Le Contrat Social - anno I - n. 3 - luglio 1957

160 définir ce que pouvait être la « dictature du prolétariat». Conçoit-on aujourd'hui un« léniniste » admettant qu'une transformation sociale puisse être valable sans être inspirée par le «marxisme-léninisme »? 3. Staline n'était pas Marx CEUX QUI supposent le contraire estiment que Marx ayant engendré Lénine et Lénine ayant engendré Staline, le fils devait être semblable au père et le petit-fils au grand-père. Mais nous venons déjà de voir que ces généalogies de l'histoire sainte, avec la filiation unique et identique qu'elles impliquent, - étaient tout à fait suspectes. La démonstration que Staline n'était pas Lénine n'appartient pas à une biographie intellectuelle de Marx comme celle que Rubel a voulu écrire. Mais elle serait aisée à faire d'autre part, puisque Khrouchtchev lui-même y a fourni sa contribution (peut-être avec la présomption risible qu;on pourrait voir en lui un rejeton authentique). Mais sans passer par un intermédiaire lui-même douteux, on établit sans peine que Staline n'était pas Marx et qu'il en était encore plus éloigné que Lénine. Nous nous contenterons de donner, en nous référant au travail de Rubel, un exemple entre autres. De qui sont les lignes suivantes? «L'écrivain ne considère nullement. ses travaux comme un moyen. Ils sont des fins en soi. Ils le sont à un degré tel que l' écrivain sacrifie, si besoin est, sa propre existence à l'existence de ses travaux et qu'il fait sien, en quelque sorte, le principe du prédicateur religieux : obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes ... » Si on mettait un pareil texte inopinément sous le nez d'un Sartre, il dirait certainement que ce texte ne peut être «marxiste », puisqu'il n'exprime pas la doctrine de Jdanov et qu'il est même contraire à la notion de l' «engagement de l' écrivain » par laquelle Sartre a cru pouvoir finalement se rapprocher de Jdanov. Ces lignes sont pourtant de Marx . . . protestant contre un certam « engagement » qw ressemble un peu trop à celui des domestiques et dont la rançon est la censure (texte cité par Rubel, pp. 39 et 40). 4. Marx n'était même pas Engels CELA NE signifie pas que le fidèle collaborateur n'ait pas joué un rôle capital dans l'élaboration de la doctrine commune à laquelle il a certainement contribué à donner la note « scientifique ». Rubel met parfaitement en lumière que c'est la première «Esquisse d'une critique de l'économie politique » composée par Engels qui a vraiment tiré le jeune Marx de ses spéculations purement philosophiques. Il y a une certaine manière abstraite de parler du concret qui est la partie de l'h~ritage hégélien dont Marx n'arrivait pas à se délivrer, malgré sa bonne volonté d'accéder au véritable concret, c'est-à-dire au : oncret mpirique. Engels lui fournissait le Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL moyen d'en sortir : à cet égard on ne doit jamais négliger son rôle dans la fondation de ce qu'il appelle le « socialisme scientifique ». Mais cela ne signifie nullement que Marx n'était pas devenu « socialiste » par ses propres moyens avant de subir l'influen~e « scientifique >> d'Engels. Ce point est absolument capital. Marx s'est converti au socialisme avant la rencontre avec Engels et pour des motifs non scientifiques, déterminés par des raisons du cœur plutôt que par des raisons de la raison. C'est là ce que Ru bel appelle l'inspiration éthique du socialisme marxien -(non « marxiste » !). Cette démonstration est l'âme de l'essai de Rubel et nous ne pouvons qu'y renvoyer. Nous l'estimons irréfutable, fondée sur l'analyse la plus précise de la lettre et de l'esprit des textes,- compte tenu des dates et de toute la documentation accessible. Ce serait d'ailleurs une absurdité logique que de supposer quelqu'un capable de. se convertir à une doctrine d'action pour des motifs tirés simplement de la connaissance scientifique ou de la connaissance en général. Il y a encore à ce propos une célèbre démonstration du mathématicien Henri Poincaré9 que l'on pourrait invoquer pour confirmer par le raisonnement ce que Ru bel dégage de· l'analyse des faits concernant la personne intellectuelle de Marx. MAIS il en résulte aussi un doute quant au bien-fondé d'une expression comme celle de « socialisme scientifique », surtout lorsqu'elle est prise à la lettre comme prétendent le faire les « marxistes». Les deux termes peuvent-ils être vraiment en harmonie l'un avec l'autre? Selon Rubel, Marx « confond volontairement l'hypothèse scientifique et le postulat éthique » (p. 435), notamment lorsqu'il parle d'une évolution nécessaire vers le socialisme : cette nécessité est pour lui aussi _bien une nécessité morale qu'une nécessité scientifique. Rubel montre même que Marx était parfaitement conscient de cette ambiguïté et il cite un texte presque humoristique où l'auteur du Capital envisage comment on pourrait faire la critique de son œuvre sur cette base (ibid.,p. 435). 11n'est pas certain qu'Engels pour son propre compte ait vu la chose aussi clairement, car cet esprit naturellement porté vers les faits était d'une assez grande naïveté dans le domaine des idées, naïveté qui se communique à une postérité laquelle, à son tour, n'entend guère les faits plutôt que les idées. Cette postérité s'appelle aujourd'hui • « marxiste ». Dans ces conditions, Marx n'est-il pas responsable, au moins en partie, de ladite postérité, s'il est vrai qu'il a contribué à entretenir volontairement une grave équivoque sur le sens de son œuvre? A partir du socialisme « scientifique », on finit par aboutir à un prétendu socialisme qui n'est pas plus scientifique qu'il n'est moral et qui, partant, a cessé d'avoir quoi que ce soit de socialiste bien qu'il en usurpe le 9. Conférence sur « La science et la morale », recueillie dans DernièresPensées (Paris, Flamrosuion).

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