A. G. HORON manqué de notre temps. Sans remonter plus haut que la deuxième guerre mondiale, on se souviendra que la Ligue Arabe a été créée par les Anglais, afin précisément d'harmoniser, sinon d'unifier les États-clients qui en devenaient membres. Et l'on sait comment cette Ligue a évolué, entre les mains de gouvernements qui tous étaient ou se disaient arabes : au fur et à mesure de l'émancipation de ces gouvernements, la Ligue se transformait en un système d'assurances réciproques contre les fédérations même partielles (projets avortés du « Croissant Fertile», de la « Grande Syrie » et autres), en une garantie contre les ambitions de coteries rivales, en un moyen de vider ou de masquer les querelles entre dynasties ou régimes (Saoudites contre Hachémites, le Caire contre Bagdad, etc.). Ce qui n'empêchait pas la Ligue d'être aussi et surtout un instrument de combat anti-israélien et anti-français, une machine de propagande, de xénophobie, de chantage, arabe en théorie, musulmane en fait. Il faut assurément les yeux de la foi pour apercevoir, sur le plan politique, cette unité arabe que postule le panarabisme. Langue et dialectes arabes RESTERAIT un monde de langue arabe. Là aussi, comme nous l'avons déjà indiqué, on se méfiera des simplifications. L'arabe classique, « régulier », «littéral», n'est plus parlé dans le peuple ; il n'a d'ailleurs jamais été parler populaire, du moins en dehors de l'Arabie. En effet la transformation dialectale de l'arabe vulgaire dans la bouche des allogènes - ou sa « corruption » au point de vue des puristes - a comn1encé avec l'expansion même de l'islam, selon le témoignage des anciens lettrés. 13 Si l'arabe régulier se survit, c'est comme autrefois le latin dans les écoles et le culte - et paradoxalement, sous une forme simplifiée, dans la presse ou à la radio : cela parce que les « dialectes vulgaires », c'est-à-dire les patois vivants, n'ont pas produit grand-chose en fait de littérature et ne se sont pas constitués en véritables langues néo-arabes, utilisables à des fins de civilisation moderne. La persistance de l'arabe littéral, dans son emploi limité, est donc une marque de déchéance culturelle plutôt que d'unité. C'est comme si la France, l'Italie, l'Espagne se trouvaient encore incapables de rien produire, sauf en latin. Mais au moyen âge, lorsque l'arabe classique fut instrument· de civilisation commune, de l'Atlantique aux Indes, il ne coïncida nullement avec la zone actuelle des prétentions panarabes. 13. Djaoualiki, x1e siècle ; Hariri, XII"; etc. BibliotecaGinoBianco 153 Il la déborda de tous côtés : en Europe, en Méditerranée, en Afrique, en Asie occidentale, centrale et méridionale, et dans l' Insulinde. Phénomène culturel, il intéresse les peuples les plus divers, et sa formation, son développement surtout, ne sont pas dus aux seuls Arabes ; véhicule de l'islam, il ne s'est jamais confondu avec une nationalité, même linguistique. En faire l'argument rétrospectif d'un nationalisme « arabe » vaut ce que vaudrait un « panlatinisme » qui aurait à revendiquer non seulement les pays de langues néo-latines, mais la Méditerranée entière, la moitié de l'Europe et du Nouveau Monde. Une illusion d'optique QUANT A la situation présente, nous avons vu qu'elle n'est pas uniforme à l'intérieur même du domaine linguistique arabe. Si l'arabe vulgaire oriental reste à peu près compréhensible d'un dialecte à l'autre, un homme du peuple parlant maugrébin n'entend guère un Levantin arabophone. On pourrait oublier ces détails, pourtant caractéristiques ; mais même alors il serait erroné d'envisager le monde de langue arabe comme un territoire d'un seul tenant, s'étendant des confins de la Perse à ceux du Sénégal. Cette vue si répandue aujourd'hui n'est qu'une illusion d'optique créée par certaines cartes simplifiées, à grande échelle, que l'on trouve par exemple dans les atlas et les encyclopédies. Afin de marquer le domaine arabe, on y colore d'une même nuance conventionnelle les immenses espaces qui auraient dû, en vérité, rester blancs - pour la bonne raison qu'on n'y parle rien, car il ne s'y trouve pas ou pratiquement pas d'habitants pour y parler quoi que ce soit. Ce qu'il faudrait, ce sont des cartes plus véridiques où les déserts resteraient des déserts et où les pays de nomadisme, à très faible densité de population, seraient distingués des régions à peuplement sédentaire, relativement dense. Nous avons esquissé quelques illustrations de ce genre dans le présent ouvi;age. * Il en ressort que le monde de langue arabe, loin de former un bloc aux proportions continentales, se présente plutôt comme une nébuleuse, un archipel géant à concentrations très clairsemées. Les rubans et îlots de population sédentaire à majorités arabophones sont dispersés à la façon d'oasis, isolés les uns des autres par de grandes étendues à peu près vides ; ou sinon, séparés par des centres habités où prédominent les parlers non arabes. Et le tout est encadré, • Voir la 11ote en tête de l'article.
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==