• 144 nemment de l'avenir. L'accession des femmes à tous les droits, à toutes les tâches, y compris celles de la guerre, de la police et de la politique, est à coup sûr une des grandes révolutions de l'histoire ; elle s'est accomplie avec une rapidité stupéfiante et c'est à peine si l'on en peut entrevoir les conséquences. Au reste le programme de Comte n'était pas sur ce point des plus radicaux ; il ne prévoyait pas l'avènement de la virago, il entendait bien ménager, protéger ce domaine affectif prop!e à la femme qu'il décrit non sans quelque mièvrerie mais en entière sincérité. Si Comte mérite d'être placé au premier rang des féministes, c'est parce qu'il érige les femmes en conseillères de la vie morale, c'est plus encore parce qu'il leur confie une fonction éducatrice dont il n'est pas besoin de souligner l'importance · . ' ' Jusqu à quatorze ans, tous les enfants des deux sexes recevront d'elles et d'elles seules la formation esthétique et morale que définit suffisamment ce que nous appellerions une scolarité du premier degré. C'est dire que l'école doit être maintenue aussi longtemps que possible dans le rayonnement de la famille et de la maternité. Quant aux savants, aux intellectuels, ils constituent évidemment, comme dans la République de Platon et pour des raisons analogues, l'élite dirigeante; ils détiennent les lumières de la pensée positive et plus précisément de la sociologie ils sont donc les guides, les architectes et le~ médecins du social. Hâtons-nous toutefois de noter ici une distinction d'un très vif intérêt. Grand admirateur de la civilisation médiévale ' Comte ~mprunte à la doctrine des deux glaives sa doctrine personnelle des deux pouvoirs. Celui ~es sava~ts, ,le ~lus éminent, est un pouvoir spirituel qui, denue de force concrète et plus encore d'argent, n'agit que par l'influence des idées, pa~ le co1;s~il, pa_rl'exemple clérical, sur un pouvoir materiel qui est puissance de transmission d ' . d' d ' action et or onnance. Certains estimeront que nous sommes ici en présence d'une des parties naJves e_t caduques du système, mais ils pourr~ient bien se tromper. Quoi qu'il en soit, l'action de la ~ouv_e~ecaste sacerdotale ne se déploie pas en un lieu 1deal ou conventionnel ; Comte lui donne pour cadre l'ensemble des nations qui ont reçu des Grecs les principes de la science et depuis vingt siècles accroissent sans arrêt cet inappr~ciable héritage. Il s'ensuit que nous avons u~e rais~~ de pl~s d'honorer le philosophe en en fa1~ant a Juste titre un des parrains de l'Europe qui cherche à naître ; pour lui en effet, la conduite de _l'~umanfté , do~t être assumée par un corps politique ou s umront la France, l'Angleterre,- 1'~emagn~, l'It~e- et l'Espagne, ainsi que·· 1es pentes nattons qw leur font naturellement cor~ Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL tège. En ce groupement le Nord et le· Midi, la Germanie et la latinité parviendront au plus fécond des équilibres, ce que symbolisera le culte électif de Charlemagne, grand patron de l'Occï"- dent. · · Faut-il maintenant s'étendre en longs propos sur le suprême effort de Comte, sur son dessein d'organiser la politique positive en forme <l'Église positive, dé religion de l'Humanité? Ce démarquage des institutiJns et des rites catholiques au profit du Grand Etre, c'est-à-dire de l'Homme considéré en la totalité de son histoire et de ses activités, ne peut surprendre que par sa minutie maniaque ou gêner que par l'étalage d'un orgueil puéril et morbide. Toutes choses étant réduites à l'essentiel, il apparaît que de Platon à Spinoza, . à Rousseau, à Robespierre et à Comte, tous ceux qui ont rêvé d'instaurer sur terre la justice n'ont pu manquer de comprendre tôt ou tard que la vie sociale est religieuse en son principe ou bien qu'elle n'est rien. Le paradoxe n'est pas de vouloir codifier une religion politique ; il est de croire qu'elle vivra indépendamment de la métaphysique et du mystère, comme si le sentiment religieux demeurait concevable une fois privé de ce qui l'alimente. Mais en fut-il autrement du marxisme? Qu'est-ce que cette société sans classe qui surgira au lendemain de la Révolution et en laquelle l'homme retrouvera l'homme, sinon un mythe paradisiaque reporté dans le futur et qui ne procède que d'affirmations gratuites ? La croyance de Marx au salut et au miracle semble bien plus irrationnelle que celle de Comte. Le parti communiste n'est-il pas devenu d'autre part une Église matérialiste avec ses dogmes et ses docteurs, son histoire sainte et ses formules rituelles, son Inquisition et ses prophéties garanties par la révélation? Le pontificat imaginaire d' Auguste Comte n'est donc pas une singularité produite par un reniement ou une insane déviation ; il fait passer au plan de la mimique figurative une fiction logique rendant implicitement hommage à ce qu'il faut bien considérer comme une loi fondamentale de la vie collective. · , CE rappel des principaux thèmes directeurs du comtisme permet-il d'esquisser une comparaison suivie entre l'auteur de la Politique positive et celui du Capital? Bien qu'ils aient été, à vingt 'ans près, des contemporains, bien que leurs et;ttreprises allassent, on l'a déjà vu, fréquemment dans le même sens, ils ne paraissent pas
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