N. VALENTINOV il est tout à fait indifférent à la question de savoir « si tel ou tel individu pèche dans le domaine de la vertu personnelle ». La violation «des commandements de notre ancêtre Moïse » n'a aucune importance si le violateur sert bien la révolution. Bien des choses changent au lendemain de sa période menchéviste. A l'automne de 1900, après son conflit avec Plékhanov, Lénine, revenant à son propre esprit travaillé par Tchernychevski, se donne pour règle «de se comporter avec tout le monde sans sentimentalité», «d'avoir un caillou dans sa manche n. Nous ne pouvons ici expliquer en détail comment, jusqu'en 1917, le « Code du Révolutionnaire » a marqué de son empreinte la conduite de Lénine et ses décisions politiques. Nous nous bornerons à quelques illustrations. La révolution, en 1906-1907, a besoin de moyens. Pour se les procurer, Lénine n'hésite pas à approuver les attentats contre les banques, les « ex » [expropriations] comme on les appelait à l'époque. Qui les exécutera et comment, peu lui importe. L'essentiel est que les fonds expropriés entrent dans la caisse du Parti. Après l'écrasement de la révolution en 1907, il faut de l'argent pour éditer à l'étranger les publications bolchévistes et entretenir divers état-majors de révolutionnaires professionnels. On peut avoir de l'argent à condition qu'un camarade épouse la fille d'un riche négociant. Lénine recommande et approuve cette combinaison, se rendant parfaitement compte du rôle que jouera le camarade en question. Après sa victoire de 1917, Lénine veut que ses partisans étrangers pénètrent dans les syndicats ouvriers peu favorables à ses idées et s'en emparent progressivement. « Il faut attirer » les trade-unions qui poursuivent leur marche élémentaire « sous ,,,.l'aile de la bourgeoisie, vers la démocratie bourgeoise». La fin justifie les moyens et conformément à ce principe, Lénine donne les directives suivantes : Il faut savoir... consentir tous les sacrifices, user même - en cas de nécessité - de tous les stratagèmes, recourir à la ruse, aux procédés d'action clandestine, taire, céler la vérité, à seule fin de pénétrer dans les syndicats, d'y rester et d'y mener coûte que coûte l'action communiste. Il donne ces directives ouvertement, sans se cacher, sans rougir, sans se gêner, comme un homme qui croit profondément qu'il faut se livrer à ce travail « pas très propre n parce qu'il sert un grand dessein, et que l'action est « pleinement conforme aux circonstances ». Mais ce n'étaient là que les fleurettes, les perceneige, les primevères du « Code du Révolutionnaire ». Les fruits devaient venir à la révolution d'Octobre. Les moyens que Lénine a employés pour la faire triompher ont été copiés dans Tchernychevski. Il cite Marx, mais derrière Marx, c'est l'initiateur de Kokouchkino qui transparaît. Lénine écrit au Comité Central : L'affaire doit être absolument décidée ce soir ou cette nuit. L'histoire ne pardonnera pas l'hésitation aux révolutionnaires qui peuvent vaincre (et vaincront Biblioteca Gino Bianco 171 certainement) aujourd'hui, mais risqueraient de perdre beaucoup demain, de tout perdre... La prise du pouvoir est affaire d'insurrection; son but politique apparaîtra, une fois le pouvoir conquis... Le peuple a le droit et le devoir de trancher ces questions par la force, non par des votes ... Les révolutionnaires qui laisseraient échapper le moment... commettraient le plus grand des crimes. Le gouvernement chancelle. 11faut l'achever à tout prix. La temporisation dans l'action, c'est la mort. Comment ne pas se souvenir des paroles de Tchernychevski : « Les grands hommes ne sont peut-être tels que parce qu'ils savent battre le fer quand il est chaud, parce qu'ils savent ne pas perdre de temps ... Seule l'énergie mène au succès n••• Il n'est pas une décision de Lénine que Tchernychevski n'ait prévue ou qu'il n'aurait approuvée. La dissolution de l'Assemblée Constituante, la formule « Ceux qui ne sont pas avec nous - au mur», tout cela est dans le goût de Nicolas Gavrilovitch. N'aurait-il pas contresigné le fameux ordre de Lénine : « Mener une implacable terreur contre les koulaks, les popes, les gardes-blancs. Enfermer les suspects dans des camps de concentration. Prendre des otages parmi les koulaks et les ·riches. Les otages répondent sur leur vie de la complète et prompte perception des contributions imposées» ... Comme son maître, Lénine couvre de mépris les gens propres, aux mains blanches, qui voudraient le convaincre de tempérer et limiter la terreur, d'humaniser le cours sanglant de la révolution. Parmi eux se trouvait Gorki, encore en pleine conscience, et Lénine lui répondit : « Vous n'avez pas l'impression que vous vous occupez de bêtises, de balivernes ? » Sur la révolution planait l'ombre menaçante de la dictature du prolétariat, c'est-àdire, selon Lénine, d'une « puissance qui s'appuie sur la violence et n'est liée par aucune loi ». Mais s'il n'y a plus de lois, ni humaines, ni divines, alors c'est la fin de l'homme, c'est l'enfer, tout est permis. L'objectivité oblige à dire que Lénine n'est cependant pas allé jusqu'au « tout est permis n et que, à en juger d'après certains de ses traits de caractère, il ne pouvait pas aller aussi loin. Il avait là, et Tchernychevski peut-être aussi, des limites. Tout est permis, ce sera la conviction de Staline, mais on ne peut tout de même pas le comparer à Lénine. L'un est un intellectuel, un dictateur, l'autre un despote oriental. On objectera que l'idée de la dictature du prolétariat a été inspirée à Lénine par Marx, Engels et leur disciple Plékhanov, qui l'avait introduite dans le programme de la social-démocratie russe où elle a prospéré à partir de 1903, ne rencontrant dans le Parti qu'un seul critique en la personne de V. P. Makhnovets-Akhimov. 6 Il est hors de doute que Marx et Engels ont explicitement préconisé la dictature du prolétariat. Il serait absurde d'essayer de prouver le contraire en prétendant que cette «formule» leur a échappé par hasard et n'était pas dangereuse. Engels, beaucoup plus doux que 6. N'oublions 1>as que le programme des S. R. était également agrémenté de l'idée d'une « dictature provisoire en cas de besoin». Personne ne parlait de dictature à pe[I)étuité. Ce fut l'idée de Staline.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==