.. LE COLONIALISME SOVIÉTIQUE EN ASIE CENTRALE par Richard E. Pipes DE NOS JOURS, l'expansion soviétique - bloquée en Occident par la fermeté des puissances du Pacte Atlantique, et en Extrême-Orient par l'apparition d'États nationaux jaloux de leur indépendance - multiplie toujours davantage les efforts en direction du Moyen-Orient. Essayant de tirer profit des explosions nationalistes dans le monde arabe, Moscou insiste beaucoup, dans sa propagande, sur les mots d'ordre d'anti-impérialisme et d' anti-colonialisme, et proclame son adhésion sans réserve au principe des. nationalités. Pour mettre en lumière ce que cet appel comporte de calcul, il est instructif d'étudier l'expérience propre de l'Union soviétique dans l'administration d'un territoire musulman. En Asie centrale se posent en effet pour le régime communiste, depuis plusieurs dizaines d'années, les mêmes problèmes qui se présentent aux puissances coloniales de l'Occident. Une analyse serrée révèle que, sur ce plan, le bilan de la politique moscovite n'est guère plus favorable que celui des puissances occidentales ; sous certains rapports, il l'est même bien moins, en dépit de facteurs « avantageux » aux communistes comme l'absence de tout frein moral chez les colonisateurs, et la contiguïté géographique complète entre la métropole et les colonies. Le pays L'Asie centrale soviétique se compose en gros de deux régions distinctes : le Nord, comprenant principalement la République du Kazakhstan, et le Sud, jadis connu sous le nom de Turkestan, mais actuellement divisé en quatre républiques soviétiq~es : Kirghizie, Uzbékistan, Tadj_ikistan et Turkménistan. La Biblioteca Gino Bianco région septentrionale est en partie couverte de steppes, en partie désertique, tandis que la région méridionale est, dans son ensemble, déserte et montagneuse, mais coupée par plusieurs importantes vallées fluviales le long desquelles se concentre la majorité des habitants. La population indigène de ces deux régions est entièrement musulmane (sauf quelques exceptions négligeables, comme les Juifs de Boukhara) ; l'élément turc y prédomine, mais il existe, dans son sein, des différences culturelles considérables. Ainsi, les originaires des steppes et des régions désertiques ont, jusqu'à ces derniers temps, gardé des habitudes nomades et fidèlement suivi les mœurs primitives des Turcs, tandis que les habitants des villes ou des régions agricoles, fortement mélangés avec les Iraniens et les Arabes, ont adopté une civilisation islamique plus typiquement moyen-orientale. L'économie traditionnelle de ces peuples repose sur l'élevage dans la steppe ou le désert, et sur l'agriculture, le commerce et l'artisanat dans les autres régions. 1 La steppe kazakhe, parcourue par de nombreuses tribus de nomades primitifs, n'a jamais donné une civilisation de quelque importance. Au contraire, le Turkestan, jadis traversé par les principales routes commerciales terrestres entre l'Orient et l'Occident, connut au moyen âge une floraison très remarquable de la vie urbaine ; ses écoles religieuses, en particulier celles de Boukhara, jouèrent un rôle éminent dans la , 1. A proprement parler, le terme Asie centrale (Sredniaïa Azia) s'applique seulement au Turkestan, mais cet usage est dû à un accident historique plutôt qu'à une raison géographique - plus précisément au fait que la steppe kazakhe, après son annexion, fut longtemps administrée comme une partie de la Sibérie. Autrement, il y a toute raison de considérer les deux régions comme un tout. Les bordures oc~identales et méridionales de ce territoire s'étendent en Chine et en Afghanistan.
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