R. E. PIPES vie de l'islam. L'âge d'or du Turkestan prend fin, au début du xv11° siècle, sous l'effet des invasions constantes de nomades venus des steppes et à mesure que l'usage des routes maritimes vers l'Orient supplante le trafic des caravanes. Replié sur lui-même, le Turkestan se momifie et, jusqu'au milieu du x1x 0 siècle, il demeure une des régions les plus isolées du monde : un ilôt attardé de l'islam médiéval dont l'accès aux infidèles est interdit sous peine de mort. La colonisation russe C'est en combinant la pénétration pacifique et la conquête militaire que la Russie s'annexa peu à peu l'Asie centrale. Les régions de steppes passèrent sous la domination russe au XVIIIe siècle et au début du XIX0 ; puis vint le tour du Turkestan. Une série de campagnes militaires rapides et relativement peu coûteuses y furent entreprises à partir de 1868, la dernière en date et la plus décisive étant l'expédition de 1881 contre les Turkmènes. Le régime tsariste ne s'intéressa guère à la vie intérieure de la communauté musulmane, se contentant d'exploiter la culture locale du coton et de sauvegarder de toute influence anglaise la position stratégique acquise en Asie centrale. L'annexion eut surtout des conséquences médiates : tels les avantages économiques résultant de l'expansion des villes, du développement du réseau ferré et de l' ouverture du vaste marché russe aux produits de l'Asie centrale ; l'élévation du niveau de vie par l'introduction de mesures sanitaires, le maintien de l'ordre, l'abolition de l'esclavage et autres mesures analogues. Les effets positifs de l'administration russe se reflétèrent dans l'augmentation rapide de la population autochtone 2 et l'apparition d'une intelligentsia locale, peu nombreuse mais active (les djadidistes ), dont le but était de réformer la vie nationale par la réconciliation des deux cultures, occidentale et indigène. Pour l'Asie centrale, le trait le plus pesant de l'administration russe fut la colonisation de la steppe kazakhe, entreprise en 1906 par le gouvernement sur l'initiative du premier ministre Pierre Stolypine. Le but de cette entreprise était de résorber la surpopulation des villages de Russie centrale et méridionale, en transférant l'excédent de main-d'œuvre rurale vers les régions sous-développées et sous-peuplées de l'Est. La politique de Stolypine eut pour résultat l'afflux d'un million de paysans russes dans des 2. La J)OJ)ulation est J)assée de 9.300.000 en 1897 à • 10.400.000 en 1911. Biblioteca Gino Bianco 179 régions « vierges » où les indigènes avaient coutume de faire transhumer leurs troupeaux, et causa aux indigènes des souffrances d'ordre à la fois économique et psychologique. 3 L'une des raisons principales de la révolte de 1916 contre les autorités tsaristes fut la haine refoulée des nomades envers les nouveaux occupants du sol. Pendant la révolution de 1917, les indigènes cherchèrent à tirer parti de la faiblesse momentanée du gouvernement central pour s'assurer quelque indépendance et pour trancher la question agraire en leur faveur. Leurs efforts, cependant, ne· purent aboutir: L'irz,tel!igen_tsia qui dirigeait le mouv~ment nati~nal etait faible et désunie devant livrer continuellement un combat d';rrière-garde contre les groupes religieux ultra-orthodoxes. Par contre, les bolché~iks réussirent à obtenir l'appui armé de la population russe colonisante, qui craignait d'être dépossédée par un gouvernement musulm~n. Uri~ f~is, le pouvoir soviétique établi, la rés1sta~ce 1ndigene se réduisit à une guerre de partisans - le basmatchestvo - que les communistes finirent par anéantir en 1?22, e~ comb~a~t co~cessions et implacables repress1ons rmlitaires. Dans les six années qui suivirent, les commu- , nistes firent des efforts soutenus pour reparer le tort que portait à leur propre cause le souvenir des excès commis par les colons russes au cours de la guerre civile. Ils tentèrent d'atténuer quelque peu l'inégalité ell:tre ces, ~o~ons _et les indigènes. Ils interrompirent 1 ermgration à grande échelle vers l'Asie centrale et s~a?s,tin~ent d'intervenir directement dans les activ1tes economiques et religieuses du pays. Après 1922, la vie des autochtones en Asie centrale redevint à peu près normale et certains musul1!1ans ~urent tendance à ne voir, dans toute la Revolution et dans ses conséquences, qu'une de ces inévitables calamités de l'existence, qui surviennent brusquement et disparaiss~nt sans laisser .de .traces. En effet la vie en Asie centrale se laissait alors ' . comparer à son a:a?tage ave~ celle que co~~~- saient d'autres reg1ons de 1 URSS, particulierement en ce qui concerne le sort des possédants et des croyants. Cette trêve, cependant, ne fut pas de longue durée· la guerre sociale devait reprendre après un br~f répit. Le régime soviétique étai~ encore extrêmement faible sur les terres coloniales de 3. Le terme « Russes », dans le pr~sent cont~xte, s'appliQue non seulement aux Grands-~ussiens, m~s encore aux Ukrainiens et aux Blancs-Russ1ens; du point de vue des autochtones d'Asie centrale, il ~, x.iste en e~et pas de différence substantielle entre ces diverses populations slaves. 4. Ces incidents se trouvent décrits ~e fac(?n plus dé~illée dans R. ~ipes : Formation of the Soviet Umon, Cambridge, Harvard University Press, 1954.
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