Le Contrat Social - anno I - n. 3 - luglio 1957

A. PATRI nom. Il pourrait donc y avoir là le fondement d'une grave accusation formulée cette fois contre Marx lui-même, que l'on ne peut tenir entièrement irresponsable de ses épigones et, de la même façon, Lénine à son tour doit être dit, dans une certaine mesure,. responsable de Staline, bien qu'il ne se confonde assurément pas avec lui. La notion de « marxisme » recouvre bien un inextricable imbroglio, à la source duquel on ne saurait éviter de trouver Marx luimême malgré toute la bonne volonté que l'on aurait de séparer entièrement Marx du «marxisme ». Dans son appréciation personnelle de ce point fondamental de la « biographie intellectuelle », Rubel n'est pas entièrement clair, bien qu'il ait mis en lumière ce qui motive l'interrogation. Il arrive à Rubel de parler d'un « équilibre harmonieux » réalisé parfois par Marx entre ses postulats éthiques et ses analyses scientifiques. Mais comment cet équilibre pourrait-il être « harmonieux » si la différence entre les postulats et les analyses conséquentes n'est mise en lumière que dans un endroit assez secret où elle échappe normalement au lecteur moyen de l'œuvre de Marx? On a d'abord fait passer alternativement de la morale pour de la science et de la science pour de la morale. Il n'y a pas lieu de s'étonner que cela puisse servir ensuite à l'édification d'une religion d'État. Il en résulte un opium pour les mandarins et aussi un opium pour le peuple, lequel suit les mandarins parce qu'il les croit très « savants » et qu'ils savent aussi flatter ses aspirations de la manière dont on fait marcher l'animal attelé à une carriole. Encore une fois il y a des « carottes » marxistes dont Marx n'est pas entièrement irresponsable. On n'utilise convenablement son œuvre (et elle peut certainement être utilisée aussi bien dans l'ordre scientifique que dans l'ordre moral) qu'à condition de savoir distinguer nettement les deux éléments qu'elle comporte, en cessant de les prendre l'un pour l'autre. Le service exceptionnel rendu par Rubel vient de ce qu'il nous met désormais en état de faire la distinction nécessaire. QUELLE est l'inspiration « éthique » du socialisme marxien? On pourrait la résumer très simplement en disant qu'il faut traiter l'homme comme une fin et pas seulement comme un moyen. Cette formule est à la lettre celle de Kant, mais n'a jamais été avouée explicitement par Marx ; de là vient que la plupart des « marxistes » se contentent généralement d'un utilitarisme qui transpose celui que Marx satirisait agréablement lorsqu'il trouvait chez Bentham le fondement de la morale bourgeoise. Trotski lui-même, dans Leur morale et la Biblioteca Gino Bianco 161 nôtre,10 n'a pas trouvé d'autre moyen de définir la morale révolutionnaire que celui d'opposer un utilitarisme de classe à un autre, de telle sorte que les deux morales se trouveraient finalement au même niveau. De fait, Marx, se moquant de Bentham, ne trouvait d'autre ressource que celle d'aller chercher sa caution chez Helvétius, ce qui finalement revient au pareil. On peut démontrer pourtant que c'est bien une formule d'inspiration analogue à celle de Kant qui commande chez Marx le souci de changer la société pour mettre fin à la condition prolétarienne. Il lui a échappé de dire qu'il s'agissait là d'un« impératif catégorique »11 et ce rappel n'est pas fortuit. Mais pour quelle raison la formule kantienne estelle restée simplement sous-jacente? La seule raison à en donner est le fait qu'elle serait strictement incompatible avec une « conception matérialiste du monde» comme celle que le marxisme voudrait maintenant attribuer à son fondateur. Rubel établit fort bien que dans la terminologie marxienne l'adjectif «matérialiste » était le synonyme de « scientifique ». C'est donc encore là un argument pour séparer nettement dans la pensée marxienne le côté scientifique et le côté moral qui se sont trouvés inextricablement confondus. Rien dans la science en tant que telle ne contredit l' « impératif catégorique » mais rien non plus ne l'amène. Et c'est par un véritable abus de mots que Marx donnait à une recherche scientifique parfaitement acceptable le nom d'une conception philosophique qui n'en est pas solidaire : la recherche scientifique ne peut en effet porter que sur le détail des phénomènes, par exemple sociaux comme ceux auxquels s'est intéressé Marx, mais elle n'a jamais dicté une vue philosophique d'ensemble. Par contre, le postulat moral est toujours solidaire d'une vision de ce genre. Le malheur est que chez Marx le postulat moral implicite et la doctrine philosophique explicite ne pouvaient pas être d'accord. Rubel, qui n'a pas fait œuvre d'apologétique plutôt que de dénigrement, décevra peut-être certains de ses lecteurs qui auraient attendu de lui une sorte de mot d'ordre de « retour à Marx ». Il ne donne aucune espèce de mot d'ordre parce qu'il se contente, suivant sa propre expression, d'être un marxologue, c'est-à-dire de faire œuvre objective dans ce domaine. Ceux qui espèrent un mot d'ordre doivent cependant d'abord comprendre qu'avant de revenir à ... il importe de savoir qui était ... Qui était Marx? C'est enfin ce que Rubel est capable de nous apprendre. AIMÉ PATRI 10. Léon Trotski : Leur morale et la nôtre (Paris, Sagittaire, 1939). 1~-. 1 < ... 1'4npératif ~tégorique de boul~verser toutes les cond1t1ons qu1 font de 1homme un être avili, asservi, abandonné, méprisable ... » Cité par Rubel, p. 98• •

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==