Le Contrat Social - anno I - n. 3 - luglio 1957

A. G. HORON Méditerranée. Nous faisons allusion à ces mouvements de colonisation d' outre-mer qui ont implanté le français comme langue désormais « indigène » en Algérie, et transformé l'hébreu en l'une des langues . vivantes du Levant contemporain. Le critère religieux TOUTEFOIS,outre les divisions linguistiques de ce monde prétendûment arabe, il y a son cloisonnement social, culturel, confessionnel, qui est autrement profond et étanche. On décrit d'habitude ces cloisons comme si elles marquaient un fait surtout religieux ; mais il faut se souvenir que ce terme n'a pas ici la même signification que dans l'Europe moderne. En effet, les communautés religieuses d'Afrique et d'Orient traduisent une réalité qui est également ethnique et politique, ou qui l'était tout récemment. Aussi pouvait-on hier encore exclure de l'ensemble arabe, sans aucune hésitation, tous les groupes qui n'étaient pas nettement musulmans. Si de nos jours il en est qui se font passer pour arabes, c'est là quand même l'exception plutôt que la règle ; et c'est une attitude d'opportunisme, une position tactique dont la sincérité et la permanence sont pour le moins douteuses. Il est bien évident que les groupes chrétiens nombreux et variés qui vivent dans les pays de l' Atlas ou le bassin du Nil, ou au Levant - qu'ils soient d'implantation récente ou d'origine locale fort ancienne, qu'ils se rattachent au catholicisme « romain », à l'orthodoxie « grecque » ou aux rites divers des Églises d'Orient et d'Abyssinie - ne sont pas plus arabes aujourd'hui qu'ils ne l'étaient autrefois ; sauf peut-être en ce qui concerne certains chrétiens levantins dont nous examinerons le cas plus tard, et qui d'ailleurs appartiennent à des minorités arabophones. Quant aux Juifs, qui forment dans cette partie du monde l'une des communautés les plus antiques et parmi lesquels il ne manque pas de gens parlant l'arabe, ils ne se sont jamais pris, n'ont jamais été pris pour des Arabes. Maintenant, depuis le rétablissement d'Israël, ils font encore plus qu'auparavant figure d'« allogènes» dans les États arabes et musulmans où leur situation devient de jour en jour plus précaire. Mais il ne s'agit pas seulement de chrétiens et de juifs. 11 y a bien d'autres groupes restés réfractaires à l'islam, et que pourtant l'on est bien en peine de classifier selon le schéma des « trois grandes religions ». Ainsi, il ne manque pas de tribus plus ou moins « païennes », notamment dans le bassin du Nil. Ou encore, il est des Biblioteca Gino Bianco 151 communautés << post-islamiques » dont les rapports avec l'islam sont ambigus, voire hostiles, tels les Druses du Liban et de Syrie, ou les Nosaïriens (Alaouites) de la province de Latakié; qui ne sont véritablement ni musulmans ni arabes, en dépit de la langue. D'autres, dont l'islam est parfaitement authentique, quoique hétérodoxe, et que l'on classe comme les précédents sous l'étiquette générale de chiites, c'est-à-dire de «sectaires» 6 , n'en représentent pas· moins des particularismes locaux, sociaux, ethniques fort tenaces : ainsi les chiites d' Iraq, aux affinités autant iraniennes qu'arabes, ou· les Mzabites nord-africains. Il ne faudrait cependant pas croire que les musulmans les plus orthodoxes, les sunnites, littéralement « traditionalistes » 7 , farment une individualité ethnographique incarnant !'arabisme, ne serait-ce que dans cette seule zone africaine et orientale qui nous intéresse et qui fait l'objet des revendications panarabes~ Il y a là en effet des peuples numériquement considé- . . . . , rables qui sont sunnites, mais qui restent neanmoins bien distincts des Arabes par la langue, la personnalité collective, la conscience d'euxmêmes. Nous ne pouvons les énumérer tous ici; il suffira de mentionner à titre d'exemples les Berbères à l'ouest, les Kurdes au nord-est, les Somalis au sud-est. Il y a enfin les sunnites arabophones qui descendent pour la plupart de paysans préarabes, mais islamisés et arabisés depuis plus ou moins longtemps. Grâce surtout à la densité du peuplement égyptien au xxe siècle et à l'expansion démographique en Afrique du Nord française, ces sunnites de ·tangue arabe représentent aujourd'hui une bonne moitié de toute la population dans la zone en question : un peu plus de la moitié au Maghreb et dans le bassin du Nil, mais seulement un quart dans l'ensemble du Levant méditerranéen et mésopotamien. C'est évidemment sur l'existence de ces « fellahs » 8 (qui en dehors même de l'Égypte constituent des masses relativement importantes dans certaines autres régions nord-africaines et dans quelques districts de l'arrière-pays levantin) que le panarabisme fonde le plus clair de ses • espoirs. Car il s'agit bien de rallier les fellahs, de leur inculquer l'idée qu'ils sont des Arabes, voire les Arabes. C'est un programme, certes; mais ce n'est pas encore une réalité. Pour le moment, le paysan d'Égypte ou de Tunisie reste comme autrefois un Égyptien, un Tunisien 6. Chi'a, secte. 7. Sounna, tradition. 8. Cultivateurs, campagnards.

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