.. SUR DEUX TYPES DE SOCIÉTÉS par Michel Collinet UNE société réelle ne peut se désigner par une épithète qui suffirait à la caractériser. Même si l'épithète est adéquate, elle laisse échapper toute la singularité de cet ensemble complexe de relations et de représentations qui constitue le régime d'une société. Par exemple, quand on parle de capitalisme ou de socialisme, on énonce des catégories abstraites, schématisant des rapports sociaux bien ou mal définis (mal définis surtout en ce qui concerne le socialisme) dont on néglige les variations suivant le milieu et l'époque pour les transformer en représentations morales ou affectives suivant les besoins d'une propagande politique. Les termes de « société ouverte » ou de « société fermée » n'éveillent aucune de ces résonances passionnelles. N'ayant pas leur fondement dans une description purement éco11omique, ils semblent encore plus abstraits que ceux de « capitalisme » et de « socialisme ». Ils ne sont ni la traduction d'un réel, ni celle d'une essence, mais appartiennent à ce que Max Weber appelait des « types idéaux». Ils nous apparaissent comme des concepts utiles pour décrire et coordonner certaines formes de relations· entre l'homme et son activité sociale. Le présent article a pour but de montrer de quelle manière ils permettent d'interpréter et de souligner quelques-unes des questions que l'homme se pose sur son existence et sa liberté. PoUR donner une explication aux origines de la morale et de la religion, Bergson a imaginé les deux concepts antithétiques de société « close » et de société ,< ouverte ». Le terme (< imaginer » est d'ailleurs inexact pour le premier d'entre eux. Quand Bergson écrit : <1 La société close est celle dont les membres se tiennent entre eux, indifférents au reste des hommes, toujours prêts à attaquer Biblioteca Gino Bianco ou à se défendre, astreints enfin à une attitude de combat. Telle est la société humaine, quand elle sort des mains de la nature. L'homme était fait pour elle, comme la fourmi pour la fourmilière » 1 , il ne fait que décrire brièvement le type d'une communauté primitive telle qu'elle est généralement admise. Sa description ne devient un concept que dans la mesure où il juge que ce type primitif subsiste dans des sociétés plus modernes et plus vastes. En se limitant et en rejetant de leur sein ceux que les Grecs dénommaient les « barbares », les sociétés, même très développées, participent du type de la société close primitive. Mais cette société ne se définit pas seulement par des limites territoriales ou démographiques. Elle suppose une intégration de l'individu telle que son Moi individuel disparaisse devant son Moi social, sinon l'analogie, que Bergson poursuit en plusieurs endroits, avec les sociétés d'insectes perdrait toute signification. En substituant à l'instinct mécanique des hyménoptères l'activité créatrice des hommes, Bergson introduit dans la société close les liens qui en empêchent la dissolution, à savoir les obligations que la coutume transforme en morale sociale et en religion, avec leur réseau de prescriptions et de prohibitions qui se perpétuent dans n'importe quelle société, quelle que soit sa complexité. A l'opposé de sa société close, Bergson introduit ce qui est alors un pur concept: la société<<ouverte », « celle qui embrasserait en principe l'humanité entière » 2 • De la première à la seconde, « de la cité à l'humanité, on ne passera jamais par voie d'élargissement. Elles ne sont pas de même essence. » 3 Cette différence d'essences n'apparaît l. Les deux sources de la n,orale et de la re/i~ion. 2. Ibid. 3. Ibid.
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