Le Contrat Social - anno I - n. 3 - luglio 1957

154 pénétré, entrecoupé, au nord-ouest et au nordest comme au sud, par des régions linguistiquement étrangères à l'arabe. Autres langues OUTRE LA question des surfaces territoriales, il faÜt considérer celle des rapports numériques et des équilibres culturels. Il n'est certes pas aisé de traduire les données en chiffres précis, non seulement parce que la précision statistique fait défaut dans cette partie du monde, mais aussi parce que le Proche-Orient, comme l'Afrique du Nord, est une terre d'élection du bilinguisme, voire du polylinguisme. La proportion d'individus et de groupes sociaux qui emploient couramment plus d'une langue y est bien entendu variable d'un pays à l'autre, mais presque partout très considérable. Il ne serait d'ailleurs pas toujours facile de saisir quelle est la langue qui exprime le mieux les vraies attaches culturelles et ethniques du groupe ou de l'individu. A ces réserves près, on peut affirmer que dans les trois grandes régions du Maghreb (Afrique du Nord-Ouest), du bassin du Nil (Afrique du Nord-Est) et du Levant (côte méditerranéenne et bassin de !'Euphrate), les langues non arabes sont parlées par plus de 40 °/4 de la population, et que l'arabe reste incompréhensible pour au moins 30 % des gens. Il n'y a guère que la péninsule Arabique - région d'importance secondaire à bien des égards - où l'arabe prédomine d'une façon tout à fait incontestable ; encore que même là, à y regarder de plus près, les autres parlers 14 sont plus répandus qu'on ne l'imagine , communement. Quant ·au poids culturel des diverses langues, nous n'essayerons pas de le chiffrer ici. Il va de soi que la valeur des grands instruments · de civilisation, tant classique que moderne, ne se mesure pas à chaque instant et à chaque endroit par le nombre des gens qui savent s'en servir correctement. Cela est vrai de l'arabe littéral, dont on ne niera pas le rôle dans des pays tels que le Maroc, l' Iraq, le Soudan, où pourtant la plus grande partie du peuple ne peut ni le lire ni même le comprendre. Mais cela vaut aussi, dans ce domaine géographique, pour d'autres langues de civilisation à grand rayonnement. Ainsi l'importance du français est hors de toute proportion avec le nombre de personnes dont le français est la langue maternelle - cela non seulement en Algérie et dans toute l'Afrique ' 14. P. ex. le persan dans l'Oman, et les langues sémitiques ré-arabes (telles que le mehri) dans le sud-est de la péninsùle. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL française, mais aussi, même aujourd'hui, au Levant. Bref, pour en revenir au monde de langue arabe, il ne constitue pas une entité nationale. On peut .à la rigueur considérer les patois arabes orientaux comme une grande unité dialectale, par opposition ·aux patois maugrébins ; il serait erroné d'y voir un bloc ethnique. Les naïvetés du XIXe siècle réduisant la nation au langage ne sont plus de mise, même en Occident ; elles semblent tout à fait déplacées au sud et à l'est de la Méditerranée. Marocains et Tunisiens, Égyptiens et Libanais, Syriens et Iraqiens - quelles que soient les affinités culturelles et linguistiques qui relient certains d'entre eux en dépit de toutes les différences - ne constituent de nationalité ni dans leur ensemble, ni pris deux à deux, ni avec les Bédouins (ou Arabes proprement dits). Pas plus, et plutôt moins, que les Anglais et les Irlandais, par exemple, ou les Espagnols et les Mexicains. Le véritable arabisme est en Arabie SI L'ON tient à définir une nationalité arabe authentique, c'est encore dans le pays d'origine des Arabes qu'on la trouvera. La logique des mots rejoint ici la nature des choses : c'est en Arabie qu'est le véritable arabisme, au sens complet - celui qui n'est pas seulement étiquette linguistique, préoccupation littéraire, opportunisme politique, ou programme d'action musulmane... C'est en effet en Arabie, et nulle part ailleurs, qu'il existe une grande majorité de gens qui sont Arabes par définition, sans réserves ni arrière-pensées, et sans qu'on ait à le leur expliquer dans les constitutions, les écoles et les réunions patriotiques. . D'ailleurs il ne saurait s'agir ici d'une nation .dans l'acception occidentale, et c'est bien pourquoi nous nous servons du terme plus vague de «nationalité». Car l'Arabie est l'un des pays les plus en retard sur l'évolution moderne. C'est une terre de nomadisme, de fractionnement en tribus, d'esclavage à l'antique, d'arbitraire pré-féodal; il -n'y a pas plus de nation arabe dans l'Arabie Saoudite qu'il n'y avait de nation française dans la France des Mérovingiens. De plus, il I}e faut pas confondre cette Arabie-là avec l'ensemble plus vaste de la péninsule Arabique, qui contient plus d'un peuple, plus d'un État, et qui en partie s'oriente vers l'océan Indien plutôt que vers les déserts de l'intérieur. Ce n'est donc pas la vraie Arabie qui peut rendre çompte du nationalisme, ou des nationalismes, dits arabes, lesquels font tant de bruit dans les pays plus évolués, depuis le Maroc

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