanisphère, Joseph Dejacques préconise un socialisme prolétarien que cc Marx, Engels et leurs successeurs essaient de s'approprier » (1858-1859). Maîs là, aucune des citations de Dejacques ne corrobore l'affirmation de Tcherkezov. L'Association internationale de la Démocratie socialiste, fondée à Londres par des proscrits de toutes nationalités (1848-1860), et dont l'un des inspirateurs fut Dejacques, a précédé la « grande Association Internationale des Travailleurs ». Dans tout ce qui précède, Tcherkezov veut BibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL prouver que Marx et Engels n'ont rien inventé, qu'ils ont seulement repris à leur compte des notions antérieures à leur Manifeste, les unes excellentes, les autres fâcheuses. En tant qu'anarchiste, il réprouve ·surtout la lutte politique, le pouvoir de l'État et la dictature du prolétariat. En philosophie, il condamne la méthode dialectique hégélienne qu'il rend responsable, en économie, de l'idée de Marx sur la concentration du capital, tenue pour fausse. En tant que Russe et nonobstant l'anarchisme, à l'instar de Bakounine, il exècre manifestement tout ce qui est allemand : cela ressort du ton très déplaisant de son acharnement sur Engels et sur la social-démocratie. Mais en 1900, ce grand liseur annonce une découverte : il a lu, un an auparavant, le Manifeste de la Démocratie au X/Xe siècle, de Victor Considerant, auteur qu'il a mentionné sans y insister dans ses précédents écrits. Et cette lecture lui inspire une nouvelle série d'articles (Temps Nouveaux, n°8 51, 52, et 1 à 5, avril-juin 1900) qu'il intitule « Un plagiat très scientifique. A propos de deux manifestes. » TCHERKEZOVrappelle d'abord qu'il a précédemment dénié à Marx la paternité de la théorie de la valeur, « admirablement exposée par Adam Smith juste un siècle avant le Capital », et de celle de la plus-value, « définie par Sismondi, exposée par W. Thompson, adoptée par Proudhon». Et l'explication « évolutionniste » de l'histoire, « conçue par Vico, formulée par les Encyclopédistes, par Volney et par Auguste Comte, développée si magistralement par Buckle et, de notre temps, par Herbert Spencer», est abusivement appelée « matérialiste » par Engels, dit-il. Mais voici mieux : il a été stupéfait quand il a eu cc la chance de lire» le Manifeste de Considerant (rédigé en août 1843, publié la même année, réédité en 1847) qui expose « toutes les bases du marxisme » et contient « toutes les lois et théories marxistes, y compris la fameuse concentration du · capital et le Manifeste communiste tout entier ». * Le manifeste de Marx « est une paraphrase bien médiocre de nombreux passages du manifeste de Considerant »dont « la forme, les titres des chapitres ont été retenus par les imitateurs». Suivent trente-huit citations parallèles des deux manifestes, certaines attestant des analogies frappantes, d'autres apparaissant moins convaincantes, mais entrecoupées de polémique mesquine qui affaiblit la démonstration. Celle-ci tend à prouver que Marx' et Engels « sont de fidèles élèves qui ont répété dans leur langue maternelle ce qu'ils ont appris chez le maître français». Pour terminer, Tcherkezov accuse Marx de s'être approprié les idées d'autrui sans indiquer s_es sources. Il répète ses références à Adam Smith, * Pourtant, le Manifeste de la Démocratie avait été réimprimé dans L' Ere Nouvelle, revue socialiste, n° de février 1894. Tcherkezov ne semble pas s'en douter.

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