138 histoire de la Constitution soviétique, une grande série de matériaux sur la politique extérieure, de multiples monographies, des ouvrages collectifs en tous genres, des guides bibliographiques, des index chronologiques ... Une première nomenclature des travaux en cours tient 'déjà six colonnes des Questions d'Histoire ( n ° 2, février 1957). Et à en juger d'après ce qui est annoncé en France, un budget énorme doit assurer la diffusion à l'étranger d'une bonne partie de cette littérature apologétique. Ce nouvel effort extraordinaire pour leurrer et circonvenir l'opinion publique universelle, ajouté à une inlassable propagande quotidienne, laisse le monde extérieur en piteux état d'inconscience et d'apathie complètes. Les gens qui « font l'opinion », politiciens, journalistes, commentateurs attitrés, et qui se donnent charge d'âmes en Occident comme en Orient, pratiquent un laissez faire laissez passer dont les effets ne se font que trop sentir dans les relations internationales. Longtemps ils ont tenu Lénine et Trotski pour de vulgaires agents allemands, aventurés dans une opération politique sans lendemain ; ensuite ils prenaient Staline pour un penseur et un philanthrope, voire un stratège et un linguiste ; maintenant ils admirent en Khrouchtchev la plus récente incarnation du marxisme et les moindres banalités de ce parvenu sont pieusement recueillies, reproduites, répandues par la presse « bourgeoise » à l'usage d'un immense public perplexe. Aucune contrepartie cohérente et sérieuse ne s'oppose au déluge verbal dont Moscou inonde et intoxique la planète. 11 se trouve toujours, dans les démocraties oublieuses et prolixes, des experts incompétents pour interpréter chaque· phrase équivoque de n'importe quel dirigeant communiste dans un sens favorable à l'impérialisme soviétique. On ne saurait donc s'étonner que tant d'idées fausses aient prévalu un peu partout au sujet du stalinisme réel et d'une déstalinisation imaginaire. * )f )f LE TERMEde stalinisme n'a jamais eu cours dans l'Union soviétique. Forgé par les communistes opposants pour dénier à Staline la qualité de léniniste, de même qu'autrefois les menchéviks avaient en premier parlé de léninisme pour contester le marxisme de Lénine, il restait clandestin avec une acception péjorative visant l'ensemble des attitudes, des théories, des traits typiques de Staline. Celui-ci se réclamait du «marxisme-léninisme» comme Lénine se disait marxiste tout court, et par conséquent le soidisant «marxisme-léninisme» n'est que le pseudoBibliotecaGinoBianco LE CONTRAT SOCIAL nyme convenable du stalinisme. Le Dictionnaire de la langue russe publié sous Staline n'admet pas le mot stalinisme alors qu'il distingue nettement marxisme de marxisme-léninisme, ce dernier terme étant défini : «Enseignement de Marx, Engels, Lénine, Staline», donc en définitive de Staline, le quatrième d'une lignée dont les trois précédents ne sont que les précurseurs, le seul interprète qualifié des trois autres. Quand les dirigeants actuels revendiquent le marxisme-léninisme, c'est bien de stalinisme qu'il s'agit. Le dictionnaire en question, d'autorité incontestable, consacrait (édition de 1952) le substantif staliniste et l'adjectif stalinien. Définition du staliniste : « Membre du PC de l'URSS, fidèle adepte du marxisme-léninisme, inébranlablement dévoué à la cause de Lénine-Staline » (on voit que staliniste et marxiste-léniniste sont interchangeables). Définition de stalinien : « Qui a rapport à la construction du socialisme et du communisme sous la direction du grand chef des peuples, J. V. Staline.» Suivent neuf locutions courantes, comme exemples : La grande époque stalinienne ; La Constitution stalinienne ; . "' Le bloc stalinien des communistes et des sans-parti ; Les faucons staliniens (aviateurs) ; La politique stalinienne de paix ; Le plan stalinien de transformation de la nature; Le prix international stalinien pour consolider la paix entre les peuples ; La récolte stalinienne (abondante) ; La sollicitude stalinienne envers l'individu. Huit jours après la mort de Staline, un nouveau tirage de ce dictionnaire qui a force de loi révélait la suppression du substantif staliniste et amoindrissait ainsi l'adjectif stalinien : «Qui a rapport à la vie et à l'action de J. V. Staline», ne laissant subsister 'qu'un seul exemple : «Le prix inter~ national stalinien pour consolider la paix entre les peuples » (cela se traduisait alors : le prix Staline, le nom propre étant pris adjectivement). Mais cet unique exemple doit nécessairement disparaître de l'édition suivante puisque le prix lui-même ne porte plus le nom de Staline. Il ne reste donc rien de staliniste ni de stalinien dans la langue russe officielle. Est-ce à dire que le stalinisme, non le mot, mais la chose, ait cessé d'exister? Il figure toujours sous le pseudonyme « marxisme-léninisme » dans l'édition corrigée d'urgence aussitôt après la mort du tyran (elle. est ·datée : 12 mars 1953). Quant à la réalité qu'il expr~me, on ne saurait la méconnaître sans s'interdire d'interpréter correctement le cours de l'évolution soviétique.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==