146 lectique distinct à la fois de l'idéalisme de Hegel et du naturalisme fataliste de Feuerbach; la part de la théorie reste énorme et très souvent décisive. Les conclusions sont données d'avance comme dans tout système idéologique puissamment charpenté ; la cause finale, la disparition miraculeuse, grâce à la Révolution, du péché originel qu'est l'aliénation de l'homme commande manifestement la marche logique d'une pseudo-histoire ; on s'étonne que des faits aussi clairs soient obstinément niés. Puissant manieur de formules et constructeur de thèses, impérieux idéologue, Marx est très éloigné de bien comprendre les hommes qu'il simplifie et schématise ; il invente un prolétaire qui n'est pas beaucoup plus qu'un cas-limite, qu'une vue de l'esprit, à moins qu'on ne le fabrique tout exprès pour les besoins de l'action. Ce manque de sens psychologique devient effarant chez les épigones du marxisme et les condamne soit à la faillite, soit à des adaptations empiriques dont nul ne saurait prévoir le terme. Que l'entreprise de Marx se définisse donc par la volonté prométhéenne de soumettre le réel à un système et à une prophétie, n'hésitons pas à l'affirmer ; cela n'empêche en aucune façon qu'elle ait permis la mise à jour de matériaux positifs dont il est désormais impossible de ne pas se servir. Relativement à la stratification sociale, à l'accroissement du capital et à sa concentration, au machinisme, à la prolétarisation, à la tactique et à la stratégie des partis ouvriers, à la technique des révolutions, les analyses du marxisme conservent une valeur objective que personne ne peut contester, même si l'on en veut limiter la portée. Nous en avons assez dit pour que paraisse en tout son relief ce qui crée entre Comte et Marx une irréductible opposition, quelles que soient les similitudes constatées d'autre part entre les œuvres des deux penseurs. Intellectuel candide et qui se faisait loi de la confiance, Comte ne conçut jamais l'action que sous la forme de l'enseignement. Il conviait ses disciples à venir librement s'unir sous l'égide du sacerdoce positiviste afin que naquît la cité juste, autoritaire et hiérarchique en laquelle l'individu n'aurait plus qu'un seul droit, celui de faire son devoir. La science et le rituel social, substitués à la théologie et à ses pratiques, fortifieront, étendront partout la morale de l'altruisme qui elle-même remplace celle de la charité, ou si l'on veut la rénove ; le sentiment et la raison, pleinement réconciliés, s'élèveront de degré en degré jusqu'à l'adoration du Grand Être et de son habitat naturel, le système solaire. Le moins qu'on puisse et doive dire d'un tel programme, c'est qu'il ne cède·pas aux facilités démagogiques ; il ne promet au prosélyte que les joies de l'austère vertu et du .dévouement quotidien,, Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL le reste venant par surcroît ou par conséquence. Chez Marx, l'installation à Londres, les contacts avec les ·ouvriers anglais et les émigrés politiques, la fondation de l'Internationale, la participation à la bataille, l'impatience et la pugnacité provoquèrent un progressif glissement de la théorie à la pratique et à la tactique, de la vie méditative à la vie militante, la conquête du pouvoir devenant si bien le but que les autres se sont effacés en des lendemains qui chantent plus qu'ils ne parlent clairement. De nos jours, avec Lénine et Staline, la tendance à tout considérer du point de vue de la guerre des classes et selon des directives d'états-majors s'est accentuée jusqu'à l'obsession. « Kant, qui genuit Hegel, qui ? genuit Marx ... »; on peut admettre à la rigueur cette filiation que propose ou rappelle Valéry, mais il faudrait désormais la prolonger de manière à lui faire traverser l' œuvre de Clausewitz et l'on • • • • • arr1vera1t a1ns1au commurusme -de notre siècle. Qu'une telle conception implique la militarisation des partis, il n'est pas besoin de l'expliquer; mais comme on veut entraîner dans l'action la foule prolétarienne encadrée par les soldats de métier, les révolutionnaires professionnels, on l'enflamme en lui promettant la liberté et l'égalité, la liberté dans un avenir mal défini, l'égalité dans l'immédiate servitude. Ainsi le pseudo-marxisme, reniant et confirmant pourtant ses origines en ·vertu d'une dialectique complexe qui est peut-être une obscure nécessité, se fait despotique et impérialiste tout en divinisant les masses et en prétendant agir en leur nom. Il s'arme d'une volonté qu'il leur prête, qu'il travaille à leur insuffler et qui n'est rien de plus que celle des chefs tenant en main tout l'appareil. En deux mots, disons que le comtisme reste aristocratique et pédagogique, le marxisme devenant, lui, militaire et populaire en sa réalisation présente. . n s UIVRE maintenant ces deux courants de pensée politique en s'éloignant de la source c'est évoquer ici un chapitre mélancolique mai~ fort instructif de l'histoire contemporaine. Vivant en son rêve, comme un enfant ou comme un illuminê, Comte se flattait d'obtenir rapidement une très large audience des peuples ; on sait ce qu'il en fut et mieux encore ce qu'il en est. N'en jugeons pas toutefois d'après la seule carrière de l'Église positiviste ; l'influence du maître ne s·'est pas circonscrite aux étroites limites de ce monument dérisoire. Mais elle dut subir une alliance. compromettante, elle fut captée par les doctrinaires <;le la contre-révolution et surtout,. par
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