Le Contrat Social - anno I - n. 3 - luglio 1957

R. E. PIPES accomplie aux dépens des indigènes. Selon les données officielles soviétiques, le nombre des Kazakhs vivant en Union soviétique est tombé de 3.960.000 en 1926 à 3.099.000 en 1939 - ce qui représente un déficit théorique d'un million et demi d'autochtones, si l'on tient compte du taux d'accroissement normal 9 • Ces données statistiques brutales lèvent le voile sur l'immense tragédie vécue par une population relativement primitive, luttant pour conserver ses moyens d'existence, ses traditions nomades et la propriété de ses troupeaux. Innombrables sont les Kazakhs qui ont perdu la vie au cours de la collectivisation et de la colonisation brutalement entreprises par Moscou ; quant aux survivants, dépossédés des terres sur lesquelles ils pratiquaient l'élevage ancestral, ils durent fournir aux maîtres russes une main-d'œuvre non qualifiée ou s'enfoncer dans les zones arides et semi-désertiques du Kazakhstan méridional. L'énorme afflux d'immigrants russes, accompagné de ce déclin démographique des autochtones, assure désormais aux colons la prédominance numérique : sur la foi des statistiques soviétiques, on peut estimer que les Russes représentent 55 % de la population et les Kazakhs 40 % seulement. Les conséquences de l'immigration L'afflux des Russes en Asie centrale est gros de conséquences. Avant tout il a changé radicalement la structure ethnographique de cette région. Un pays que des générations encore vivantes ont vu prospérer comme un ilôt purement musulman, est devenu un territoire multinational, dans lequel les habitants européens comptent à peu près le tiers de la population globale, et forment même une majorité effective dans les régions dtt Kazakhstan et du district de Tachkent. 10 Or, rien n'indique que l'allure de la colonisation russe doive se ralentir. La mise en valeur des « terres vierges » ( euphémisme qui couvre la confiscation massive des pâturages kazakhes) est loin d'être achevée et on estime à un million et demi le nombre de nouveaux immigrants nécessaires à la réalisation du plan. Le Turkestan, qui en raison de sa situation stratégique joue un rôle de plus en plus grand dans l'industrie des Soviets, aura sans doute également à absorber de larges effectifs supplémentaires. Cette immigration ne saurait manquer d'exer9. Les chiffres des recensements de 1926 et de 1939 sont cité!!, entre autres endroits, dans F. Lorimer, The Population of tne Soviet Union : History and Prospects, Genève, 1946. 10. On se représentera d'une manière plus concrète la aianification de ce fait en se rappelant Qu'en Aliérie, les Européens ne constituent Que 12,3°/o de la population totale. Biblioteca Gino Bianco cer une forte pression sur la vie culturelle des musulmans d'Asie centrale. Toutefois, la nature de ses effets réels, difficile à déterminer, est sujette à controverse. Certains considèrent que la plupart des minorités nationales en Union soviétique succombent petit à petit à la russification et perdent leur caractère national au ·profit d'une nouvelle nationalité soviétique. 11 D'autres, au nombre desquels se range l'auteur de cet article, s'en tiennent à un point de vue , , ' . oppose et sont portes a croire que, sous un vernis superficiel d'assimilation et d'uniformisation, de puissants mouvements nationaux se préparent. Les données sont trop rares et trop incertaines pour qu'on puisse préjuger l'avenir, mais les renseignements de source soviétique ou ceux que fournissent les réfugiés d'Asie centrale ne semblent pas indiquer une assimilation massive des autochtones. Ce qui paraît empêcher cette assimilation de se produire, c'est l'énorme fossé culturel qui sépare les populations slave et musulmane et l'inégalité des deux sociétés composantes, l'une représentant la puissance gouvernementale et l'autre un peuple de sujets. Les informations qui nous sont parvenues montrent que les deux gro-upes sociaux vivent " ' " , cote a cote en communautes assez nettement distinctes et que leurs contacts se limitent le plus souvent aux exigences de la vie quotidienne : il y a peu de rapports sociaux spontanés et pratiquement pas de mariages mixtes. On ne peut en conclure que pouvoir et colonisation russes soient inopérants sur les indigènes. Au contraire, la colonisation les marque profondément ; mais elle les transforme plus qu'elle ne les déracine et les stimule plus qu'elle ne les absorbe. La culture russe est transmise à la communauté musulmane soit par les méthodes concertées de la politique soviétique soit par l'intermédiaire d"influences plus subtiles et de façon indirecte. Dans les deux cas, les seuls traits de la culture importée qui semblent marquer fortement leur empreinte, sont ceux qui s'accordent avec l'évolution historique générale de la société musulmane - c'est-à-dire avec son occidentalisation. L'anti-islamisme culturel et social L'attitude de Moscou à l'endroit des populations autochtones d'Asie centrale, comme à l'endroit de tous les autres peuples placés sous son pouvoir, est d'en faire un instrument à son usage : les êtres humains sont traités avant tout comme des facteurs de production. Pour en 11. Cette opinion a été rée mment soutenue oar Fr. Barihoorn dans son livre Soviet Ru.ssian Nationalism, New-York, Oxford University Pr ss, 1956.

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